Sur la conception de la guérilla urbaine

Textes de la Fraction Armée Rouge

"Entre l'ennemi et nous, il nous faut tracer une ligne de démarcation bien nette. " (Mao Tsé-toung.)

"Etre attaqué par l'ennemi est une bonne et non une mauvaise chose; en ce qui nous concerne, qu'il s'agisse d'un individu, d'une armée, d'un parti ou d'une école, j'estime que l'absence d'attaque de l'ennemi contre nous est une mauvaise chose, car elle signifie nécessairement que nous faisons cause commune avec l'ennemi. Si nous sommes attaqués par: l'ennemi, c'est une bonne chose car cela prouve que trous avons établi une ligne de démarcation bien nette entre lui et nous. Et si celui-ci nous attaque avec violence, nous peignant sous les couleurs les plus sombres et dénigrant tout ce que nous faisons, c'est encore mieux, car cela prouve non seulement que nous avons établi une ligne de démarcation nette entre l'ennemi et nous, mais encore que nous avons remporté des succès remarquables dans notre travail. " (Mao Tsé-toung, 26 mai 1939.)
Soutenir la lutte armée!

1. RÉPONSES CONCRÈTES A DES QUESTIONS CONCRÈTES

"Je persiste d soutenir qu'à moins d'avoir enquêté, on ne peut prétendre au droit d lu parole. " (Mao.)

Quelques camarades ont déjà des idées toutes faites à notre sujet. Pour eux, rattacher ce " groupe anarchiste s au mouvement socialiste n'est que démagogie de la part de la presse bourgeoise. Afin de nous dénoncer, ils nous appliquent à tort la même conception de l'anarchisme que la presse Springer. Nous ne discuterons pas à un niveau aussi débile. Pourtant, de nombreux camarades désirent savoir ce que nous en pensons. Notre lettre à 883 (journal underground berlinois) était trop générale. La bande magnétique d'une certaine Michèle Ray 7 dont le Spiegel a publié des extraits n'était pas authentique et provenait simplement de conversations privées. Cette femme voulait écrire un article en se servant de la bande comme aide-mémoire. Elle nous a roulés ou nous l'avons surestimée. Si notre pratique était aussi à l'emporte-pièce que certaines de ses formules, on nous aurait arrêtés depuis longtemps. Le Spiegel a payé Michèle Ray 1 000 dollars pour cela.

Tout ce que les journaux publient sur nous n'est que mensonge. Les prétendus projets d'enlèvement de Willy Brandt qu'ils nous attribuent ont pour but de nous faire passer pour des débiles politiques. Le rapprochement qu'ils établissent entre nous et ceux qui ont enlevé un enfant tend à nous assimiler à des criminels sans scrupule quant au choix de Cela s'applique également au numéro -de Konkret (mai 1971)8 qui livrait en vrac des détails de "source sûre" de la plus haute fantaisie. Il y aurait parmi nous des officiers et des soldats; certains d'entre nous seraient corvéables à merci ; l'un de nous aurait été liquidé ; ceux qui nous quittent seraient à la merci de notre vengeance ; nous cambriolerions et nous nous procurerions des papiers, le flingue à la main ; nous exercerions un terrorisme de groupe. Tout cela n'est que du vent.

Qui se représente une organisation illégale de résistance comme un corps de reîtres et de spadassins attire le désastre. Horkheimer et Adorno, dans Atttoritüre Persönlichkeit 9, et Reich, dans Psychologie de masse du fascisme, ont montré le rapport entre le fascisme et les mécanismes psychiques qui produisent de telles projections. Obsession et révolution sont une contradiction en soi, une contradiction improductive. Une pratique politique révolutionnaire, dans les rapports dominants que nous connaissons, suppose la concordance permanente du caractère individuel et de la motivation politique. Critique et autocritique marxistes n'ont rien à voir avec la. libération de soi et tout à faire avec la discipline révolutionnaire. A l'inverse d'autres, nous ne cherchons nullement à occuper la c une " des journaux. Si nous faisons celle de Konkret, c'est simplement que son rédacteur en chef remplit à gauche la même fonction qu'Eduard Zimmermann avec ses émissions fascistes dans lesquelles il appelle la population à se faire complice des flics10.

Beaucoup d'autres camarades répandent des mensonges à notre encontre. 11s se font mousser en racontant que nous aurions habité chez eux, qu'ils auraient organisé notre voyage au Moyen-Orient11, qu'ils seraient informés de nos contacts, de nos planques, qu'ils feraient des choses pour nous alors qu'ils ne font rien du tout. Certains veulent, par là, montrer qu'ils sont dans le coup. C'est après s'être vanté devant Dürrenmatt12 d'être le libérateur de Baader que Gunther Voïgt s'est fait piquer : il a dû s'en repentir lorsque les flics sont venus le chercher ! Il n'est alors pas si simple de démentir, même si c'est la vérité. D'aucuns veulent ainsi prouver que nous sommes idiots, irresponsables, imprudents, dingues. Ainsi espèrent-ils en convaincre d'autres. En fait, ils nous prennent pour ce qu'ils sont. Ils consomment. Nous n'avons rien à voir avec ces beaux parleurs de la lutte anti-impérialiste de café. II y en a beaucoup par contre qui ne baratinent pas, qui ont une idée de ce qu'est la résistance, qui en ont suffisamment marre pour nous donner une chance, qui nous soutiennent parce qu'ils savent que leur intégration et leur adaptation à la vie ne vaut pas un clou.

Le logement de la Knesebeckstrasse où Mahler a été arrêté n'a pets été découvert à cause d'une négligence de notre part, mais à la suite d'une trahison. L'indicateur était l'un d'entre nous. Dans notre situation, il n'existe guère de moyen de se défendre dans le cas où des camarades se font briser par les flics et ne peuvent plus supporter la terreur exercée par e système contre ceux qui le combattent vraiment. Sans un bel appareil de répression, les salauds n'auraient pas le pouvoir.

A cause de nous, certains sont contraints à de pénibles justifications. Pour éviter toute discussion politique et la mise en cause (le leur propre pratique par la nôtre, ils n'hésitent pas à falsifier de simples faits. Ils affirment, par exemple, que Baader n'avait plus que trois, neuf ou. douze mois de prison à purger, avant que nous le libérions, bien qu'il soit facile de rétablir la vérité : trois ans pour incendie ; six mois d'un précédent sursis, six mois environ pour falsification de documents, etc., et le procès n'avait même pas eu lieu ! Andreas Baader avait déjà purgé quatorze de ces quarante-huit mois dans dix prisons différentes de la Hesse, et avait déjà été neuf fois transféré de l'une dans l'autre pour mauvaise conduite : organisation de rébellion et résistance. La réduction. des trente-quatre mois restant à trois, neuf ou douze a pouf but d'ôter tout impact à sa libération le 14 mai. Quelques camarades rationalisent ainsi leur angoisse devant les conséquences personnelles qu'aurait, pour eux, une discussion avec nous.

