Au temps ou il régnait sur trois
oasis d'Arabie, prosélyte inconnu d'une religion naissante, le Prophète
Mahomet prit un jour sa plume et écrivit aux deux personnages les
plus considérables du monde d'alors : les empereurs de Perse et
de Byzance1. Non pas pour leur signaler
son existence, mais pour leur demander de se soumettre à Dieu, à
l'Islam. On connaît la suite.
A la fin de l'année 1408 (H) l'Imam Khomeini adresse, dans le même esprit, une missive à "Son excellence, M. Gorbatchev". On voit avec quelle facilité -les temps ont changé- une telle initiative aurait pu sombrer dans la provocation, ou dans le ridicule. Or tel n'est pas le cas, loin de là. Il faut lire avec attention ce texte -nous pesons nos mots- prodigieux. Prodigieux d'équilibre entre une foi inébranlable, de celles qui déplacent les montagnes, et un féroce dédain du bureaucrate N°1 de l'empire du matérialisme, distillé en conseils patelins, compliments ironiques et coups de griffe là où ça fait mal. Une fois encore, en France, personne n'a vraiment lu et commenté ce document. Dans le cas le plus faste, on en a extrait une "petite phrase", comme ça, pour faire sourire. Car on sourit toujours de Khomeini chef nous, depuis que de malfaisants imbéciles ont isolé de son oeuvre -vingt, trente volumes- quelques pages d'une jurisprudence canonique bizarre ou scabreuse. Depuis lors, Khomeini est l'homme qui a écrit qu'on ne saurait manger la chair d'un mouton, s'il a été préalablement sodomisé. Comme si l'on jugeait l'ensemble de la philosophie catholique à partir d'un exorcisme exposant le rôle que joue Belzébuth dans les émois nocturnes des jouvencelles... Le monde musulman, lui, ne s'y est pas trompé. Le grand quotidien égyptien Al Arham a fait sur cette lettre un grand titre. Sens de l'article qui suivait : c'est un Chi'ite, d'accord, mais chapeau ! Au moment où s'achève -et par quelle défaite pour le marxisme-léninisme, pour l'Union soviétique- la guerre étrangère en Afghanistan, faut-il prendre un tel message à la légère ? Xavier Raufer. NB : Quelles que soient ses convictions
personnelles, on ne peut qu'être frappé par le contraste entre
cette lettre, d'une totale fermeté spirituelle, et ces rédactions
d'assistante sociale sympathisante de SOS Racisme que publie notre conférence
épiscopale...
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(Traduction: Mme. N. et Xavier Raufer)
Au nom de Dieu, le Bienveillant, le Miséricordieux,
A Votre excellence Monsieur Gorbatchev, Président du Présidium du Soviet suprême de l'Union soviétique, mes voeux de bien-être et de félicité, pour vous-même et la nation soviétique.
Comme, depuis votre arrivée au pouvoir, il semble que votre excellence
a entrepris de réviser et de renouveler le projet politique soviétique
global, et tout spécialement celui qui concerne
l'URSS même; et comme votre courage et votre audacieux effort
de réalisme peuvent amener des bouleversements, voire des changements
révolutionnaires dans les équations de la
domination mondiale, j'ai estimé nécessaire de vous rappeler
certains faits.
II est certes possible que vos orientations nouvelles aient pour seul
borde résoudre des problèmes politiciens, et, simultanément,
de remédier à certaines des difficultés rencontrées
par
votre peuple, mais, même dans ces limites, votre courageuse révision
d'une idéologie qui a si longtemps retenu derrière des rideaux
de fer la jeunesse révolutionnaire du monde est digne
de louanges. Mais à supposer que vos préoccupations transcendent
ces objectifs limités, le premier acte pouvant à coup sûr
vous conduire au succès serait de revenir sur la politique
d'élimination de Dieu et de la religion menée par vos
prédécesseurs, coup évidemment le plus sévère
de tous ceux qui ont été portés au peuple soviétique;
et de prendre conscience
qu'une approche réaliste des affaires mondiales est impossible
en dehors de cette voie-là.
