EUROPE: LES RESEAUX DU HIZBALLAH

Une succession de réseaux liés au HizbAllah du Liban opère sans discontinuer en Europe depuis l'année 1984. Les instances de répression européennes, françaises notamment, ont eu d'autant plus de mal à prendre conscience de cette réalité que d'autres mouvements politico-militaires libanais étaient au même moment actifs en Europe et que le réseau HizbAllah-Europe, suivant l'habitude de sa maison mère libanaise, agissait sous différents sigles et labels. Ainsi, le groupe dit "de Ladispoli" (voir Italie, p...) avait-il été tout d'abord considéré comme lié à AMAL, pour des raisons d'appartenance claniques ou encore aux Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), en raison de coïncidences de dates.

Pouvait-il, tout d'abord, y avoir collaboration effective de ces divers groupes sur le terrain ? Non, en raison des exigences de cloisonnement et de rigueur qu'impose l'action clandestine en milieu hostile, d'abord; de leur dimension et de leur champ d'action en Europe, ensuite.

Ce même:

· Si les intérêts de certains groupes terroristes proche-orientaux peuvent être un moment convergents.
· Si des entraînements similaires dans des camps palestiniens ont fait naître des liens durables entre dirigeants de divers groupes;.
· Si des objectifs ont pu paraître semblables, par exemple la libération d'Anis Naccache, de Varoujan Garbidjian et de Georges Ibrahim Abdallah par un "consortium" de circonstance baptisé Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient (CSPPA) Observons enfin que les actions des FARL relevaient de l'action ciblée, de l'exécution de "contrats", tandis que celles du HizbAllah, aveugles, étaient destinées à terrifier les populations et à faire pression sur les autorités.

Il y avait donc bien, au-delà de tous ces brouillages, des réseaux révolutionnaires islamiques liés au HizbAllah, à l'allure, à la méthodologie très caractéristiques:

·Ayant des liens avérés avec le HizbAllah du Liban; lui-même en contact quotidien avoué avec l'équipe dirigeante de la République islamique d'Iran.
· Structuré de façon très européenne: arrêté à l'aéroport de Francfort, Mohamed Hamadé stockait des bouteilles d'explosif liquide, du nitrate de méthyle, dans une cachette proche de Sarrebruck, en Sarre, non loin de la frontière française, avec l'aide de son frère Abbas. Arrêté à l'aéroport de Milan (voir Italie, p. 137), Béchir Khodr importe lui aussi des explosifs à usage européen ; A proximité de Rome, les "7 de Ladispoli" préparaient au moins un attentat grave. Des attentats et de la contrebande d'explosifs sont attribués à des éléments du réseau HizBallah-Europe en Espagne (voir p. 94), lequel a en outre laissé des traces en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas (voir p..109).

France, Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, Pays-Bas: effectivement un réseau à l'échelle de l'Europe.

· Se servant d'un tremplin pour projeter ses forces opérationnelles sur l'Europe: l'île de Chypre. Habib Haidar, l'artificier de la vague d'attentats de septembre 1986, prépare en décembre 1985 un détournement d'avion avec un Palestinien extrémiste arrêté, avant l'opération, à Chypre. Plusieurs des "courriers" de la campagne d'attentats visant la France transitent par cette île. L'un d'entre eux y est interpellé, en août 1986, en possession de plusieurs armes et grenades. En octobre 1989 encore, les autorités chypriotes interceptent, dans un cargo à quai à Limassol, un stock de 350 kg d'explosifs destiné à l'Europe, via l'Afrique et conditionnée comme celui découvert un mois plus tard à Valence (voir Espagne, p. 94).