La question dé savoir si nous aurions renoncé à libérer Baader sachant qu'un certain Linke (employé de l'Institut de Recherches sociales à Berlin-Ouest où Baader fut libéré) allait être blessé durant l'opération, nous a souvent été posée et nous ne pouvons qu'y répondre par la négative. Avec des si, on ne pose que des questions ambiguës, pacifistes, platoniques, moralisantes. Qui envisage sérieusement une telle action ne pose pas cette question mais cherche sa réponse. Les gens veulent savoir si nous sommes vraiment aussi brutaux que l'affirme la presse de Springer, laquelle souhaite faire passer notre réponse pratique, donnée lors de la libération de Baader, pour notre credo. C'est une tentative de ramener la question de la violence révolutionnaire au dénominateur de la morale bourgeoise. Même en tenant compte de chaque éventualité dans toutes les circonstances possibles, il était imprévisible qu'un employé vînt se jeter au milieu de nous. Mais si nous l'avions prévu, nous aurions su que les flics n'auraient eu aucun égard pour sa présence parmi nous, et qu'ils auraient tout de même tiré. Imaginer que l'on puisse libérer sans armes un prisonnier est purement suicidaire.

Comme à Francfort, où deux d'entre nous se sont enfuis alors qu'ils allaient être arrêtés, car on ne nous arrête pas facilement, ce sont les flics qui le 14 mai 1971 ont tiré les premiers. Les flics ont chaque fois tiré à bout portant. Nous n'avons, en général, pas tiré, et si nous l'avons fait, à Berlin, à Nuremberg ou à Francfort, ce n'était pas à bout portant. Cela est facile à prouver car cela est vrai. Nous ne faisons pas." usage sans précaution des armes à feu ". Le flic qui se trouve en contradiction entre son rôle de sous-fifre et sa fonction de laquais des capitalistes, entre son état de salarié et sa fonction de chien de garde du capital monopoliste, n'est pas obligé d'exécuter les ordres. Nous tirons quand on nous tire dessus. Le flic qui nous laisse courir, noua le laissons aussi s'en tirer.

II est juste de croire que cet immense dispositif n'est pas seulement mis en place contre nous, mais aussi contre toute la gauche socialiste en République fédérale et à Berlin-Ouest. Ni le peu d'argent que nous avons dû prendre13, ni les vols de voitures ou de documents14 pour lesquels nous sommes recherchés, ni la tentative de meurtre15 qu'on cherche à nous mettre sur le dos, ne justifient cette mise en scène. Ceux qui croyaient déjà avoir musclé l'Etat, ses habitants, ses classes sociales, ses contradictions, avoir limité le rôle des intellectuels à leurs revues, enfermé les gauchistes dans leurs cercles d'études, désarmé le marxisme-léninisme, ceux-là commencent à avoir la trouille. Le pouvoir qu'ils représentent n'est pourtant pas aussi vulnérable que leur effarouchement veut nous le faire croire. Leur comportement hystérique lie doit en aucun cas nous entraîner à leur répondre sur le même ton triomphaliste.

Nous affirmons que l'organisation de groupes de résistance armée est actuellement en République fédérale et à Berlin-Ouest juste, possible et justifiée, de même que le début de la guérilla urbaine. La lutte. armée compte "forme suprême du marxisme-léninisme" (Mao) est dès maintenant possible et indispensable pour mener la lutte anti-impérialiste dans lei métropoles.

Nous ne disons pas qu'on peut remplacer des organisations prolétariennes légales par ces groupes illégaux de résistance armée, la lutte des classes par des actions isolées, le travail politique dans les usines et dans les quartiers par la lutte armée. Nous affirmons seulement que le développement et le succès de l'un suppose l'autre. Nous ne sommes ni des blanquistes, ni des anarchistes, bien que nous tenions Blanqui pour un grand révolutionnaire et que nous ne méprisions nullement l'héroïsme de nombre d'anarchistes.

Nous n'avons pas un an de pratique. C'est trop peu pour vouloir déjà juger du résultat. Mais à cause de la publicité que nous font messieurs Genscher16, Zimmermann et Cie, il nous paraît opportun, pour la propagande, de faire déjà quelques remarques.

"Si vous voulez savoir ce que pensent les communistes, regardez leurs mains et non leur bouche ", a dit Lénine.

2. LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE

"La crise ne naît pas tant de l'arrêt des mécanismes de développement que du développement lui-même. Ayant pour but le pur accroissement du profit, ce développement favorise de plus en plus le parasitisme et le gaspillage, relègue des couches entières de travailleurs en marge de la société, produit des besoins croissants qu'il ne parvient pas à satisfaire et accélère la désagrégation de la vie sociale. Seul, un monstrueux appareil de manipulation de l'opinion et de répression ouverte peut contrôler les tensions et les révoltes ainsi alimentées ! La rébellion des étudiants et du mouvement noir en Amérique, la crise de l'unité politique de la société américaine, l'extension des luttes étudiantes en Europe, la reprise vigoureuse et les nouveaux contenus de la lutte ouvrière et de la lutte de masse, jusqu'à l'explosion du Mai français, jusqu'à la tumultueuse crise sociale de l'Italie et la reprise de l'insatisfaction en Allemagne, telles sont les grandes lignes de ce tableau."
(Il Manifesto, Pour le Communisme, thèse 33.)

Les camarades du Manifesto mentionnent la République fédérale en dernière position et caractérisent sa situation par le terme vague d'insatisfaction. L'Allemagne, dont Barzel17 disait, il y a six ans, qu'elle était un géant économique en même temps qu'un nain politique, a conservé sa puissance économique tout en accroissant à l'intérieur et à l'extérieur son audience politique. La constitution de la grande coalition de 196618 avait pour but de désamorcer la dangereuse situation politique créée par la récession montante. Les lois d'urgence étaient l'instrument unifié qui allait permettre l'intervention de la classe dominante tant à ce moment que dans les crises à venir; elles assuraient l'unité de la réaction et de tous ceux qui étaient encore attachés à la légalité. La coalition des libéraux et des sociaux-démocrates est parvenue à récupérer " l'insatisfaction " qui se manifestait à travers les mouvements étudiants et extra-parlementaires tant que le réformisme de la social-démocratie pouvait encore leurrer, par des promesses, ses sympathisants en repoussant, pour une grande partie de l'intelligentsia, l'actualité d'une alternative communiste qui aurait dû être à la pointe de. la luth anti-capitaliste. La c politique à l'Est " ouvre au capital de nouveaux marchés et représente l'apport. allemand à l'équilibre et à l'alliance entre l'impérialisme américain et l'Union soviétique, dont les Etats-Unis ont besoin pour avoir les mains libres dans leur agression contre le Tiers-Monde. Ce gouvernement semble aussi réussir à séparer la nouvelle gauche des anciens combattants anti-fascistes et à la couper, une fois de plus, de son histoire, celle du mouvement ouvrier. Le Parti communiste allemand, qui doit à la nouvelle complicité entre l'impérialisme américain et le révisionnisme soviétique l'autorisation de se reconstituer, a organisé des manifestations en faveur de cette politique à l'Est. Niemöller 19, symbole de la lutte contre le fascisme, sert de caution pour les luttes électorales des sociaux-démocrates.

