"TERRORISME & VIOLENCE POLITIQUE" : NOTRE PROJET

 

LE MONDE OU NOUS VIVONS

Du Cachemire à la Yougoslavie, des Républiques soviétiques musulmanes à l'Erytrée grossit sous nos yeux une vaste poche de grisou, dans l'éparpillement de micro-conflits identiques de nature, sinon d'apparence. Les découpages surannés ou arbitraires, les blocages psychologiques, le traitement médiatique au coup par coup font que cette nouvelle "zone des tempêtes" est, dans sa globalité, le plus souvent ignorée.

S'agissant de cette zone des tempêtes, un spectre hante également la Maison Blanche, le Kremlin, l'Elysée et le 10, Downing street : celui de la libanisation, meurtrier cocktail de guerre civile, d'affrontements confessionnels et claniques, de raids et d'occupations quand ce n'est pas d'invasions. Cette hantise n'est par, illusoire. Dans toute cette zone, le danger de libanisation procède de plusieurs facteurs indissociables. Tous font leur oeuvre, à bas bruit, depuis le début de la décennie 80 : effondrement du modèle socialiste-soviétique, difficulté d'adaptation du modèle libéral-capitaliste; plus largement crise du modèle de l'Etat-nation à l'européenne. Retour, enfin, du balancier islamique.

Qui dit libanisation, dit "modèle" libanais. Or, depuis près de vingt ans, partent de ce pays et des "zones grises" alentour, des attaques débordant largement la zone des tempêtes; eues visent surtout, jusqu’à ce jour, des cibles europeennes et occidentales. Cibles hautement stratégiques, soulignons-le :

- l'opinion publique française dans la vague d'attentats de septembre 1986 à Paris et par ricochet, l'Etat français,

- Les transports aériens - formidable conglomérat de constructeurs, de transporteurs; de bâtisseurs et de gestionnaires d'infrastructures "pesant" au total des centaines de milliards de francs - dans la destruction du Boeing 747 de la Pan Am et du DC10 d'UTA.

Par ricochet, toujours, sont vises les gouvernements des Etats-Unis et de la France, destinataires de "messages" Plus d'armes a l'Irak ! Pas touche au Liban ! Pas d'invitation à Arafat !- assenés de façon pour l'instant imparable. Demain, et durant des, années encore, un attentat de type "Lockerbie" est possible; des bombes peuvent exploser dans les rues de métropoles européennes. Ainsi, ce ne sont pas les passagers d'un avion donné qui sont pris en otage, mais le transport aérien tout entier; ce n'est plus le personnel d'une ambassade qui est pris au piège, mais la population de toute une capitale. Or, quand une technique d'intimidation "marche", elle échappe toujours au contrôle de ses inventeurs. Pas besoin pour cela de complots ou d' "internationales" : l'imitation et la contagion suffisent.

A l'approche de la fin du siècle, les stratégies indirectes approchent donc irrésistiblement le centre de la problématique belliqueuse. Ignorées voilà encore dix ans ou plutôt oubliées, niées ces stratégies indirectes et leur expression suprême, le terrorisme transnational, sont désormais prises en compte comme menaces, digne de l'intérêt des médias, bien sûr, mais aussi de celui de l'institution militaire, de la grande industrie, du grand commerce et de toutes les professions concernées de près ou de loin par la sécurité. Le temps est révolu ou on les écartait avec un peu de mépris, comme relevant du seul registre policier. Penser la guerre, c'est donc a nouveau envisager les stratégies indirectes, et leurs conséquences.

UN ESPACE BIEN REEL

Depuis leur réémergence, ces phénomènes que nous regroupons sous le nom de stratégies indirectes mais que les médias désignent en général sous celui de "terrorisme"; le Quai d'Orsay, où l'on manie volontiers l'euphémisme, les qualifiant de "diplomatie coercitive" et les militaires, de "conflits à basse intensité", ont été abordés le plus souvent sous deux angles : le sensationnel, ou le complot.

