T U R Q U I E


Nom officiel: République de Turquie
Continent: Europe-Asie
Superficie: 781 000 km2
Population: (1989) 55,3 M. d'h.
Capitale: Ankara (2, 2 M. d'h.)
PIB/Hab.: (1986) $ 2 800

Régime: république pluripartite
Chef de l'État: Turgüt Ozal
Chef du gouvernement: Yildirim Akbulut
Ligue arabe: non
Organisation de la conférence islamique: oui
Liens avec la République Islamique d'Iran: ambassades

% de non-musulmans: 1 %
% de musulmans: 99 %
- vent. /100: - large majorité de sunnites hanafites. Importantes confréries souries.
- minorité (de 15 à 20%) d'alevi. Ces alaouites turcs ont peu à voir avec les nusaïris de Syrie, sauf ceux d'lskenderun (sandjak d'Alexandrette)



Chacun connaît l'entreprise titanesque d'Ataturk ,après la Première Guerre mondiale: tailler dans un Empire ottoman en décomposition une Turquie viable et moderne. Pierre d'angle de l'édifice: la laïcité. Or, si, jusqu'à la fin des années 70, le respect des principes laïcs n'a pas posé de problèmes aux gouvernements turcs, il en va différemment désormais et l'islamisation de la société civile turque est de plus en plus visible. Ce d'autant que la Turquie fait face à de redoutables problèmes auxquels la religion peut prétendre apporter des remèdes:
. Une inflation de 70%.
· Le problème kurde.
· L'encerclement par des voisins tous hostiles: Arménie soviétique, Iran (laïcité), Irak et Syrie (problème kurde, eaux de l'Euphrate).

D'où une renaissance de l'Islam. Ses promoteurs en sont de puissantes tariqas souries, forces sociales puissantes qui seules, dans la discrétion et le repli, ont permis à la spiritualité islamique turque de survivre au cours des soixante-dix années écoulées. Les principales, comptant chacune des millions d'adeptes, sont:

· Les Naqshbandi, confrérie remontant au XIIIe siècle, originaire d'Asie centrale (aujourd'hui soviétique, voir URSS, p.. 210).
. Les Nourçou (Disciples de la Lumière). Cette confrérie, à l'origine proche de la tariqa naqshbandie, est constituée des disciples d'un saint homme originaire du village de Nurs, dans le Kurdistan turc, BediÜzzaman Saïd Nursi (1876-1960). La confrérie, apparue en Turquie occidentale au cours des années 20, a connu une forte expansion à partir de 1960 et compte à l'heure actuelle sans doute plus de 2 millions de membres. Le prosélytisme international de la confrérie se fait à partir de l'Institut de l'Epître-de-la-Lumière (Resalat e-Nur), sis dans la ville californienne d'El Cerrito.
· Les Suleymanji, confrérie fondée dans les années 50, spécialisée dans l'éducation religieuse.
· La confrérie Bektashie, très marquée par une tradition chi'ite qui domine dans les tribus anatoliennes semi-nomades que sont les Tahtaci, les Yuruk, les Turkomen et les Qizilbash.

Mais le traditionnel pacifisme des souris ne doit pas être confondu avec de la passivité. Ceux-ci ont dans un premier temps poussé à la multiplication des écoles religieuses en Turquie - destinées à l'éducation des futurs uléma - et obtenu ensuite pour elles un statut de lycées à part entière - l'Islam en plus, bien entendu. Il y avait 40 de ces écoles en Turquie en 1970; 250 en 1980.11 y a aujourd'hui 390 lycées confessionnels, scolarisant 15% des effectifs du secondaire. Au-delà, on constate une multiplication des librairies et de maisons d'édition islamistes autour des mosquées et des établissements d'enseignement. Outre les livres à proprement parler religieux, les jeunes islamistes - souvent des déserteurs de l'extrême gauche - peuvent y trouver des quotidiens comme Zaman, fondé en novembre 1986 (50 000 exemplaires), des revues comme Iqtibas, les cassettes - interdites - du cheikh exilé Fathullah Gulen, le "Khomeini turc", tous ouvertement favorables à l'Iran islamique.

Le pouvoir politique constate cette montée et tente - comme nombre de ses homologues dans des pays musulmans - de chevaucher le tigre: dans le projet de budget 1990, l'augmentation la plus forte est celle du poste du ministère des Affaires religieuses... Chaque année, désormais, on construit en Turquie 1 500 mosquées par an, plus que d'écoles. Et il y a déjà 61 000 lieux de culte dans le pays, soit un pour 1 900 habitants...

Comme partout ailleurs, le gouvernement, désemparé par un phénomène qu'il ne maîtrise pas, divisé sur le diagnostic et les remèdes, use maladroitement, tour à tour, de la carotte et du bâton: les vagues d'arrestations d'islamistes trop voyants alternent avec des concessions telles que l'introduction récente dans le Code d'un délit d'injure envers le Prophète et l'Islam. Et, non content d'avoir par maladresse donné aux islamistes l'occasion d'une belle campagne de propagande lors de l'affaire Rushdie, le pouvoir turc s'est mis lui-même dans un mauvais pas en interdisant le port du hijab dans les 27 universités du pays en janvier 1987, avant de capituler en rase campagne en décembre 1989. On imagine la virulence de la presse du voisin iranien lors de la phase d'interdiction du voile; la campagne des multiples compagnons de route et agents d'influence de Téhéran dans tout le pays; et les cris de joie des mêmes au moment de l'annulation de l'interdiction, trente deux mois plus tard...