Sous le couvert de " l'intérêt général ", le dirigisme étatique tient en bride les syndicats par le biais des contrats de progrès et de la concertation. Les grèves de septembre 1969 ont montré qu'on avait passé la mesure en faveur du profit, et combien on tenait bien en main leur déroulement tant qu'elles restaient purement économiques ".

Malgré la présence de près de deux millions de travailleurs étrangers, la République fédérale peut supporter un taux de chômage voisin de 10 % dans des conditions de récession menaçante. Pour ne pas avoir à craindre les conséquences de la radicalisation politique de cette armée de chômeurs, la seule force du système résidera dans l'accroissement de la terreur et des mécanismes d'embrigadement. Sous le couvert de l'aide militaire et économique, le gouvernement allemand participe aux guerres d'agression des Etats-Unis et profite de l'exploitation du Tiers-Monde, sans en supporter la responsabilité et sans se trouver confronté à une opposition intérieure. Bien qu'aussi agressif que l'impérialisme américain, il est cependant davantage inattaquable. Les possibilités de l'impérialisme dans leur variante réformiste ou fasciste, pas plus que sa capacité à intégrer ou à réprimer ses propres contradictions, ne sont encore épuisées. La conception de la guérilla urbaine de la Fraction Armée Rouge n'est pas basée sur une appréciation trop optimiste de la situation en Allemagne fédérale et à Berlin-Ouest.

3. LA RÉVOLTE ÉTUDIANTE

"De la connaissance du caractère unitaire du système de domination capitaliste résulte l'impossibilité de séparer la révolution dans les points " culminants " de celle des " régions arriérées ". Sans une relance de la révolution en Occident, on ne peut empêcher avec certitude l'impérialisme, entraîné par sa logique de violence, de chercher un débouché dansune guerre catastrophique, ou les .superpuissances d'imposer au monde un joug écrasant."
(II Manifesto, thèse 52.)

Rabaisser le mouvement étudiant au niveau d'une révolte petite-bourgeoise, c'est le réduire à la surestimation de luimême; c'est nier qu'il provient de la contradiction concrète entre l'idéologie et la société bourgeoise ; c'est rejeter, sans en voir les limites, le niveau théorique que leur contestation anti-capitaliste avait déjà atteint.

Bien exagéré était le pathos avec lequel les étudiants prenaient conscience de leur misère psychique dans les usines du savoir et avec lequel ils s'identifiaient avec les peuples exploités d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie. Comparer le tirage massif de la Bild Zeitung20 Il aux bombardements massifs sur le Vietnam n'était qu'une grossière simplification ; de même, la comparaison entre la critique idéologique du système ici et la lutte armée là-bas. Croire, avec Marcuse, (lue les étudiants étaient le sujet révolutionnaire opposé à la forme réelle de la société bourgeoise et à ses rapports de production était la preuve de l'ignorance estudiantine.

En République fédérale et à Berlin-Ouest, il revient au mouvement étudiant d'opposer la violence à la violence par des combats (le rue, des incendies, et, en dépit de son propre pathos et de ses illusions exagérées, de reformuler, par la pratique, à l'usage, au moins, des intellectuels, le marxisme-léninisme comme la théorie politique sans laquelle les faits politiques. économiques et idéologiques, ainsi que leur formes d'apparition, ne peuvent être expliqués, leurs connexions intérieures et internationales

C'est parce qu'il n'a pas été initié seulement idéologiquement, mais concrètement, à 1à contradiction entre l'idéologie de l'autonomie de la science et la réalité de la mainmise du capital monopoliste sur l'Université, que le mouvement étudiant a pu établir le lien, au moins en théorie, entre la crise de l'Université et celle du capitalisme.

II est devenu clair pour les étudiants et leurs sympathisants que ta démocratie n'est basée ni sur la devise " Liberté, Egalité, Fraternité ", ni sur la Déclaration des droits de l'Homme, ni sur la Charte de l'O. N. U., mais sur les mêmes principes que l'exploitation colonialiste et impérialiste de l'Amérique Latine, de l'Afrique et (le l'Asie : discipline, assujettissement et brutalité pour les opprimés et ceux qui ont choisi de protester, de résister et de mener la lutte anti-impérialiste leurs côtés.

Par sa critique idéologique, le mouvement étudiant a saisi J'ensemble de la répression exercée par l'Etat comme
expression de l'exploitation impérialiste. " Expropriez Springer ! Brisez l'O. 'l'. A. N. ! Luttez contre Luttez contre le terrorisme de la société de consommation ! Luttez contre le terrorisme de l'éducation ! Luttez contre le terrorisme des loyers ! ", tels étaient les justes mots d'ordre durant la campagne contre Springer pendant les manifestations contre l'agression américaine au Vietnam. pendant la campagne contre la justice de classe contre l'armée, contre les lois d'urgence et dans le mouvement lycéen. Ils visaient à actualiser dans la conscience de tous les opprimés les contradictions du capitalisme à son stade suprême : contradictions entre les nouveaux besoins et leur satisfaction possible par le développement des forces productives d'un côté ; et de l'autre, assujettissement irrationnel croissant dans la société de classes.

Ce n'était pas le développement de la lutte des classes ici qui leur donnait confiance en eux-mêmes, mais la conscience de faire partie d'un mouvement international, de s'affronter aux mêmes ennemis de classe que les Vietcong, aux mêmes tigres en papier, aux mêmes flics.

Le deuxième mérite du mouvement étudiant est d'avoir brisé le cloisonnement de l'ancienne gauche et son .: provincialisme " : sa stratégie de front populaire (Ostermarsch, Deutsche Friedensunion, Deutsche Volkszeitung21), son espoir insensé en un grand bouleversement par voie d'élections, sa R fixation " parlementariste, sur Strauss ici, sur Heinemann là, son entêtement pro ou anti-communiste quant à la R. D. A., son isolement, sa résignation, ses déchirements ; prête à tous les sacrifices, incapable de concevoir la moindre pratique. La fraction socialiste du mouvement étudiant, malgré ses incertitudes théoriques, a pris conscience de sa force à travers une idée juste : " Le mouvement révolutionnaire occidental peut aujourd'hui compter sur la crise de l'équilibre global du monde et sur la maturation de forces nouvelles dans tous les pays. :. (Il Manifesto, thèse 55.) Le contenu de la propagande et de l'agitation des étudiants a été principalement déterminé par eux eu égard à la situation allemande : face à la stratégie globale de l'impérialisme, les perspectives de lutte nationale en Allemagne devaient être internationales, l'initiative révolutionnaire pouvait se renforcer en liant les contenus nationaux et internationaux, les formes traditionnelles et internationalistes de lutte. Ils ont fait de leur faiblesse leur force eu comprenant que la résignation répétée, le cloisonnement, le réformisme, la stratégie de front populaire, l'intégration n'étaient qu'un cul de-sac pour le socialisme dans des conditions pré ou postfascistes comme celles de la République fédérale ou de Berlin-Ouest.

