5°) Dans le midi de la France, une hécatombe provoquée notamment par la "guerre des baraques"

"Exécution "

Cinq balles pour le patron de bar

Un patron de bar d'Avignon a été victime d'un règlement de compte hier en début d'après-midi, sur le parking d'un terrain de golf proche de la ville. André Mas, 45 ans, a été abattu de 5 balles de gros calibre après avoir été frappé à coup de barres de fer. Les tueurs, 4 ou 5 hommes, ont réussi à prendre la fuite (...) L'exécution d'André Mas pourrait être liée à la guerre que se livre le milieu en Provence pour le contrôle des machines à sous et qui a fait dix-huit morts dans le Vaucluse, les Bouches-du Rhône, le Var et le Gard depuis deux ans. André Mas, qui avait été une première fois relaxé dans une affaire de machines à sous, venait d'être mis en examen dans un dossier similaire (...)"

Ajourd'hui, le 9/09/1999

Dans le "Triangle de la mort" (trait d'humour morbide de policiers du Midi, le "triangle" va de Grenoble à la frontière italienne, plus la Corse, et de là, à Perpignan), il y a eu de 1993 à juin 1999 219 "règlements de compte entre malfaiteurs" 8 - dont 47 meurtres depuis janvier 1998 (voir en annexe la chronique de cette hécatombe). Comparable à celle du Mezzogiorno italien, cette situation est sans équivalent dans le reste de l'Union Européenne et signale une activité criminelle intense.

Une situation d'autant plus grave que, confrontée à une meurtrière guerre du milieu dans le Midi, l'Etat se borne souvent à compter les points. Quelques exemples :

. "Tueurs casqués à moto" opérant à répétition, comme en décembre 1998, à Marseille, où deux motards longent la voiture de Paul Degenis (connu pour hold-up, proxénétisme, etc.), le criblent de balles et repartent sans hâte, comme sûrs de leur impunité,

. Malfrats trouvés truffés de plomb dans des voitures incendiées, comme (en septembre 1998, dans le Var) Charles Lecouls dit "Charly la Gâchette", 51 ans, le dernier proche encore en vie de "Tany" Zampa,

. En janvier 1999, Jean-Louis Goiran, 47 ans, est tué près de chez lui, dans l'arrière pays niçois. 20 balles de fort calibre, la tête du défunt pulvérisée. Goiran était le lieutenant de Marcel Diavoloni dit "Le Bègue", 54 ans, lui-même arrosé de balles fin 1998 dans un parking de Nice,

. En mars 1999, l'affaire des "dépecés d'Estéron". A 40 km. de Nice, on trouve près de ce village les restes de deux hommes et d'une femme "bruns et âgés de 30 à 45 ans, décapités, éviscérés, dépecés, amputés des pieds et des mains, découpés en vingt tronçons" ces restes gisent dans un ravin, dans des sacs-poubelles. Hypothèse de la justice : une sanction exemplaire infligée par des narcotrafiquants à de mauvais payeurs 9.

Cette singularité méridionale est telle qu'on y décèle - techniquement, sans esprit polémique - un terrain local proto-mafieux.

. Invention par le truand Varois Jean-Louis Fargette (assassiné le 17 mars 1993 à la frontière franco-italienne) d'un "modèle criminel" unique en France. Fargette avait en effet monté une "triade" varoise politique-affairisme-banditisme siphonnant "à la napolitaine" les marchés publics (Mairie de Toulon, Conseil général, etc.) et "tenant" nombre de politiciens locaux par le truchement d'hommes d'affaires marrons, d'avocats suspects, d'intermédiaires douteux, etc.,

. Existence d'un "terreau mafieux", d'un humus de petites entreprises délinquantes camouflant trafics et mouvements de fonds douteux, sans lequel une entité criminelle ne prospère pas durablement. Industrielles, commerciales ou de service, ces PME "sous influence" de Naples, Reggio de Calabre ou Palerme ont permis aux mafias d'infiltrer toute la société civile du Mezzogiorno. Or ces PME criminelles existent dans le Midi.

Sur ce terreau , s'agite un "milieu" autochtone en constante évolution :

. Les distinctions géographiques faites naguère entre truands "marseillais", "aixois", "toulonnais", etc. sont dépassées : à l'image des entreprises hi-tech, les voyous travaillent désormais en réseau,

. Les gangs newlook s'internationalisent. De même qu'aujourd'hui, la PME de Landerneau exporte à Singapour, un "gros bonnet" comme Antoine Cossu dit "Tony l'Anguille", fréquente le Venezuela et va régler à Madrid une livraison de cocaïne commandée à un cartel Mexicain. De fait, le Milieu du midi est entré dans l'ère entrepreneuriale : finie la valise de cash, place aux sociétés commerciales offshore, installées dans des paradis fiscaux ou dans les ex-pays du bloc de l'Est..

Reste le souci principal de la police du Midi : l'actuelle et fort meurtrière "guerre du Milieu". Pourquoi cette "guerre" ? Ou en réalité, pourquoi ces guerres ? Car de fait, deux conflits se superposent aujourd'hui dans le sud de la France et provoquent l'hécatombe détaillée dans l'annexe 3.

· En avril 1998, l'opération "Topaze" fait "tomber" nombre des grands truands du Midi : Tony Cossu, Pascal et Franck Perletto de Toulon, Jean-Claude Kella, ancien de la French connection, Richard Dubrou et Jean-Pierre Gandeb_uf, ex-"gang des Lyonnais", proches de Cossu. Pour la PJ marseillaise, tous ces voyous étaient en passe d'acheter une cargaison de cocaïne au narco mexicain Hermillo Carrillo Rodriguez. La même année, tombe un autre "homme de poids" marseillais, André Cermolacce, "Le gros Dédé". En 1996 déjà un autre truand marseillais, Raymond Mihière dit "Le Chinois" avait "plongé" à Barcelone. D'où, logiquement, une guerre de succession.

· Seconde guerre, celle dite "des baraques"; un conflit territorial dans lequel de jeunes loups se sont lancés d'autant plus volontiers que le sommet de la pyramide criminelle du midi, décapité, n'était plus là pour rendre les arbitrages et faire régner l'ordre. Comme nous l'avons vu plus haut, la possession d'un territoire et d'un parc de "baraques" est un préalable crucial pour un gang ambitieux, désireux d'accéder aux trafics les plus juteux - pour lesquels un capital de départ est impératif.

Voici donc les motifs du carnage. Les coupables ? La génération montante du Milieu. "Ce sont des fauves. Des assassins impitoyables et sanguinaires" dit un policier du Midi, "ils nous font très peur. L'un d'eux regarde ses victimes mourir, les yeux dans les yeux. En prime, ces tueurs froids et sadiques sont insaisissables. Les assassins de nombre des voyous du Var vivent en caravane, bougent sans cesse; on ne les joint que par une messagerie Tattoo".

Privé de parrains incontestés, le Midi demeure un enjeu criminel juteux. La relève est là, féroce et la répression, molle : motivée en grande partie par la conquête de territoires nouveaux où installer les "baraques", la guerre des voyous de la côte n'est donc pas prête de s'achever.

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8 Le lecteur trouvera une liste détaillée des 218 meurtres avec circonstances, motifs, etc. sur la base de données "règlements de compte dans le Midi", de notre Centre de Recherche, dont le site Internet est : <www.drmcc.org.

9 Voir à ce propos une enquête parue dans Le Parisien du 2 août 1999 "Une des trois victimes retrouvées découpées près de Nice est italienne"; et aussi "Le terrible puzzle de l'Estéron", Le Figaro 4/8/1999.