Il s'agit d'une brochure d'une cinquantaine de pages, tirée clandestinement à 500 exemplaires, et considérée par son auteur comme un outil de réflexion à l'intention des militants d'Al-Jihad et des milieux fondamentalistes sympathisants.
Plusieurs raisons font de ce texte un document passionnant :
· le 14 décembre 1981, un quotidien de l'opposition de gauche Égyptienne "Al-Ahrar" publie in extenso "L'obligation occultée". A ce moment-là, son auteur Mohamed Abdessalam Faraj2, d'autres incarcérés du "Jihad" auraient pu, par l'intermédiaire de leurs avocats, se dissocier de ce texte ; prétendre qu'il s'agissait d'un faux ; qu'il ne représentait pas leurs idées : ils ne l'ont pas tait, et cela constitue une preuve de l'authenticité de "l'obligation occultée".
· Le grand Mufti d'Égypte, Ali Jadd El-Haq a écrit une longue réfutation à ce texte, parue dans "Al-Ahram" au début de décembre 1981.
· Il s'agit d'un document interne : il vise à convaincre des islamistes sincères de la nécessité d'entrer dans la voie du Jihad ; à y répondre à leurs vraies interrogations. Du fait de sa nature clandestine, "L'obligation occultée" n'a pas à masquer ses idées, ni à s'exprimer en termes codés pour contourner la censure : ce texte est un extraordinaire coup de projecteur sur le paysage mental et intellectuel des militants sunnites fondamentalistes.
"L'obligation occultée" ne se compose pas de chapitres, mais d'une succession de 143 paragraphes -de versets- de longueurs diverses, ordonnés par thème. Voici, dans l'ordre du texte, les idées - force développées dans la brochure :
1 - Le devoir de Jihad - la guerre contre
les incroyants - est tombé en désuétude ; il a été
oublié, négligé et constitue cependant pour le musulman
sincère une obligation, au même titre que les autres obligations
de la religion musulmane : prière, profession de foi, aumône,
pèlerinage, etc. mais occultée. (développement, justifications
coraniques et historiques, etc.)
2 - Il est important et urgent d'établir
un État Islamique et de restaurer le Califat.
(développement ... )
3 - Mais beaucoup de Musulmans sincères
désespèrent, et ne croient plus à la possibilité
de réaliser ces nobles buts.
(développement... )
4 - Plus grave encore, les Musulmans en
général ne croient plus que l'établissement d'un État
musulman soit pour eux un devoir impératif.
(développement ...)
5 - Vivons-nous aujourd'hui dans un État
Islamique ? (Non).
(développement... )
6 - Le dirigeant d'un État non islamique
ne peut être considéré comme un musulman, même
si ses sujets le sont. (Il n'est qu'un apostat, qu'un collaborateur des
croisés (chrétiens) des communistes ou des sionistes).
(développement... )
7 - Suit une liste de 17 objections à ce qui a été avancé ci-dessus, pour vérifier la solidité doctrinale de ces affirmations (elles se présentent en général comme des paragraphes débutant par disent que ...")
· Ne suffit-il pas [pour être
un bon musulman] d'adhérer à une société charitable
?
· Ne suffit-il pas d'accomplir
ses devoirs de dévotion et d'obéir à Dieu ? [comme
le font les Soufis]
· Le militantisme politique n'endurcit-il
pas le coeur, et n'éloigne-t-il pas de Dieu ?
· Ne vaudrait-il pas mieux créer
un parti politique Islamique légal ?
· Ne faudrait-il pas mieux faire
progresser l'Islam en assurant à des musulmans convaincus les
meilleures places dans la société
? [médecins, ingénieurs, etc. comme le font les Frères
Musulmans] · Un Etat Islamique ne se doit-il pas d'être créé
pacifiquement ?
· Comment faire connaître
nos idées, alors que tous les médias sont entre les mains
de l'État non
islamique ?
· La vraie voie pour instaurer
un Etat Islamique n'est-elle pas l'émigration intérieure,
la séparation
d'avec la société (Héjire/Hijra)
et l'instauration d'une base islamique en dehors de celle-ci ?