Les gauchistes savaient alors qu'il était juste de lier la propagande socialiste dans les usines à des mesures pour -empêcher la diffusion de la Bild Zeitung; juste de lier la propagande pour que les Gl's ne se laissent pas envoyer au Vietnam à des attaques effectives contre les avions destinés au Vietnam ; juste de lier la campagne contre l'armée allemande à des attaques réelles contre les bases aériennes de l'O. T. A. N. ; juste de dénoncer la justice de classe tout en faisant sauter les murs des prisons, d'attaquer verbalement Springer et de désarmer ses gardes-chiourmes, juste de monter ses propres émetteurs, de démoraliser la police, de fournir des cachettes aux déserteurs, de pouvoir falsifier des papiers d'identité pour l'agitation auprès des travailleurs immigrés et d'empêcher la production de napalm par des sabotages dans les entreprises.

IL aurait été erroné de faire dépendre la propagande de l'offre et de la demande : pas de journal si les ouvriers ne peuvent pas encore le financer, pas de voiture si le " mouvement - ne peut pas encore les acheter, pas d'émetteur sans autorisation, pas de sabotage si ça n'achève pas le capitalisme tout de suite.

Le mouvement étudiant s'est dissous lorsque sa forme d'organisation spécifiquement étudiante et petite-bourgeoise, les camps de vacances anti-autoritaires, s'est révélée inapte à développer une pratique répondant à ses objectifs et que sa spontanéité n'a pu ni s'étendre à l'usine, ni mettre sur pied la guérilla urbaine, ni se transformer en organisation de masse. II s'est dissous lorsque l'étincelle qu'il portait n'est pas devenue, à la différence de ce qui s'est passé en France et en Italie, l'incendie de la lutte des classes. Il pouvait nommer les objectifs et le contenu de la lutte anti-impérialiste, mais n'étant pas lui-même le sujet révolutionnaire, il ne pouvait les faire passer à un niveau organisationnel.

A la différence des organisations " prolétariennes " de la nouvelle gauche, la Fraction Armée Rouge ne nie pas que sa préhistoire appartient à l'histoire (lu mouvement étudiant qui a reformulé le marxisme-léninisme comme arme de la lutte des classes et fait apparaître le contexte international de la lutte révolutionnaire dans les métropoles.

4. PRIMAUTÉ DE LA PRATIQUE

" Pour connaître directement tel phénomène ou tel ensemble de phénomènes, il faut participer personnellement à la lutte pratique qui vise à transformer !a réalité, à transformer ce phénomène ou cet ensemble de phénomènes, car c'est le seul moyen d'entrer en contact avec eux en tant qu'apparences; de même, c'est là le seul moyen de découvrir l'essence de ce phénomène ou de cet ensemble de phénomènes, et de les comprendre.. (...)
" Mais le marxisme accorde une grande importance à la théorie justement et uniquement parce qu'elle peut être un guide pour l'action. Si, étant arrivé. à une théorie juste, on se contente d'en faire un sujet de conversation, pour la laisser, ensuite, de côté, sans la mettre en pratique, cette théorie, si belle qu'elle puisse être, reste sans intérêt."
(Mao Tsé-toung, De la pratique.)

Pour les gauchistes et les socialistes qui étaient pendant un moment à la tête du mouvement étudiant, revenir à l'étude du socialisme scientifique, actualiser la critique de l'économie politique en tant qu'autocritique du mouvement étudiant a été une régression vers des travaux livresques. Au vu de la quantité de papier qu'ils noircissaient, de leurs modèles organisationnels, du mal qu'ils se donnaient pour tout expliquer, on pouvait croire qu'ici les révolutionnaires revendiquaient la direction des luttes de classes comme si l'année 1967,' 1968 était le 1905 du socialisme en Allemagne. Si Lénine soulignait en 1902 dans Que faire? le besoin de théorie des ouvriers russes et si, contre les anarchistes et les socialistesrévolutionnaires, il posait la nécessité d'une analyse de classe, d'une organisation et d'une propagande pour démasquer la bourgeoisie, c'est parce que se déroulaient partout de violentes luttes de classes. " C'est justement à travers les infamies de la vie russe que les masses ouvrières vont se réveiller avec force et nous ne savons pas même réunir, concentrer, si l'on peut s'exprimer ainsi, toutes les gouttes et les rigoles (les passions populaires qui sourdent de la vie russe cri foule innombrable, plus grandes que nous ne l'imaginons ou ne le croyons et qui doivent être unies en un fleuve tempétueux. " (Lénine, Que faire ?)

Nous doutons qu'il soit actuellement possible, cri République fédérale et à Berlin-Ouest, de développer une stratégie unificatrice de la classe ouvrière, de bâtir une organisation qui puisse exprimer et impulser le processus d'unification nécessaire. Nous doutons que l'alliance entre les intellectuels socialistes et le prolétariat puisse être soudée par des déclarations de programmes ou être obtenue par la prétention de créer des organisations prolétariennes.

Nous affirmons qu'il ne peut y avoir de processus d'unification sans initiative révolutionnaire, sans l'intervention pratique d'une avant-garde formée des ouvriers et des intellectuels socialistes, sans lutte asti-impérialiste concrète. Nous affirmons que l'alliance entre eux ne peut se réaliser que. dans une lutte commune dans laquelle la fraction la plus consciente des ouvriers et des intellectuels ne dirige pas la a mise en scène ", mais montre l'exemple.

Dans la production " théorique " des organisations, nous reconnaissons une pratique qui consiste essentiellement en joutes d'intellectuels qui, devant un jury imaginaire qui ne peut pas être la classe ouvrière avec laquelle ils n'ont aucun langage commun, l'emportent pour la meilleure interprétation de Marx. Ils sont davantage gênés de faire de fausses citations de Marx que de mentir lorsqu'il est question de leur pratique. Ils donnent avec plus de précision la référence de leurs citations que le nombre de membres de leurs organisations. Ils craignent plus le reproche d'impatience révolutionnaire que leur pourrissement dans des professions bourgeoises. Ils préfèrent mettre en chantier une longue thèse sur Lukacs que se laisser influencer tout de suite par Blanqui. Leur internationalisme se manifeste dans l'échelle des notes qu'ils donnent aux différentes organisations palestiniennes, du haut de leurs chaires de censeurs d'un marxisme de mécènes : leur activité se limite à quêter auprès de leurs amis riches au nom du Black Panther Party ; ils portent à leur crédit, en vue du jugement dernier, ce qu'on leur donne par mauvaise conscience alors que leur premier souci, plutôt que la victoire de la guerre populaire, est de jouir de leur bonne conscience. Ce ' ne sont point là des méthodes d'intervention révolutionnaire.