· Mais, difficulté supplémentaire, n'utilisant pas forcément les centres culturels et/ou religieux chi'ites en Europe comme points de départ de ses opérations terroristes. Parmi ces centres, le plus notoire est le foyer Ahl al-Beit du Kremlin-Bicêtre, dont l'adresse apparaît pour la première fois en juin 1985, à Rome, dans des documents d'un "courrier" du réseau HizbAllah. L'enquête sur la campagne de bombes de septembre 1986 à Paris n'a pas permis de démontrer que ce foyer avait joué un rôle actif dans la préparation ou la commission des attentats, bien que certains terroristes s'y soient retrouvés ou y aient séjourné. Il servait plutôt de refuge aux chi’ites libanais ne sachant où loger; également de salle de prière et de centre de propagande. Animateurs et cadres d'Ahl al-Beit n'étaient pas pour autant liés au réseau HizbAllah et réprouvaient, disaient-ils, le terrorisme. D'autres centres islamiques (chi’ites) comme ceux de Hambourg ou de Barcelone ont également servi de point de rencontre ou de réunion à des terroristes, mais, pas plus que celui de Paris, ils n'ont été vraiment détournés de leur fins religieuses pour servir de bases terroristes.

· Point commun entre tous les segments du réseau, en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne: le recrutement, puis l'hébergement des terroristes sont réalisés grâce aux liens de parenté, d'amitié, de voisinages d'études ,même - noués au Liban. Des liens très forts, qui engagent totalement un individu: à l'origine, Hussein Mazbouh, artificier de la première vague des attentats parisiens, n'est pas un croyant; la mort de plusieurs de ses proches contexte de la guerre civile libanaise, l'amène à s'engager dans le Parti de Dieu.

· En bons islamistes, les responsables du réseau HizbAllah-Europe sont violemment hostiles au nationalisme; pour eux, le meilleur passeport est celui de la profession de foi musulmane. Même si les organisateurs des réseaux Europe et les principaux opérateurs (les artificiers, notamment) sont libanais, ils n'hésitent pas à faire appel, pour la logistique et même l'organisation, à des "croyants" tunisiens, marocains et algériens à Paris et à des exilés irakiens proches d'al-Da’oua en Espagne (réseau de Valence, voir p. 94).

· Dernière caractéristique de l'action du HizbAllah-Europe: chaque opération en recouvre partiellement une autre, l'ensemble de celles-ci depuis 1984 prenant l'allure d'une succession de vagues. 1984: préparatifs d'une action spectaculaire en Italie, détournement d'un avion d'Air France. 1985: préparation et début de la sérieux d'attentats parisiens. 1 986: poursuite de la "campagne" parisienne et mise en place d'une logistique permettant de l'amplifier encore par la suite. 1987: mise en place d'une stratégie de pénétration indirecte en Europe via l'Afrique et détournement d'un DC 10 d'Air Afrique. 1988 et 1989: poursuite de la mise en place de structures de transit Liban-Afrique-Europe, ainsi qu'en témoigne le découverte de 220 kg d'explosifs à Valence en novembre 1989.

Au Liban, le HizbAllah apparaît, durant l'été de 1982, comme une fédération de groupes révolutionnaires sismiques existant, pour certains d'entre eux, depuis plus de douze ans; mais le Parti de Dieu attendra 1984 pour agir hors du Proche-Orient. Dès 1983 cependant, ses groupes spécialisés dans l'action terroriste frappaient des cibles occidentales, au nom du Jihad islamique l'ambassade des Etats-Unis (avril, Liban, 63 morts), marines et parachutistes (octobre, Liban, 300 morts), ambassades de France et des Etats-Unis (décembre, Koweit, 6 morts). Dans tous les cas, des symboles de la présence de 1' "arrogance mondiale" sur la terre de l’islam et des alliés, déclarés ou potentiels, de l'Irak en guerre contre la République islamique d'Iran. Les organisateurs de ces attentats sont des cadres et des opérateurs de l'Organisation spéciale de sécurité du HizbAllah du Liban: Imad Mugniyeh (dont le beau-frère Moustafa Youssef Badreddine est interpellé au Koweit avec 16 membres de son réseau, puis condamné à la détention à perpétuité) et Ibrahim Akil (attentat contre le poste Drakkar des paras français).

A partir de 1984, le HizbAllah du Liban a toutes les raisons pour frapper en Europe: claniques (libération des "17 du Koweit") et stratégiques (soutien à l'Iran en situation militaire difficile face à l'Irak et ses alliés occidentaux).