Bien sûr, il se peut que les incohérences et les méfaits
économiques des précédents dictateurs communistes
aient fait apparaître l'herbe plus verte dans le camp occidental.
Mais là n'est
pas le vrai problème. Si, au point où vous en êtes,
vous espérez vous débarasser de la camisole paralysante du
socialisme et du communisme en sautant dans les bras du capitalisme
occidental, vous ne guérirez aucun des maux dont souffre votre
société, bien au contraire : des maux différents viendront
s'y surajouter. Car si le marxisme est aujourd'hui dans l'impasse
économique et sociale, l'occident n'est pas en meilleur état,
même si les maux qui l'accablent n'ont pas la même ampleur,
et n'affectent pas les mêmes secteurs.
Votre excellence, M. Gorbatchev, il faut regarder la vérité
en face. Le problème essentiel de votre pays n'est pas celui de
la propriété, ni de l'économie, ni de la liberté.
Votre problème
essentiel est ce manque de foi en Dieu qui a déjà entraîné
l'occident sur la voie de la décadence et des impasses, ou ne tardera
pas à le faire. Votre problème essentiel est votre longue
et
futile bataille contre Dieu, source de toute vie et de la Création
toute entière.
Votre excellence, M. Gorbatchev. Il est désormais évident
que le communisme est à ranger aux archives de l'histoire politique
mondiale, car il n'a pu subvenir à aucun des vrais besoin de
l'homme. C'est une idéologie matérialiste et le matérialisme
ne peut sauver l'humanité de cette crise de la foi et de la spiritualité
qui est le mal dominant, en occident aussi bien que dans les
pays de l'est.
Votre Sainteté (ici, le terme utilisé par R. Khomeini
est "Hazrat" qui sert pour qualifier les 12 Imam impeccables. Dans une
lettre où chaque formule est ajustée au millimètre,
il s'agit sans
doute plus d'une insolence que d'une étourderie) M. Gorbatchev,
il est possible que vous n'ayez pas encore tourné définitivement
le dos à tout ce que représente le marxisme; il se peut
même que vous exprimiez encore, dans l'avenir, votre foi en celui
ci. Mais vous ne pouvez pas vous dissimuler que la réalité
n'est pas là. Les chinois ont porté un premier coup au
communisme. Vous lui en avez porté un second -fatal semble-t-il.
Aujourd'hui, il n'existe rien au monde qui ressemble au communisme. Mais,
je vous en avertis, le risque est grand que
vous atterrissiez dans, les prisons de l'occident, du grand Satan,
une fois mise à bas cette construction doctrinale fantaisiste qu'est
le marxisme.
Je vous souhaite néanmoins de connaître une gloire durable
pour avoir su débarrasser votre propre pays, et l'Histoire, des
dernières couches de ces détritus entassés depuis
soixante dix
ans par le communisme mondial. Aujourd'hui, dans les pays qui suivent
votre voie, tous les coeurs battent pour des patries, pour des peuples,
et nul n'est plus prêt à gaspiller ses
ressources -souterraines ou autres- pour prouver la validité
du communisme, doctrine dont chacun aura pu constater qu'elle a les reins
brisés.
M: Gorbatchev, quand on a pu, au bout de 70 ans, entendre retentir le
cri de "Allahou Akbar", et la profession de toi dans la prophétie
du sceau des prophètes - salut et bénédiction de
Dieu sur Lui et sa descendance- au minaret des mosquées de certaines
de vos républiques, tous les fidèles du pur Islam de Mahomet
ont pleuré de joie. C'est pourquoi je crois bon de
vous exhorter à revenir sur ce que sont les doctrines matérialistes
et sacrées.