Seule l'armée, garante de l'ordre voulu par Atatürk, se protège désormais vraiment contre la montée de l'Islam: en tout, depuis le coup d'État de septembre 1980, plus de 1 000 sous-officiers et officiers ont été expulsés de l'armée, la plupart pour cause de sympathies islamistes. Plus de 30, dans l'armée de l'air, rien que pour l'année 1989, ainsi qu'une centaine de cadets des académies militaires.

Le mouvement islamiste légal est représenté par un parti politique, le Parti de la prospérité islamique (PPI, ou Refah), héritier du Parti du salut national -dissous, avec toutes les autres formations politiques, lors du coup d'État de septembre 1980. Son président est Necmeddin Erbakan, qui fut en 1974 ministre d'État et vice-Premier ministre d'un gouvernement conservateur. Le parti dispose d'un quotidien, Milli Gazette, 200 000 exemplaires; un tirage modeste pour la presse turque. Refah anime d'importantes courroies de transmission, comme le Comité de soutien au peuple de Palestine, qui a organisé depuis 1988 les manifestations - tolérées -les plus spectaculaires, et Milli Görus, organisation culturelle opérant dans l'immigration turque en Europe. Aux élections législatives de novembre 1987, le PPI a recueilli 1,7 million de voix (7,1 % des suffrages); aux municipales de mars 1989, le pourcentage est passé à 9,7 % et le PPI contrôle désormais 5 capitales provinciales, dont Konya, un bastion islamique traditionnel: Maulana, le fondateur de la célèbre tariqa sourie des Derviches tourneurs, y est inhumé. Cela dit: 2,8% de mieux en deux ans; moins de 10% du corps électoral; c'est une progression, pas un raz-de-marée.

On connaît très mal, en revanche, la proportion dans laquelle la renaissance islamique a touché les immenses communautés turques et turcophones vivant hors de Turquie. Pour mémoire:

· Union soviétique: +/- 42 millions: Azéris, Bachkirs, KaraValpaks, Kazakhs, Kirghiz, MeshÉets, Ou'ghours, Ouzbeks, Tatars, Turkmènes, etc.
· Iran: 11 millions.
· Chine :7 millions.
· Afghanistan :2 millions.
· Bulgarie :1 million.
· Irak :400 000.
· Grèce, Mongolie, Roumanie, Yougoslavie: 200 000 chacune.
· Syrie et Chypre: 100 000 chacun.

1990 a vu apparaître en Turquie un terrorisme de type islamique, dont rien ne permet de dire pour l'instant qu'il est relié aux organisations mentionnées plus haut. En janvier, Moammar Aksoy, un éminent constitutionnaliste, défenseur des droits de l'homme et vigoureux partisan de l'interdiction du hijab, a été assassiné à Ankara. En mars, un journaliste kémaliste réputé, Cetin Emec, très critique envers les islamistes, a été assassiné à Istanbul avec son chauffeur. Revendication: Union des commandos islamiques turcs". De Vienne, en mars toujours, l'assassinat de Moammar Aksoy ("traître à l'Islam") et celui de Cetin Emec ("sioniste au service de la Turquie") ont été revendiqués par l'Organisation de la vengeance islamique. En mai, un réseau islamiste - une première en Turquie - a été démantelé à Istambul, Ankara et Malatya: 33 personnes, des stocks d'armes et de munitions, du matériel de propagande. Ils auraient reconnu plusieurs assassinats - mais pas ceux évoqués ci-dessus - et des liens avec une Organisation du Kurdistan islamique révolutionnaire.

Les islamistes turcs ont appris avec indignation le nouveau drame de La Mecque (voir Arabie Saoudite, p. 56). L'un des hebdomadaires les plus lus en Turquie, Vahdet (Unité), de sensibilité islamique, a publié le 20 juillet une déclaration de 34 écrivains, éditeurs et journalistes condamnant les Saoudiens pour le désastre de Mina et demandant aux jeunes pèlerins de libérer les Lieux saints de l'emprise des Saoud. Les autres périodiques islamistes, Grisim, Meydan, Tawhid, Imza, Objektiv, ont exprimé des avis analogues.

En septembre 1990, le journaliste libéral Turan Dursun a été assassiné, sans doute par des islamistes.

En octobre, à Ankara, un colis piégé explose entre les mains de Bahriye Uclok, qui est déchiquetée. Cette femme de 71 ans, professeur, ancien député d'un parti du centre gauche, avait été en première ligne dans la campagne contre l'islamisation des universités. L'attentat a été revendiqué par le Mouvement islamique.
 

retour | suite