Dans son Analyse des classes de la société chinoise (1926), Mao oppose la lutte de la révolution et de la contre-révolution : " Chacune d'elles a levé un immense drapeau : l'un est le drapeau rouge de la révolution et c'est la IIIè Internationale qui l'a levé, afin de rallier autour de lui toutes les classes opprimées du monde ; l'autre est le drapeau blanc de la contre-révolution, et c'est la Société des Nations qui l'a levé afin de rallier autour de lui toutes les forces contre révolutionnaires du monde. " Mao distinguait les classes de la société chinoise selon qu'elles se plaçaient sous le drapeau rouge ou sous le drapeau blanc pendant le cours de la révolution en Chine. Il ne se contentait pas d'analyser la situation économique de ces différentes classes de la société chinoise : leur attitude vis-à-vis de la révolution faisait partie de son analyse.

Les marxistes-léninistes rte joueront pas le rôle dirigeant dans les luttes de classes si l'avant-garde ne tient pas haut le drapeau rouge de l'internationalisme prolétarien et si aucune pratique ne la prépare à résoudre la question de l'édification de la dictature du prolétariat, de son pouvoir politique, et de la destruction du pouvoir de la bourgeoisie. L'analyse de classe dont nous avons besoin ne se fait pas sans pratique et initiative révolutionnaires.

La lutte contre l'intensification de l'exploitation, pour la réduction de la journée de travail, contre le gaspillage de la richesse sociale, pour l'égalité des salaires entre hommes, femmes et travailleurs immigrés, contre les cadences infernales, bief toutes les " - revendications de transition révolutionnaires - ï. que les. organisations prolétariennes ont posées ici et là, ne sont rien d'autre que de l'économisme syndicaliste, tant que la question de la destruction de la pression politique, militaire et idéologique ne trouve pas de réponse et qu'elles ne sont pas reprises par les ouvriers. Sans cela, il est vain d'entreprendre la lutte et de vouloir la mener à la victoire lorsque " vaincre suppose que l'on accepte le principe selon lequel la vie n'est pas, le bien suprême pour les révolutionnaires " (Debray). Avec ces revendications, on ne peut intervenir que sur le plan syndical : " La politique trade-unioniste de la classe ouvrière n'est que la politique bourgeoise de la classe ouvrière. " (Lénine.) Ce ne sont pas là des méthodes d'intervention révolutionnaire.

Les prétendues organisations prolétariennes qui passent sous silence la question des armes comme riposte aux lois d'urgence, à l'armée, à la police, à la presse Springer, se distinguent du Parti communiste allemand en ce qu'elles sont encore moins ancrées dans les masses, plus extrémistes en paroles et font plus de théorie. Elles luttent pratiquement sur le plan des droits civiques comme ceux qui, pour être populaires à tout prix, laissent croire, main dans la main avec la bourgeoisie, qu'on peut encore changer quelque chose par la démocratie parlementaire : elles appellent le prolétariat à des luttes perdues d'avance devant le potentiel de violence dont peut se servir avec barbarie cet Etat. Debray écrit à propos de certains partis ou fractions marxistes léninistes qu'ils évoluent dans l'orbite de la bourgeoisie et qu'ils contribuent à la renforcer plutôt qu'à la changer.

Aux milliers d'apprentis et de jeunes, politisés par le mouvement étudiant et refusant de participer - à l'exploitation en usine, ces organisations n'offrent aucune autre perspective politique que de supporter encore la pression de l'exploitation capitaliste. Envers la délinquance juvénile, ils adoptent pratiquement l'attitude de directeurs de prisons ; envers les camarades en tôle, celle de leurs juges ; envers la culture underground, celle d'assistantes sociales.
Sans lien avec la pratique, la lecture du Capital n'est rien d'autre qu'une étude bourgeoise, les déclarations de programme, du baratin, et l'internationalisme prolétarien, un mot ronflant. Se mettre théoriquement du côté du prolétariat signifie s'y mettre aussi en pratique.

La Fraction Armée Rouge pose la primauté de la pratique. Il est juste d'organiser la résistance armée, si cela est possible ; et c'est par la pratique que se décide si cela est possible.

5 LA GUÉRILLA URBAINE

" Ainsi, considérés dans leur essence, · du point de vue de l'avenir et sous l'angle stratégique, l'impérialisme et tous les réactionnaires doivent être tenus pour ce qu'ils sont : des tigres en papier. C'est là-dessus que se fonde notre pensée stratégique. D'autre part, ils sont aussi des tigres vivants, des tigres de fer, de vrais tigres; ils mangent les hommes. C'est là-dessus que se fonde notre pensée tactique."
(Mao Tsé-toung.)

S'il est vrai que l'impérialisme américain est un tigre en papier, cela signifie qu'il peut être finalement vaincu. Si la victoire sur lui est devenue possible, si on le combat dans chaque coin de la terre de façon à le forcer à diviser ses forces et s'il est possible de l'abattre à cause de cette division, si la thèse des communistes chinois est juste, il n'existe alors aucune raison pour tenir quelque pays ou quelque région que ce soit hors de la lutte anti-impérialiste sous prétexte que les forces de la révolution y sont faibles alors que celles de la réaction y sont fortes. Et de la même façon qu'il est erroné de décourager les forces de la révolution en les sous-estimant, il est pareillement erroné de ne leur proposer que des discussions où elles vont s'échauffer et se laisser abattre. La contradiction entre les camarades sincères des organisations - laissons les baratineurs de côté et la Fraction Armée Rouge réside en ce que nous les accusons de décourager les forces de la révolution, alors qu'eux nous soupçonnent de les sacrifier. Le sens général des reproches formulés par la Fraction Armée Rouge et une partie des camarades qui travaillent dans les quartiers et les usines, est juste même si ces reproches sont parfois exagérés. Dogmatisme et aventurisme sont depuis longtemps les déviations caractéristiques de la faiblesse de la révolution dans un pays. Depuis longtemps, les anarchistes ont été les critiques les plus féroces de l'opportunisme et on accuse ainsi d'anarchisme quiconque critique l'opportunisme. C'est bien connu. La conception (le la guérilla urbaine vient d'Amérique Latine. Ce n'est là-bas rien d'autre que ce que cela pourrait être ici : un mode d'intervention révolutionnaire de forces révolutionnaires généralement faibles.

La guérilla urbaine part du principe qu'il n'existe pas de voie toute tracée par laquelle d'hypothétiques révolutionnaires entraîneraient dans un ordre prussien le peuple à la lutte révolutionnaire. La guérilla urbaine part du fait qu'il sera trop tard pour penser à la lutte armée quand la situation sera mûre. Elle s'appuie sur la constatation que, même quand le développement du capitalisme aura créé de meilleures conditions que maintenant, il n'y aura pas, dans un pays comme l'Allemagne fédérale où le potentiel de violence est si fort et les traditions révolutionnaires si faibles, d'orientation révolutionnaire sans initiatives révolutionnaires. La guérilla urbaine est issue de la longue négation de la démocratie parlementaire par ses représentants eux-mêmes ; c'est l'inévitable réponse aux lois d'urgence et à la loi sur les grenades22 c'est la disposition à combattre le système avec les moyens qu'il utilise pour anéantir ses adversaires. La guérilla urbaine est basée sur la reconnaissance des faits et non sur leur mythification.