Les matérialistes font des sens les critères de la connaissance,
et écartent du champ de la science tout ce qui ne provient pas de
ceux-ci. Ils considèrent que l'existence est de nature
matérielle, et que l'immatériel n'existe pas. Ils tiennent
donc pour de simples mythes toutes les réalités non manifestes
telles que Dieu tout puissant, l'inspiration divine, les prophéties.
Mais dans la conception sacrée des choses, la connaissance englobe
à la fois les critères des sens et de la raison. Le rationnel
est également compris dans le champ de la science,
quoiqu'il ne puisse être perçu par les sens. D'ou le fait
que l'existence englobe tout à la fois le visible et l'invisible;
et que les éléments immatériels puissent bel et bien
exister. De même que
les éléments matériels peuvent traduire des réalités
abstraites, la connaissance sensorielle repose-t-elle bien sur une base
rationnelle.
Le saint Coran rejette les bases de la pensée matérialiste,
et à tous ceux qui prétendent que Dieu n'existe pas, car
autrement on le verrait, "nous ne vous croirons pas tant que nous
n'aurons pas vu Dieu de façon tangible", le Coran répond
: "II ne voit pas par des yeux, bien qu'Il comprenne ce qu'est un oeil,
et Il est le plus subtil, l'omniscient". Mais laissons là le
noble et saint Coran, et les preuves qu'il offre sur l'inspiration
divine, la prophétie et la résurrection, encore que cela
puisse être pour vous une bonne base de départ.
Je ne souhaite vraiment pas vous entraîner dans les labyrinthes
d'une conversation philosophique, de philosophie musulmane encore bien
moins. Je me limiterai donc à un ou deux
exemples simples, intuitifs autant que rationnels, sans doute profitables
à un politicien. Il est clair que les objets physiques, matériels,
quels qu'ils soient, n'ont pas conscience
d'eux-mêmes. Une statue de pierre, la statue d'un homme a deux
faces chacune de Celles-ci est inconsciente de l'autre; alors que nous
savons bien que l'homme et les animaux ont
conscience de ce qui les entoure. Ils savent où ils sont, ce
qui se passe autour d'eux, dans leur environnement. II y a donc, chez l'homme
et l'animal, une dimension qui transcende la
matière; qui se distingue des choses matérielles et survit
à la disparition de celles-ci.
De par sa nature même, l'homme cherche à atteindre la perfection,
quel qu'en soit le domaine, et ce le plus absolument qu'il le peut. Mieux
que personne, vous savez que l'homme souhaite
le pouvoir absolu ici-bas et ne se satisfait pas d'un pouvoir subalterne.
S'il possède le monde entier, et apprend qu'il en existe un autre,
il voudra le conquérir aussi. Quelle que soit son
instruction, si l'homme apprend l'existence d'une science nouvelle,
il souhaitera également s'en imprégner. Si l'homme vise a
les atteindre, c'est donc que le pouvoir absolu et la
connaissance absolue existent. Ce pouvoir, cette connaissance suprême
ne sont autres que Dieu tout puissant, vers lequel nous tendons tous à
nous élever, même quand nous n'en
avons pas conscience.
L'homme cherche à atteindre la vérité absolue pour
pouvoir s'anéantir en Dieu. Fondamentalement, ce désir de
vie éternelle en chaque être humain est un signe de l'existence
d'un monde
éternel, au-delà de la mort.
Si votre excellence souhaite s'informer sur tout cela, elle prescrira
à ses intellectuels de se référer -nonobstant les
oeuvres des philosophes occidentaux concernés - ouvrages de
philosophie péripatéticienne de Farabi et d'Avicenne,
sur eux la paix de Dieu. Ainsi, vos intellectuels pourront-ils se persuader
du fait que la loi de cause à effet sur laquelle reposent tous
nos modes de compréhension, nous est accessible par le canal
de la raison, et non par celui des sens. Qui mieux est, l'intelligence
des faits, au sens large du terme, ainsi que les lois
générales qui sous-tendent l'ensemble des systèmes
de raisonnement, sont-elles également rationnelles et non sensorielles.
