"Cerrada, alors secrétaire de "coordinacion" me présente [durant l'été de 1948 NDLR] une demande précise: il s'agit d'acheter à mon nom mais en fait pour son organisation un avion de tourisme d'occasion mais en très bon état: c'est l'appareil personnel de M. Henri Farman, le constructeur, qui est a vendre pour 1600 000 francs de l'époque (environ 140 000 f. d'aujourd'hui). Sachant que l'avion doit être équipé en vue d'un attentat organisé contre Franco au cours des vacances d'été qu'il passe dans sa villa de SaintSébastien, l'accepte sans hésiter. Bien entendu, cela entraîne toutes sortes de démarches, à la banque où Cerrada et son trésorier José Villanueva se présentent avec une valise remplie de billets qu'ils déposent contre un chèque certifié. Tout cela en ma présence et il faut aussi que je fasse une déclaration d'achat au commissariat de mon domicile où je suis reçu avec déférence (l’argent ouvre beaucoup de portes) et j'ai bien entendu pris une allure respectable qui ne laisse en aucun cas supposer que je puisse être secrétaire de la Fédération Anarchiste. Il faut enfin que je prenne possession de l'appareil après un essai en vol auquel je participe; cela se passe sur le petit aéroport de Guyancourt où je fais encore figure de personnage fortuné qui s'offre une fantaisie et dispose d'un pilote personnel.. Tout cela se passe le mieux du monde. Ensuite, l'équipe se met au travail. L'équipe, c'est le pilote Primitivo Perez-Gomez, Ortiz, un ancien "général" de la guerre d'Espagne, un autre Perez, tous ayant combattu pendant la guerre civile. Une trappe sera aménagée dans le plancher de l'avion pour pouvoir larguer une série de bombes. Tout cela peut paraître rocambolesque mais ce n'est qu’une apparence. En effet, au mois d'août, après escales à Saint-Jean d'Angély puis à Tarbes, enfin Dax où se fait le plein d'essence, le pilote passe la frontière à midi, profitant du temps couvert, naviguant à l'estime mais parvenant en vue de la résidence de Franco pendant qu'Ortiz et Perez préparent les bombes. Juste à ce moment, deux avions de chasse qui patrouillaient surgissent et le Norécrin n'a que le temps de piquer vers la mer et d'arriver au ras des flots dans l'espace français sans être rejoint par les chasseurs. C’est l'échec.

L'avion n'a plus qu'à rentrer à sa base dont, par prudence, il ne sortira plus. Malgré une démarche du gouvernement espagnol au Quai d'Orsay cela a été nié parfois, mais la DST me le confirmera, personne ne sera alors inquiété.

Il conviendrait sans doute de s'étendre quelque peu sur le fonctionnement de "coordinacion" et sur les membres de l'équipe. Cerrada était un extraordinaire personnage, un organisateur de première et un incomparable faussaire : la fabrication de fausse monnaie et de faux papiers n'avait pas de secrets pour lui. Il en était arrivé à accumuler pour le mouvement une fortune colossale. Le Norécrin de l'attentat n'était sans doute pas le seul avion dont il disposait; quant aux voitures, nombreuses, et à la vedette rapide pour le trafic d'armes à travers la Méditerranée, tout cela supposait une infrastructure d'hôtels et de garages et un personnel de combattants décidés et expérimentés. A sa manière, Cerrada continuait la guerre civile et le mouvement clandestin pouvait être financièrement aidé. Mieux Cerrada il me la confirmé avait acheté le silence sinon la complicité de policiers d'assez haut rang. Mais tout a un revers: des militants de la CNT commençaient à le suspecter et son trafic de fausse monnaie le perdit; mais des qu'il fut sorti de prison il reprit une partie de ses activités. En effet, plusieurs années après, notre collaboration reprit et c'est un de nos militants qui se porta volontaire pour écouler en Espagne les fausses pesetas qui avaient pour but de déstabiliser l'économie franquiste. L'astuce de Cerrada était de ne fabriquer que de faux papiers, faux diplômes, etc. et uniquement de la fausse monnaie d'autres pays que la France (ce qui pénalement coûte beaucoup moins cher)."