Ce que peut faire la guérilla urbaine, le mouvement étudiant le savait déjà en partie. Elle peut concrétiser l'agitation et la propagande auxquelles est encore limité le travail de la gauche. C'est valable pour la campagne Springer, pour la campagne des étudiants de Heidelberg contre Cabora Bassa23, pour les occupations de maisons à Francfort, pour l'aide militaire que fournit la. République fédérale aux régimes compradores d'Afrique, pour la justice des classes et le système des prisons, pour la police patronale et la justice dans l'usine. La guérilla urbaine peut concrétiser l'internationalisme prolétarien en fournissant des armes et de l'argent. Elle peut émousser l'une des armes du système, l'interdiction du mouvement communiste, en organisant la clandestinité qui le met à l'abri de la police. La guérilla urbaine est une arme de la lutte de classes.

La guérilla urbaine doit être une lutte armée ; la police n'hésite pas à faire image de ses armes, la justice à libérer Kurra24 et à laisser moisir nos camarades à -l'ombre, si nous ne l'empêchons pas. Choisir la guérilla urbaine, c'est ne pas se laisser démoraliser par la violence du système.

La guérilla urbaine a pour but de toucher l'appareil d'État en des points précis, de le mettre hors d'usage, de détruire le mythe de l'omniprésence et de l'invulnérabilité du système. La guérilla urbaine suppose l'organisation d'un appareil clandestin : logements, armes, munitions, voitures, papiers. II faut bien avoir en tête ce que Marighella décrit dans son Mini-manuel de guérilla urbaine ; ce que nous savons en plus, bien que ce soit peu, nous sommes prêts à le dire à qui veut le mettre en pratique.

Il est important d'avoir l'expérience du travail politique légal avant de passer à la lutte armée, et il est bon, pour cela, de se lier pour un temps aux organisations de la gauche révolutionnaire.
La Fraction Armée Rouge et la guérilla urbaine représentent le groupe et la pratique les plus activement combattus parce qu'ils tracent une ligne de démarcation bien nette avec l'ennemi qui a compris le danger.

Notre conception originelle de l'organisation impliquait la liaison de la guérilla urbaine et du travail à la base. Nous voulions que chacun d'entre nous travaille dans les quartiers et les usines, dans les groupes socialistes déjà existants, influence la discussion, fasse des expériences et apprenne. Cela s'est révélé impossible. Le contrôle de la police politique sur ces groupes, sur leurs réunions, rendez-vous, discussions, est déjà si étendu qu'il est impossible d'y participer sans être fiché. II n'est pas possible à celui qui est isolé de lier le travail légal au travail illégal.

La guérilla urbaine suppose que ses membres soient clairement motivés, pour qu'ils ne se laissent pas démoraliser par les attaques style Bild Zeitung qui plaque sur les révolutionnaires les syndromes d'antisémites, de criminels, de sous-hommes, d'assassins et d'incendiaires, bref toute cette merde qui laisse toujours des traces dans la tête de quelques camarades.

Car il est certain que le système ne cède pas de terrain sans lutte et qu'il n'est aucun moyen, calomnie comprise, qu'il hésite à nous opposer.

Chaque fraction de l'opinion publique cherche à profiter d'une façon ou d'une autre du capitalisme et, hors de cercles restreints, il n'y a pas encore d'opinion publique socialiste ayant rompu avec le mode de vie et de pensée bourgeois. Il n'y a aucune publication qui ne soit contrôlée directement par le capital et ses grands groupes de presse et indirectement par les pressions exercées sur les conseils de rédaction déjà formés de journalistes perméables à elles. L'opinion dominante est l'opinion de la classe dominante qui se partage le marché de l'information, qui développe des idéologies appropriées aux différentes couches sociales et qui met tout ce qu'elle publie au service de son auto-affirmation. La catégorie journalistique, c'est la vente, c'est-à-dire l'information comme marchandise, comme produit de consommation et tout ce qui ne rentre pas dans ce cadre les emmerde. La liaison avec le public, par la publicité et le contrôle de son impact, ne laisse pas de place au développement de contradictions antagonistes. Qui veut garder sa place sur le marché doit être au service du plus puissant manipulateur de l'opinion : la dépendance envers le trust Springer grandit avec le trust lui-même qui a commencé d'acheter la presse locale. D'un tel public, la guérilla urbaine ne peut attendre qu'impitoyable aversion et son seul arbitre doit être la critique et l'autocritique marxiste." Qui n'a pas peur d'être écartelé ose renverser l'empereur de son cheval " a dit Mao.

Le travail de longue haleine et le travail au jour le jour sont les postulats de la guérilla urbaine. Il faut agir sans possibilité de retour à la vie bourgeoise, sans pouvoir ou vouloir mettre la révolution au clou, avec la conviction qu'a exprimée Blanqui : s Le devoir d'un révolutionnaire est de toujours lutter, de lutter malgré tout, de lutter jusqu'à la mort. " Ceci est et a toujours été le principe de la lutte révolutionnaire : en Russie, en Chine, à Cuba, en Algérie, en Palestine, au Vietnam.

Certains disent que les possibilités politiques d'agitation, de propagande et d'organisation sont encore loin d'être épuisées et que, seulement lorsqu'elles le seront, pourra se poser la question des armes. Nous disons : il ne sera pas vraiment possible de profiter des possibilités politiques tant que la lutte armée n'apparaîtra pas clairement comme le but de la politisation, tant que derrière la conception tactique selon laquelle tous les réactionnaires sont des bandits, des meurtriers, des exploiteurs, n'apparaîtra pas la conception stratégique selon laquelle ils ne sont que des tigres en papier.

De la propagande armée, nous ne ferons pas que parler, nous la mettrons en pratique. On n'a pas libéré Baader pour des raisons de propagande, mais simplement pour qu'il soit libre. On nous met sur le dos de nombreuses attaques de banques qui n'auraient eu d'autre but que de piquer du fric. En nous peignant sous les couleurs les plus sombres, comme le dit Mao, l'ennemi nous crédite de grands succès qui ne sont pas toujours les nôtres. La publicité faite autour de nous, nous la devons surtout à l'exemple des camarades latino-américains qui ont tracé une nette ligne de démarcation entre eux et l'ennemi. En nous soupçonnant d'avoir attaqué quelques banques, la bourgeoisie nous attaque aussi "énergiquement " que si ce que nous commençons de construire existait déjà : la guérilla urbaine de la Fraction Armée Rouge.

6. LÉGALITÉ ET ILLÉGALITÉ

Le développement de la révolution en Occident, la contestation du pouvoir capitaliste à l'intérieur de ses places-fortes sont à l'ordre du jour et ont une signification décisive. II n'existe dans le monde ni l'endroit, ni les forces capables de garantir une évolution pacifique et une stabilisation démocratique ; rauque ; la crise tend à s'aggraver. S'enfermer dans des horizons bornés ou repousser la lutte à plus tard, c'est .se laisser emporter par la dégénérescence totale ambiante." (Il Manifesto, thèse 55.)