Mais dans l'Histoire, le technique tend toujours à succéder au magique, et l'expérimental au technique. Nous voilà arrives au moment où se dessine un espace pour des études sérieuses portant sur les violences a finalité politique, phénomène très diversifié, souvent grave, parfois authentiquement stratégique, ce dont l'opinion publique a désormais pleinement conscience: Sondage Sirpa / Sofres du 3 au 6 Juin 1989: quelle agression possible, contre la France, vous préoccupe le plus? Action terroriste : 50%; Attaque nucléaire : 19%; Agression économique: 13%; Attaque chimique: 11%; Occupation militaire, après un conflit classique: 2 %.

UN LIEU DE PUBLICATION

Cet espace, comment le meubler? Par un lieu de publication, revue avant tout, brochures et même volumes si nécessaire; lieu destiné à tous ceux qui sont, intellectuellement ou professionnellement, intéressés par l'ensemble des sujets esquisses ci-dessus, ceux en bref pour qui tout cela constitue une préoccupation concrète et non un moyen de se donner le frisson.

Résumons : une publication de référence, tout en étant modeste dans sa forme. Sur l'ensemble des thèmes évoqués ci-dessus, les sujets d'études, les matériaux, les individus savants mais isolés fourmillent littéralement : les "Notes & Etudes", qui n'étaient qu'une ébauche, donnent une idée de la richesse du champ à défricher.

Survol rapide de ce champ : refléter le travail des lieux de recherches -il y en a de nombreux, sur nos sujets, en France et a l'étranger - publier sous une forme commentée les principaux textes de groupes ayant fait de la violence politique leur norme d'action, assurer la fonction critique sur tout ce qui parait d'intéressant dans ces domaines, de par le monde. Tel est notre Projet.

 

"La réalité. Nous l'habitons comme un vieux domicile où nous avons nos habitudes qui nous empêchent d aller plus loin que deux ou trots pièces du rez-de-chaussée où nous faisons tout. Un domicile d'avant les HLM. J entends par la une vraie maison: ( ... ) un trou de forme aventureuse, comme l'homme qu'il doit abriter, tenir au chaud, alimenter en rêves, ( ... ) avec toutes sortes de fausses marches, de placards, de dessous d'escaliers, de pièces dites mal conçues et d'endroits inutilisables, de surfaces blâmables et superflues. Ainsi habitons-nous dans la réalité. Et il y a au premier une pièce qu'on n'ouvre pas, comme le cabinet de Barbe-Bleue et qui contient probablement un vieux vélo, des planches a repasser, que sais-je, des pots de fleurs, des graines sèches. Et un escalier condamne. Et des fenêtres paralysées par suite du gonflement du bois. Le jour ou l'on entre dans ces pièces, ce jour-là n est pas comme les autres. Il est troue de nouvelles lumières, parcouru de nouveaux songes et de nouveaux courants d air.

Nous n’habitons jamais tout notre appartement. Nous n'ouvrons jamais toutes nos fenêtres. (Nous n’en avons pas le temps et nous en portons mal.) Il y a parfois des phrases, des gens qui le font pour nous. Il faut que ces gens aient le temps de lefaire. Du temps perdu. Du temps qu'on dit perdu. Qui ne soit pas passe a autre chose. Toute civilisation se bâtit sur le temps perdu. ( ... )

Des gens qui auraient pour profession de perdre leur temps, se promèneraient dans l'escalier, ils trouveraient des pièces et des fenêtres faites comme ( ... ) la carte d'un pays, semblant les jalonner comme des petits drapeaux. La route d'on ne sait quelle Terre Promise. Où est ce pays ? Au Premier étage, a portée de main, autour de nous, dans la maison, nous y habitons, c est le notre et nous ne le savons pas. Nous ne le saurions pas sans leur aide.

Hélas ! Si nous savions le pays que nous habitons ! "

Alexandre Vialatte
 
 

Terrorisme et Violence Politique, Notes & Etudes réalisées avec le concours scientifique de l'Institut de Criminologie de Paris, est réalisé par Xavier Raufer, Chargé de Cours à l'Institut de Criminologie et François Haut, Maître de Conférences a l'Université Panthéon-Assas, directeur de la publication. La reproduction, sous quelque forme que soit, des textes de la présente revue est interdite, sauf accord écrit de la direction. Toute correspondance : Terrorisme & Violence Politique, La Table Ronde, 9, rue Huysmans, 75006 Paris.

Imprimerie spéciale de "Terrorisme & Violence Politique" - ISBN 0988 - 677X

avril 1991/15