L’Allemagne prise en otage

26 nov. 1993 : Manfred Kanther, ministre fédéral de l’Intérieur, annonce la dissolution d’un PKK qu’il qualifie d’ “organisation fanatique d’obédience communiste”. Résultat : néant. La dissolution platonique et les condamnations verbales font au PKK l’effet d’un cataplasme sur une jambe de bois :
 

. Octobre 1994, Brème : poignardé et sauvagement battu à coups de triques par ses ex-camarades, Fuat Karaarslan, dissident du PKK, survit par miracle.

. Juillet-août 1995, dans toute l’Allemagne : début d’une vague d’attentats, des incendies volontaires le plus souvent, visant des locaux associatifs, commerces, mosquées, restaurants turcs. Il y en a cette année-là 231.

. Novembre 1995 : manifestations violentes du PKK dans les villes d’Essen, Cologne, Ulm.

. Mars 1996 : manifestations-émeutes du PKK à Bonn et à Dortmund. autoroutes bloquées, police dépassée, 400 blessés, dont 40 policiers, 1200 interpellations.

. Avril 1996 : la presse allemande révèle que le ministre fédéral des Affaires étrangères, Klaus Kinkel et le pilote allemand de formule 1 Michael Schumacher ont reçu des menaces de mort du PKK.

Que font les autorités allemandes ? Dans une conférence de presse qu’il donne le 18 mars, le chancelier Kohl, bien embarrassé semble-t-il dit “le moment est venu de montrer que notre déclaration selon laquelle “nous ne tolèrerons plus un seul acte de terrorisme du PKK en Allemagne” est autre chose que des mots creux”. Et le procureur général fédéral révèle l’existence, depuis 1990, d’un mandat d’arrêt international visant Abdallah Ocalan.

Lequel Abdallah Ocalan semble se moquer délibérément des timides remontrances allemandes. Depuis décembre 1995, il mène au contraire une escalade verbale visant explicitement ce pays :
 

“Si l’Allemagne nous menace, nous agirons contre ses intérêts. Pas en Allemagne, mais en Turquie, peut-être. Là, je peux frapper le tourisme, mais pas seulement. Il y a d’autres cibles, politiques par exemple” (Focus, 20/12/95)

“Si demain, les cercueils de 50 touristes allemands reviennent en Allemagne, il ne faudra pas vous en étonner”. (MED-TV, 28/1/96)

“Jusqu’à maintenant, nos combattants menaient une guérilla militaire dans les montagnes. Désormais, nous allons former des guérilléros-suicide... Ce non seulement dans les montagnes, mais aussi dans les villes ennemies”. (MED-TV, 20/3/96)

“Si nécessaire, nous lancerons des commandos-suicide dans des secteurs sensibles. Des milliers [de kurdes, ndt] sont prêts... Sur mon ordre, des charges de dynamite exploseront dans toute l’Allemagne”. (Die Zeit, 4/4/96)

Réaction des autorités allemandes à cette véritable déclaration de guerre : “ces propos sont inadmissibles”...

A la mi-mai, revirement total d’Ocalan qui déclare avec une égale ferveur à quel point l’Allemagne est un pays merveilleux, la seconde patrie des kurdes, en fait. Eberluées, les autorités de Bonn découvrent la difficulté qu’il y a de dialoguer avec une secte quasi-autiste, dirigée sans partage ni contrôle par un Staline kurde - de surcroît, paranoïaque grave. Qualificatif que nous n’employons pas dans un sens polémique, mais pleinement médical. Preuve : des extraits de déclarations d’Abdallah Ocalan à la télévision MED-TV, acquise au PKK et sur les ondes de laquelle toute manipulation des propos du chef est impensable. “L’Etat turc lui-même organise les attentats visant les gardes de villages”(MED-TV, 25/2/96). “Le chancelier Kohl est un agent américain... Tansu Ciller est une marionnette des généraux turcs... Les chefs kurdes du nord de l’Irak sont des agents turcs... Olof Palme, le président turc Turgut Ozal, l’industriel turc Özdemir Sabanci ont été assassinés par des unités noires de l’armée turque... (1)  Les attentats, ainsi que le trafic de drogue, imputés au PKK en Allemagne sont l’œuvre des services spéciaux turcs” etc. (MED-TV 28/1/96)

Mais s’il voit des complots partout, Ocalan n’est pas stupide pour autant. Il sait que sa position en Allemagne est forte : une bonne partie de l’opinion publique du pays tient le PKK pour le représentant légitime et le porte-parole des kurdes turcs. Et que l’extradition de militants du PKK vers la Turquie, menace brandie par les autorités fédérales, est à peu près impossible. Ces dernières s’empresseraient de faire machine arrière à la première grève de la faim un peu grave - pour ne pas même parler d’une immolation par le feu ou d’un attentat suicide - et les länder fournissent aux dissidents de tout poil des ressources légales à peu près infinies pour échapper à l’autorité fédérale...
 

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(1) le premier ministre suédois Olof Palme est assassiné par un inconnu en février 1986, dans une rue de Stockholm Le président Ozal est mort d’une fort naturelle crise cardiaque en avril 1993. L’industriel Özdemir Sabanci est assassiné par le DHKP-C, successeur de Dev. Sol, début janvier 96