Le 31 juillet 1984, le Jihad islamique revendique le détournement sur Téhéran d'un vol Air France Francfort - Paris. Une opération montée par des militants du HizbAllah, qui fournissent notamment les passeports maquillés aux pirates de l'air; exigence: la libération d'Anis Naccache. Au-delà, un signe envoyé aux autorités françaises: leur attitude pro-irakienne les exposent à l'hostilité active des "musulmans pieux", partout dans le monde...

Le 5 août 1984, le Jihad islamique revendique un attentat commis en Espagne, à Marbella, et visant le propriétaire d'un journal koweiti, An-Anba très pro-irakien. Celui-ci est blessé et son chauffeur est tué. Dès cette date, le réseau HizbAllah-Europe est implanté en Espagne.

En Italie, premier pays européen où des éléments du réseau HizbAllah-Europe sont découverts, l'arrestation à l'aéroport de Zurich, en novembre 1984, d'un "courrier" du groupe (porteur de 1 kilo d'explosifs) d'abord, puis des "7 de Ladispoli" (voir Italie, p. 137) permet de mettre en échec une opération de type très Jihad islamique: la destruction de l'ambassade des Etats-Unis à Rome. Deux ans plus tard, un proche du groupe des "7 de Ladispoli", Béchir Khodr - qui revendique son appartenance au HizbAllah - tente d'introduire par l'aéroport de Milan plusieurs kilos d'explosifs, destinés à une reprise de la campagne d'attentats de Paris.

Le 14 juin 1985, un vol Athènes-Rome de TWA est détourné sur Beyrouth par deux pirates. Parmi ceux-ci, Mohamed Hamadé, dont l'arrestation à Francfort un an et demi plus tard permettra de démanteler en partie le réseau HizbAllah-Europe. Cette prise d'otages de deux semaines, revendiquée par le Jihad islamique, est un succès: elle aboutit à la libération de plusieurs centaines de miliciens chi’ites détenus dans le camp d'Atlit, en Israël. Là encore, le "cocktail libanais" est perceptible: dimension stratégique (frapper les Satans) et clanique: les frères d'un des chi’ites libérés d'Atlit prêteront main-forte au réseau HizbAllah-Europe à l'œuvre à Paris en 1985-1986 et à la prise d'otages allemands, à Beyrouth, suite à l'arrestation de deux des frères Hamadé, Mohamed et Abbas, en RFA.

A partir du second semestre de 1985, la cible essentielle du réseau devient la France; en premier lieu, Paris. Pour cela, il faut une infrastructure et un pivot. Sur Paris, l'homme clé est Fouad Ali Saleh, un tunisien ayant embrassé le chi'isme et étudié, deux ans durant, dans un séminaire de la ville sainte iranienne de Qom.

Revenu en France, il prêche la révolution islamique auprès des "déshérités", des musulmans immigrés pour la plupart. Ce faisant, il noue tout un tissu de relations allant du MTI (voir Tunisie, p. 201) au Mouvement pour la démocratie en Algérie (MDA) d'Ahmed Ben Bella. Se servant de son charisme naturel, de ses amitiés, mais aussi de la crainte qu'il inspire, Saleh structure, au cours de l'année 1985, un réseau logistique dont les membres sont fondus dans la société française: deux étudiants en 3e cycle, un restaurateur, un chauffeur de taxi, des employés, un petit patron n'ayant jamais attiré l'attention sur eux. Dès mai 1985, les éléments "action" du réseau libanais confient à Saleh une valise contenant les + 25 kg d'explosifs utilisés pour la campagne d'attentats de 1985 (décembre, Galeries Lafayette et Printemps) et 1986 (vagues de février - mars et de septembre). En bon professionnel, Saleh cloisonne et sépare les éléments de l'appareil logistique stockant les explosifs de ceux, plus mobiles, qui l'assistent dans les transports, etc.

Le premier artificier des attentats de décembre 1985 et, février 1986, Hussein Mazbouh, est arrêté en février, lors d'une rafle d'éléments islamistes connus de la police et expulsé vers le Liban sans que les services français aient percé à jour son rôle réel. Son départ marque la fin de la présence en France, de façon permanente, d'éléments "action" libanais. Par la suite, ceux-ci ne feront plus que des séjours ponctuels en France. Le réseau fonctionne alors essentiellement grâce à Saleh et à ses Maghrébins. lis sont beaucoup plus sollicités par la suite: hébergement de Habib Haidar, l'artificier des attentats de mars (présent en France, du 11 au 22 mars) et septembre (en France de fin août au 18 septembre), repérages des cibles et stockage des explosifs.