Le mot d'ordre des anarchistes "A bas ce qui vous abat" vise à la mobilisation directe de la base, de la jeunesse dans les prisons, dans lek foyers, dans les écoles, pendant les études. 11 s'adresse à ceux qui sont le plus dans la merde. Il peut être spontanément compris. II appelle à la résistance directe. C'est exactement ce qu'exprimait le mot d'ordre pour le pouvoir noir de Stokely Carmichael : "N'aie confiance qu'en ta propre expérience ! " Ce mot d'ordre part de l'idée que tout ce qui déprime, torture, brime, étouffe; trouve son origine dans les rapports de production capitalistes et que chaque oppresseur est un ennemi de classe parce qu'il représente l'intérêt du capital.

En ce sens, le mot d'ordre des anarchistes est un outil juste et prolétarien de la lutte de classes. Mais il est faux dans la mesure où il véhicule la croyance que tout peut se régler par des cassages de gueule et où il considère l'organisation, l'analyse de classe et la discipline comme superflues, bourgeoises et de deuxième ordre. Les anarchistes sont sans protection face à l'aggravation de la répression qu'entraînent leurs actions et ils se font facilement arrêter pour ne pas avoir pris en considération, au niveau de l'organisation, la dialectique de la légalité et de l'illégalité. La position de certaines organisations, affirmant que "les communistes ne sont pas assez simplistes pour passer d'eux-mêmes dans 1a clandestinité n, fait écho à la justice de classe et à rien d'autre. Cela serait juste si cela signifiait qu'il faut absolument utiliser toutes les possibilités d'agitation et de propagande, d'organisation et de lutte économique et politique et qu'il ne faut pas les négliger ni les risquer inconsidérément. Mais ce n'est pas ce que ces organisations veulent dire. Pour elles, cela signifie que les limites, fixées par l'Etat et. sa justice au travail d'agitation, sont suffisamment élastiques pour qu'on n'en ait pas encore épuisé toutes les possibilités et qu'il faut donc respecter ces limites, céder devant les abus illégaux de l'Éttat puisque, de toute façon, ils seront légalisés après coup. Légalité à tout prix ! Incarcérations illégales, jugements terroristes, abus policiers, chantages et pressions de procureurs - marche ou crève ! " Les communistes ne sont pas assez, etc. " répondent toujours ces organisations !

Cette position est opportuniste. Elle n'exprime aucune solidarité. Elle ne tient pas compte des camarades en prison. Elle exclut la politisation et l'organisation dans le mouvement socialiste de ceux qui, par leur origine et leur situation sociales, ne peuvent survivre qu'en devenant des criminels : les marginaux, le sous-prolétariat, d'innombrables jeunes prolétaires, les travailleurs immigrés. Elle taxe de criminels en puissance tous ceux qui ne veulent pas se lier aux .organisations. Elle montre le lien réel de ces organisations avec la justice de classe. Elle est bête.

La légalité est une question de pouvoir. Le rapport entre la légalité et l'illégalité est déterminé par la contradiction entre l'exercice d'un pouvoir réformiste et d'un pouvoir fasciste. Ce qui incarne actuellement cette contradiction, c'est, d'un côté, la coalition des socialistes et des libéraux, la Süddeutsche Zeitung, Stern, le troisième programme des radios de Cologne et Berlin, la Frankfurter Rundschau et enfin les méthodes de la police de Munich et la justice administrative ; et de l'autre côté, le tandem Barzel / Strauss, le trust Springer, la radio berlinoise, la deuxième chaîne de la télévision, le Bayernkurier, la police berlinoise et la Cour fédérale de justice.

La ligne réformiste vise à fuir les conflits par des promesses de réformes (système pénal), en éliminant des anciens points de friction (agenouillement du chancelier en Pologne), en évitant les provocations (les méthodes souples de la police de Munich et les tribunaux administratifs à Berlin), en reconnaissant verbalement certains défauts (le système d'enseignement public à Berlin et dans la Hesse). Sa tactique consiste à se mouvoir, le code pénal sous le bras, à cheval sur la légalité, ce qui lui donne une apparence de légitimité. Elle vise à l'intégration des contradictions, à la récupération de la critique de gauche, et sert à conserver les "Jungsozialisten"25 en son sein. On ne doute pas que la ligne réformiste ne renforce à long terme la domination capitaliste qui suppose néanmoins la prospérité économique. La ligne souple de la police de Munich coûte infiniment plus cher que la ligne dure de la pouce de Berlin, comme l'a subtilement expliqué le chef de la première nommée : "1 000 personnes seront contenues par deux policiers armés de mitrailleuses, ou par 100 dotés de matraques, ou par 3 ou 400 les mains nues". La ligne réformiste suppose aussi que l'opposition anti-capitaliste soit peu ou pas du tout organisée comme on l'a vu à Munich.

Sous le couvert du réformisme politique, s'accroît partout la monopolisation du pouvoir économique et étatique que Schiller a réalisé par sa politique économique et que Strauss a fait passer avec sa réforme financière : intensification de l'exploitation par l'intensification et la division du travail dans le domaine de la production, par des méthodes de rationalisation d long terme dans le domaine de l'administration et des services publics.

Comme l'a montré le mouvement étudiant et le mouvement de mai à Paris, l'accumulation de la violence dans les mains de quelques-uns se fait avec d'autant moins de résistance qu'elle se fait sans bruit, et sans provocation inutile, afin de ne pas risquer de créer d'incontrôlables mouvements de solidarité. C'est pourquoi les cellules rouges à la faculté ne sont pas encore interdites, le P. C. a été autorisé sous le nom de D. K. P., il y a encore des émissions de télévision libérales, et quelques organisations peuvent se croire moins bêtes qu'elles ne sont.

La marge légale qu'offre le réformisme est la réponse du capital .aux attaques du mouvement étudiant et de l'opposition extra-parlementaire. La réponse réformiste est la plus efficace tant qu'on peut l'utiliser. Miser sur cette légalité, la prolonger mythiquement, la gonfler statistiquement, vouloir seulement la défendre, tout cela signifie répéter les erreurs stratégiques des foyers de guérilla d'Amérique Latine, n'avoir rien appris, laisser le temps à la réaction de se former et de se réorganiser non plus pour interdire la gauche, mais pour l'abattre.

Willy Weyer 26 ne joue même pas sur la tolérance, mais manoeuvre et rétorque d la presse libérale qui le critique de transformer par ses alcooltests chaque automobiliste en criminel : "Nous continuerons ", montrant par là l'insignifiance d'une opinion publique libérale. Eduard Zimmermann transforme tout un peuple en policiers, le trust Springer a la police berlinoise d ses ordres, l'éditorialiste de la Bild Zeitung, Reer, dicte aux juges les mandats d'arrêts. Le c new look " que l'administration Brandt-Scheel-Heinemann a donné d la politique de Bonn n'est que la façade qui cache les interventions et le dispositif policiers, la peine de mort, les manipulations de masse.

