HEROÏNE ET COCAÏNE : LES SAISIES MONDIALES,
UN TERRAIN SOLIDE ?
Idée reçue N°1 : les évaluations de l’offre et de la demande sont fort sujettes à caution; mais au moins, les chiffres des saisies sont fiables. En réalité, rien n’est moins vrai. Dans les pays producteurs et de transit, tous situés hors du cercle étroit des pays développés, les statistiques touchant aux stupéfiants - notamment aux saisies - sont “habillées” en fonction des besoins de la cause. Exemple du Mexique : on n’y intercepte qu’un avion de la drogue en janvier/février 1993, au lieu de quatre les deux mêmes mois de 92 et on y saisit 22,5% de cocaïne en moins. Le gouvernement de Mexico crie victoire : les narcos n’osent plus traverser notre pays ! Mais on note en même temps une forte augmentation des saisies des stupéfiants locaux : héroïne, marijuana, etc. Triomphe des mêmes : nos services anti-drogue sont toujours plus efficaces ! Or partant des mêmes paramètres, un esprit chagrin pourrait démontrer exactement inverse. Et quand les sources locales sont vérifiables, les surprises peuvent être fort mauvaises. Ainsi, le Pérou déclare-t-il en 1987 avoir saisi et détruit 40 tonnes de cocaïne. Enquête méthodique de l’antenne de la DEA de Lima qui arrive, elle, au total nettement moins reluisant de 60 kilos... Pourquoi cette différence ? parce qu’au Sud, la corruption aidant, les cargaisons supposées “saisies” sont souvent récupérées par les narcos et remises dans le circuit commercial... Tout en restant comptabilisées comme confisquées.
 
 

Idée reçue N°2 : les forces anti-drogues saisissent au niveau mondial une part fixe des stupéfiants produits et transportés par les narcos. 10%, par exemple, pour l’héroïne. Or la réalité semble beaucoup plus modeste, ainsi que le prouve le cas du Triangle d’Or.
Production d’opium du Triangle d’Or en 1992 (estimations recoupées) : 2700 tonnes. usage régional sous forme d’opium : ± 20%, restent 2160 tonnes. Pertes techniques, impuretés, etc. : 30% de la récolte. Les 1512 tonnes restantes donnent ± 151 tonnes d’héroïne pure.
Saisies durant l’année 1992 : Birmanie, 266 kilos d’héroïne; Chine, 4 tonnes, Thaïlande : 996 k.; Hongkong : 581 k. Les “signatures” chimiques prouvent que ±60% de l’héroïne saisie aux Etats-Unis et au Canada en 1992 provient du Triangle d’Or. 1,61 t. au total, soit 996 k. pour le Triangle d’Or. Reste du monde : saisies minimes d’héroïne de cette provenance. Total des saisies importantes : 6,81 t.
Sachant que les voisins du Triangle d’or voient passer l’essentiel de l’héroïne locale et que l’Amérique du nord est son marché essentiel; considérant enfin que toutes les saisies proviennent de la récolte 1992, on confisque à peine plus de 4% de l’héroïne du Triangle d’Or et non 10%. Au total, une taxe, ou une “démarque inconnue” comme on dit dans les hypermarchés, très supportables par le narcotrafic.
 
 

Chiffres disponibles
C’est dire la fragilité des données disponibles. Mais, sérieuses ou non, les voici.
 
 

HEROïNE
• Saisies en 1993 dans l’Asie proche du Triangle d’Or : Birmanie, 280 k.; Chine, 4,2 t.; Inde, 1,1 t.; Hongkong, 174 k.; Malaysia, 264k.; Singapour, 40 k.; Thaïlande, 1,9 t. (Source : Département d’Etat, Washington. Pour la même année 1993, les sources locales Thaïlandaises donnent les prises suivantes : héroïne, 733 k.; morphine, 117 k. opium, 115 k. Saisies dans ce même pays les années précédentes : 1988, 2,26 t.; 1989, 745 k.; 1990, 1,16 t.; 1991, 1,69 t.; 1992, 99 k.)
• Saisies mondiales : 1983, ± 11,9 t.; 1984, 10,7 t.; 1985, 14,2 t.; 1986, 15,8 t.; 1987, 17 t.; 1988, 24,4 t.; 1989, 24, 2 t. (Département d’Etat, DE) ou 15 t. (ONU); 1990, 23,4 t. (DE) ou 19 t. (ONU); 1991, 19 t. (ONU); 1992, 23 t. (DE + ONU).

• En 1992, 51 pays ont répondu de façon exploitable, aux questionnaires d’Interpol sur les saisies d’héroïne; 6 pays d’Afrique, 6 du continent américain (nord & sud); 24 pays d’Europe (ouest & est), 13 du Proche & Moyen-Orient; 2 d’Océanie. Total des saisies ces 51 pays : héroïne, 17, 25 t.; opium, 47,5 t.
• A titre de comparaison : saisies d’héroïne en France en 1993 : 385 k. (17% de plus qu’en 1992).
 
 

COCAïNE
• 1993 : saisies de cocaïne autour de la zone grise d’Amérique Latine + Amérique du nord : Colombie, 22 t.; Equateur, 1 t.; Pérou, 470 k.; Venezuela, 2 t.; Antilles Brit., 700 k.; Antilles Néerl., 1,2 t.; Antilles franç., 1,2 t., Costa Rica, 610 k.; Salvador, 8,15 t.; Guatemala, 7,5 t.; Honduras, 2,6 t.; Mexique, 46 t.; Nicaragua, 558 k.; Panama, 5,7 t.; Bahamas, 1,9 t.; Rep. Dominicaine, 1 t.; Haïti, 170 k.; Jamaïque, 160 k.; Brésil, 7,7 t.; Bolivie, 12,1 t.; Etats-Unis, 108 t.; Canada, 5 t. Total : ± 194, 4 t.
• Saisies mondiales : 1983, ± 41 t.; 1984, 59,5 t.; 1985, 56,3 t.; 1986, 128 t.; 1987, 152 t.; 1988, 213 t.; 1989, 263 t. (Département d’Etat, DE) ou 232t. (ONU); 1990, 292 t. (DE) ou 247 t. (ONU); 1991, 341 t. (ONU); 1992, 281 t. (DE); 1993, 229 t. (DE) ou 289 t (ONU). La DEA semble plus proche de l’ONU, puisq’elle estime la production mondiale de cocaïne pour 1993 à ± 880 tonnes, dont 1/3 (± 293 t.) serait saisi.
• En 1992, 56 pays ont répondu de façon exploitable, aux questionnaires d’Interpol sur les saisies de cocaïne; 10 pays d’Afrique, 9 du continent américain (nord & sud); 25 pays d’Europe (ouest & est), 7 du Proche & Moyen-Orient; 3 d’Asie et 2 d’Océanie. Total des saisies ces 56 pays : 102,5 t.
• A titre de comparaison : saisies de cocaïne en France en 1993 : 1,72 k. (5% de plus qu’en 1992).

 
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