Pourquoi la campagne d'attentats s'arrête-t-elle le 17 septembre 1986 ? Tout simple : le stock d'explosifs était épuisé. Mais ce contretemps ne signifie pas pour autant que le HizbAllah renonce à agir en Europe: dès le début du mois d'octobre, Saleh se rend à Beyrouth et des explosifs sont à nouveau acheminés vers la France, cette fois-ci dans du matériel d'imprimerie envoyé à Paris pour réparation. Peu après, en France comme en RFA, commence un programme de stockage de nitrate de méthyle, dissimulé dans des bouteilles d'un alcool libanais. Au total, entre les "provisions" apportées par Mohamed Hamadé via l'Allemagne, Fouad Saleh et Béchir Khodr (via l'Italie, dans des tableaux et des œufs en chocolat), cotaient près de 20 kg d'explosif type plastic (C 4-hexogène, etc.) et 40 1 de nitrate de méthyle qui étaient stockés pour une nouvelle campagne d'attentats en 1987.

Effrayés cependant par les succès de la répression en France, en Allemagne et en Italie, les patrons du Parti de Dieu vont choisir une voie de pénétration indirecte pour l'Europe, moins soupçonnable - et moins facile à protéger: l'Afrique.

Mai 1987 : un important stock d'armes et d'explosifs arrive à Abidjan, en Côte-d'Ivoire (voir p. 82); il est prévu qu'il soit ensuite acheminé vers la France. Les éléments interpellés localement par la suite sont liés au HizbAllah et également à des membres du réseau Europe interpellés en Italie ("7 de Ladispoli") et en Allemagne. En juillet 1987, c'est le détournement d'un DC 10 d'Air Afrique, parti de Bangui, sur Genève (voir Suisse, p.193). Le pirate de l'air demande notamment la libération des frères Mohamed et Abbas Hamadé, détenus en RFA.

En août 1989, un élément du réseau Afrique du HizbAllah se fait sauter, dans sa chambre d'hôtel de Londres, avec la bombe qu'il était en train de monter; il est muni d'un "vrai-faux" passeport français et est le cousin du responsable du stockage des explosifs à Abidjan en 1987. Un communiqué publié à Beyrouth explique que le "martyr" préparait une action contre Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques (voir Guinée, p.115).

Trois mois plus tard, les services espagnols interceptent à Valence une cargaison de 220 kg d'explosifs (voir Espagne, p. 94). L'Espagne avait, semble-t-il, été choisie comme lieu de livraison en raison de sa vigilance moindre que celle de l'Italie et de la France, et de l'implantation sur place, de longue date, d'un réseau logistique du HizbAllah. Les éléments du réseau Espagne étaient, eux aussi, liés à ceux de la Côte-d'Ivoire et à l'homme tué par sa bombe, à Londres. Les explosifs introduits à Valence devaient servir localement contre des cibles américaines françaises en France et sans doute britanniques (affaire Rushdie). 1984-1989: cinq ans plus tard, les cibles sont toujours les mêmes, et l'acharnement inchangé.

Aucune menace publique, cependant, depuis le premier semestre de 1990; aucune trace d'activité, non plus, du HizbAllah-Europe durant la même période. Il n'y a plus d'otages français au Liban et les "17 du Koweit", dont Imad Mugniyeh et le Jihad islamique demandaient la libération à cor et à cri, ont profité de l'invasion du Koweit par Saddam Hussein pour disparaître sans demander leur reste. Cela signifie-t-il que la France est désormais à l'abri d'une nouvelle vague de terrorisme islamique ? Rien n'est moins sûr: en novembre 1989 encore, le HizbAllah a adressé des menaces à la France. S'ajoute à cela le contexte d'affrontement dans le Golfe entre le "croyant" de fraîche date Saddam Hussein et les Occidentaux, doublé de "l'occupation de la terre du Prophète par les forces de l'infidélité et du blasphème". Tout cela exige une vigilance plus grande que jamais.

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