Les camarades qui traitent si superficiellement de la question de la légalité et de l'illégalité, ont apparemment mal compris le sens de l'amnistie par laquelle on a rendu inoffensif le mouvement étudiant. En abandonnant les poursuites contre des centaines d'étudiants, en les laissant quitte pour la peur, un prévenait leur future radicalisation et on leur rappelait énergiquement ce que valait leur statut privilégié quant à leur ascension sociale, grâce à l'usine du savoir. Ainsi, le fossé de classe a été élargi entre eux et le prolétariat, entre leur vie quotidienne privilégiée et la vie quotidienne de l'ouvrier aux pièces qui, lui, n'a pas été amnistié par le même ennemi de classe. Une fois de plus, théorie et pratique ont été séparées. Le calcul (amnistié = apaisement) était juste.

L'initiative électorale social-démocrate de quelques honorables auteurs - et non seulement de cette pourriture de Grass27 - avait en vue une mobilisation démocratique contre la renaissance du fascisme et méritait d'être prise en considération. Mais elle a confondu quelques rédactions de radio et de télévision, quelques maisons d'édition qui ne sont pas encore tombées sous le coup de la concentration monopoliste, avec l'ensemble de la réalité politique. Les domaines où s'aggrave la répression, l'écrivain ne les rencontre pas en premier, sinon sur le plan esthétique. Ce sont la prison, la justice de classe, les cadences infernales, les accidents du travail, la consommation à crédit, l'école, les Bild et Bild-Zeitung, les banlieues dortoirs, les ghettos de travailleurs immigrés.

La légalité est l'idéologie du parlementarisme, de la participation sociale, de la société pluraliste. Ce n'est qu'un fétiche si ceux qui s'en réclament ignorent qu'on peut légalement brancher des tables d'écoute, ouvrir le courrier, interroger les voisins, payer des indics, surveiller et que, de ce fait, l'organisation du travail politique doit être en même temps légale et illégale, si l'on veut éviter la mainmise permanente de la police.

Nous ne misons pas sur une mobilisation antifasciste spontanée par réaction à la terreur et au fascisme lui-même. Nous ne considérons pas que légalité signifie seulement pourrissement. Nous savons que notre travail peut fournir des prétextes tels l'alcool à Willy Weyer, la criminalité grandissante à Strauss, la politique d'ouverture à l'Est à Barzel, ou le feu rouge rouge brûlé par un Yougoslave tué par un chauffeur de taxi. Et prétexte pour plus, car nous sommes des communistes, et il dépend de l'organisation et de la combativité des communistes que terrorisme et répression suscitent seulement peur et résignation, ou résistance, haine de classe et solidarité, que tout se déroule ou non dans la logique de l'impérialisme. Car il dépend de la clairvoyance des communistes de se laisser faire ou d'utiliser la légalité pour organiser l'illégalité, au lieu de ne voir que l'une ou l'autre.

Le sort du Black Panther Party et de la Gauche prolétarienne devait découler d'une fausse appréciation de la contradiction entre la Constitution et la réalité de cette constitution, et de l'aggravation de cette contradiction lorsqu'apparaît la résistance. Ils n'ont pas réalisé que la résistance active transforme les conditions de la légalité; qu'il faut profiter de la légalité à la fois pour la lutte politique et l'organisation de l'illégalité, qu'il est faux de prendre la généralisation de l'illégalité pour la fatalité du système, car cette généralisation, c'est sa destruction, et alors, la question est réglée.

La Fraction Armée Rouge organise l'illégalité comme position offensive d'intervention révolutionnaire.

La guérilla urbaine, c'est la lutte anti-impérialiste offensive. La Fraction Armée Rouge établit la relation entre lutte légale et illégale, nationale et internationale, lutte politique et lutte armée, conception stratégique et tactique du mouvement communiste . international.

La guérilla urbaine intervient ici et maintenant, de manière révolutionnaire, malgré la faiblesse des forces révolutionnaires en Allemagne fédérale et à Berlin-Ouest.

Vous êtes partie prenante de l'aggravation ou de la solution du. problème. Il n'y a rien au milieu. Depuis des décennies et des générations, on a contemplé et examiné la merde de tous les côtés. " Moi, je suis persuadé que la plupart des choses qui se passent dans ce pays ne demandent pas d être analysées plus longtemps s, a dit Cleaver.

SOUTIEN A LA LUTTE ARMÉE ! VICTOIRE DANS LA GUERRE POPULAIRE !
(Juin 1971.)

 retour | suite


7 Journaliste française free tance (indépendante). (Cette note est due au traducteur routine toutes celles qui suivent.)

8 Le mensuel Konkret de Hambourg exprime l'une des tendances socialistes allemandes. 11 est dirigé par Klaus Rainer Rühl qui est l'ancien mari de Ulrike Meinhof C'elle-ci a été la rédactrice en chef de cette publication (Cl. notices biographiques).

9 La personnalité autoritaire.

10 II s'agit d'une série d'émissions dans lesquelles le public est appelé, sous forme de jeu, â se substituer à la police dans la recherche d'accusés que cette dernière ne parvient pas 3 identifier ou à retrouver. C'est une véritable chasse à l'homme.

11 Au cours de l'été 1970, la plupart des membres de la F. A. R. se sont rendus en Palestine où ils sont restés quelque temps. On ne sait pas exactement dans les camps de quelle organisation palestinienne ils ont séjourné. En revanche, on est certain que l'accord entre la P. A. R. et les Palestiniens ne se fit pas. De graves accusations ont été portées de part et d'autre.

12 II s'agit de l'écrivain Friedrich Dürrenmatt

13 C/. la chronologie.

14 Ibid.

15 lbid

16 Ministre fédéral de l'intérieur

17 Dirigeant de la C. D. U. (chrétiens-ee_mocrates).

18 C. D. U.-C. S. U.-Libéraux

19 Sénateur social-démocrate de Berlin-Ouest. 14. II s'agit des grèves dans la métallurgie.

20 15. Bild Zeitung : le plus beau fleuron de la presse Springer.

21 Ostermarsch : marche de Pâques ; D. F. : Union allemande pour la Paix.

22 La loi autorisant l'utilisation de grenades offensives et défensives par les forces de l'ordre fut promulguée à l'époque des incidents à la frontière avec Berlin-Est. Depuis, elle n'a pas été abolie et sert maintenant de menace contre les manifestants d'extrême-gauche de Berlin-Ouest

23 . II s'agit du barrage (le Cabora Bassa au Mozambique.

24 Flic assassin.

25 Jeunesses socialistes - (codante c dure s du Parti social-démocrate, particulièrement implantée à Munich et Hambourg.

26 Ministre de l'Intérieur de Rhénanie-Westphalie.

27 L'écrivain Gunther Grass qui a participé à la campagne électorale du côté social-démocrate.