Ils se référeront non moins utilement aux livres de Sohrevardi,
sur lui la paix de Dieu, portant sur la philosophie de l'illumination;
ils pourront ainsi expliquer à votre excellence comment la
matière, comme toute entité douée d'existence,
tend vers la lumière pure, libérée de toute contrainte
sensorielle. La perception mystique qu'a l'homme de sa propre réalité
intérieure est
pure, elle aussi, de toute contingence sensorielle.
Vous pourrez aussi ordonner à vos grands savants de se référer
à la philosophie sublime de Sadr el-Mote'allehin - qu'il soit admis
au paradis de Dieu pour y évoluer parmi les Prophètes et
les Saints- ils y découvriront que la vérité scientifique
est nonmatérielle dans son essence; que toute pensée diffère
de la matière et n'est pas soumise aux lois de celle-ci.
Mais je m'en voudrais d'abuser de votre attention, et c'est pourquoi
je me garderai de mentionner les oeuvres des mystiques, pas même
celles d'Ibn Arabi. Cependant, si vous désirez
prendre connaissance des théories de ce grand homme, puis-je
vous conseiller de nous envoyer à Qom quelques uns de vos experts
les plus sagaces et les plus versés dans ces affaires ?
II se peut qu'en quelques années, Dieu aidant, ceux-ci entrevoient
les subtiles profondeurs de ces stades du mysticisme où toute pensée
est plus fine qu'un cheveu. Mais sans un tel
séjour, l'acquisition de ces connaissances est bien entendu
impossible.
Votre excellence M. Gorbatchev, si je me suis permis ces quelques commentaires
et propos introductifs, c'est pour vous exhorter à étudier
sérieusement l'Islam. Vous n'en éprouvez sans
doute pas un besoin personnel intense, mais sachez que l'Islam, source
de valeurs sublimes et éternelles, peut contribuer au bien-être
et au salut des peuples de ce monde, et résoudre les
problèmes fondamentaux de l'humanité. Une étude
sérieuse de l'Islam pourrait entre autres vous débarrasser
à tout jamais de problèmes comme celui de l'Afghanistan.
Tous les musulmans du monde sont pour nous des compatriotes et nous
nous sentons toujours comptables de leur sort. La relative liberté
de culte dans quelques républiques
soviétiques montre que vous ne voyez plus dans la religion Lin
opium pour le peuple. D'ailleurs comment peut-on considérer comme
un opium une religion qui a permis à l'Iran de résister,
immuable comme le roc, aux super puissances ? Une religion qui prône
le règne de la justice partout dans le monde et aspire à
la libération de l'homme de toutes ses chaînes matérielles
et
spirituelles est elle un opium pour le peuple ?
Une religion qui met à disposition des superpuissances les ressources
matérielles et spirituelles des nations, islamiques ou non; qui
rejette toute implication politique, voilà un opium du
peuple. Mais ce n'est plus une religion authentique, tout juste ce
que notre peuple appelle un culte américain.
Je vous indique, pour conclure, que la République islamique d'Iran,
en tant que bastion le plus grand et le plus puissant de l'Oumma musulmane,
est parfaitement en mesure de remplir le
vide idéologique dont souffre votre système. Mais, même
sans cela, sachez que notre pays croit aux relations de bon voisinage,
aux bonnes manières réciproques, et s'en tiendra, comme
ce fut toujours le cas, à ces principes.
Paix à ceux qui suivent la voie de la Vérité.
Rouhollah Moussavi Khomeini.
1 Chosroes,
Empereur de Perse, Héraclius, Empereur de Byzance. D'autres lettres
similaires furent envoyées à Maqawqui, Gouverneur d' Égypte
et à l'Empereur d'Abyssinie, Nagasy.