· La recherche du Savoir n'est-elle
pas la voie juste ?
· Est-il permis de mener un Jihad
en l'absence d'un Calife ? [comme prétend le Parti de la Libération
Islamique]
· Ne faut-il pas d'abord lutter
contre Israël et reconquérir Jérusalem, puis, dans un
second temps,
conduire le Jihad dans son propre Etat?
· Le Jihad ne doit-il pas être
purement défensif, un ultime barrage contre une menace extérieure
contre l'Islam ?
· Peut-on encore attaquer l'ennemi,
comme au temps du Prophète, en étant numériquement
très
inférieur, et gagner ?
· La situation n'est-elle pas comparable
à celle qui existait à la Mecque, quand le Prophète
y vivait `.'
[avant l'Hégire]
· Le vrai Jihad, n'est-ce pas de
donner à tous les musulmans le désir de retourner à
la Mosquée ?
· Et si un Etat Islamique était
créé, pour être détruit ultérieurement
par la réaction des infidèles, la
situation ne serait-elle pas pire ?
· Le Jihad est-il possible en l'absence
d'un vrai dirigeant dans le groupe des musulmans activistes ?
8 - Quelle doit être la nature des
relations entre le dirigeant et ses compagnons. Faut-il lui obéir
jusqu'à la mort ? Peut-il exiger un serment ?
(développement... )
9 - Et si le cours du Jihad nous conduit
à tuer d'autres musulmans ?
(développement... )
10 - Quelles sont, selon le Coran et la
Tradition, les méthodes de combat légitime `.' (La guerre
est tromperie ; il est légal de mentir aux ennemis de l'Islam).
(développement.. . )
11 - Suivent six points précis,
concernant tous l'éthique de la guerre et la possibilité,
selon le Coran, la Tradition et l'histoire, d'accomplir tel ou tel acte.
· Un Musulman peut-il servir dans
une armée non-islamique ?
· Peut-on attaquer les infidèles
sans avertissement ?
· Et si des enfants ou des innocents
sont tués durant une attaque ?
· Est-il licite de tuer des femmes
? Des moines? Des vieillards ?
· Des combattants musulmans ont-ils
le droit de se faire aider par des non-musulmans dans leur
lutte ?
· Peut-on causer à l'ennemi
des destructions massives, voire totales ?
12 - Un soldat musulman peut-il se constituer
prisonnier, ou doit-il se battre jusqu'à la mort ? (développement...
)
· Un soldat musulman doit-il crier
pendant un assaut ? (non).
· Quel jour de la semaine est le
plus faste, d'après le Coran ? (le jeudi).
13 - Que faut-il faire des soldats réticents
?
(développement... )
14 - La direction du Jihad peut-elle être
assurée par un homme de religion ? (non).
(développement.. . )
15 - En forme de conclusion : adresse aux dirigeants des Jama'a (associations) Islamiques. (Ils ne sont pas sur la bonne voie s'ils ne se consacrent pas à préparer, puis à mener le Jihad).
La seule édition intégrale d'"Al-Faridah al-Gha'ibah" accessible aux non-arabophones figure dans :
THE NEGLECTED DUTY
The creed of Sadats'assassins and Islamic
résurgence in the Middle-East
Johannes J.G. Jansen Mac Millan ed. New
York - USA-1986
langue anglaise, 246 pages, bibliographie,
Index, glossaire des citations coraniques.
2 Natif
de Basse-Egypte, province de Beheira. Né en 1954. Diplomé
en Ingénierie, Marié. Ingénieur (chargé des
problèmes du réseau électrique) dans l'administration
de l'Université du Caire.
Dès 1978, il est
adhérent d'un groupe de Jihad d'Alexandrie dirigé par Ali
Ibrahim Salama. Quand cette association est démantelée par
la police, Faraj rompt tout contact, s'établit au Caire où
il commence à structurer sa propre organisation.
En 1979, il échappe
aux rafles visant les activistes Islamiques. Exécuté en avril
1982, en même temps que les quatre meurtriers d'Anouar el-Sadate.