SECTION - I - LA NOBLESSE DE ROBE

Nos institutions étant très fortement tributaires de celles de l'ancien régime, il faut rappeler que dans son ouvrage consacré à la noblesse, le vicomte de Marsay (De l'âge des privilèges au temps des vanités) souligne :

"qu'à Rome, les armes d'abord et la magistrature ensuite donnèrent accès à la noblesse.
Il en fut de même en France"

A ce titre, il faut évoquer la polémique qui a pu exister entre la noblesse d'épée et la noblesse de robe, en reprenant une étude de Christophe Levantal intitulée "La robe contre l'épée"

"Sous Louis XIV, il est en effet hors de doute qu'une famille du second ordre doit servir si elle veut rester bien placée dans la hiérarchie nobiliaire.

Il devient alors nettement préférable d'appartenir à une lignée relativement jeune dont les membres servent et ont presque toujours servi plutôt qu'à une maison antique qui n'a que peu de service passé et présenté à faire valoir.

Mais ce service, en ce qui nous concerne doit-il être exclusivement militaire c'est-à-dire effectué par la noblesse d'épée ou peut-il être également civil, c'est-à-dire accompli par la noblesse de robe ?

A cette question, nous allons répondre en utilisant deux textes :

d'une part, en reprenant le préambule de l'Edit de 1696 qui précise que les services "ne se rendent pas toujours les armes à la main".

d'autre part, en laissant s'exprimer le Chevalier de la Roque pour lequel "la vertu militaire n'est pas la seule possession noble de la société civile : la paix à ses illustres, aussi bien que la guerre et la science qui fait régner la justice ne mérite pas moins du public que la force qui conserve l'Etat.

Il sera démontré qu'un tel rappel historique n'est pas anodin, notamment lorsque l'on sait que c'est le roi qui rendait la justice et que la perte de ce privilège permettait de constater au IXème et au Xème siècles la résurgence de la féodalité.

Antoine Ferrand, ancien magistrat, dans son ouvrage consacré à "l'Esprit de l'histoire" le rappelle :

"Les rois perdirent également la justice : et c'est là que l'on peut marquer l'origine des justices seigneuriales."

La justice du roi ne s'exerça plus sur la grande majorité de son royaume, elle s'exerça sur le petit nombre de grands fiefs qui relevaient immédiatement de la couronne.

Ces grands fiefs exerçaient la justice sur tout ce qui dépendait d'eux et en cas de refus de leur part, l'arrière vassal pouvait revenir jusqu'au trône et se
pourvoir à la cour du roi ; et ce fut par la suite ce qui ramena peu à peu la justice royale".

La similitude de cette situation avec celle que connaît le XXème siècle et le début du XXIème ne s'arrête pas là, puisque Antoine Ferrand ajoute :

"Ce droit féodal s'étendit dans toute l'Europe ou tout au moins dans tout ce qui avait composé l'empire. Mais en Allemagne et en France, il fut plus fort que partout ailleurs.

Le désir de se constituer souverain avait réuni tous ces grands vassaux contre l'autorité royale.

La jouissance de leur usurpation devait nécessairement les diviser.

Et chacun d'eux regarda alors son voisin comme un ennemi qu'il fallait toujours être prêt à attaquer.

La Nation française devint une société en état de guerre.

Chaque seigneur, cantonné dans ses possessions, fortifié dans son château, ne savait jamais le soir s'il n'aurait pas à se défendre le lendemain contre un ennemi jaloux.

Les vengeances ou les animosités personnelles devinrent une cause de guerre.

Pour des raisons qui tiennent aux progrès technologiques, ce tableau de la société française féodale peut être aisément transposé à l'échelle de l'Europe ainsi qu'à l'échelle de la planète.

Dans un tel contexte, de quelle justice s'agit-il ?

Au nom de qui est-elle rendue ?

Sur quels critères ?

Ne pas poser ces questions, c'est se priver des réponses que nous attendons tous notamment lorsqu'il s'agira d'aborder la place de l'avocat dans ce contexte de mondialisation et surtout dans ce contexte de guerre politique et économique.

Afin que l'exposé soit complet, il faut rappeler également que la polémique qui a pu exister entre la noblesse immémoriale, celle qui revendiquait les honneurs de la cour, et la noblesse de robe, provenait du fait que les finances royales ayant de plus en plus besoin d'argent, la vénalité des charges jeta à une certaine époque un discrédit sur cette forme d'anoblissement.

Rappelons rapidement que déjà sous le règne de François Ier les charges de judicature ou de finance régulièrement achetées devinrent une sorte de propriété transmissible et héréditaire.

Cet usage allait trouver sa consécration lorsque Henri IV sur les conseils de Sully et à l'instigation du financier PAULET promulgua en 1604 l'édit de la Paulet faisant des fonctions de judicature et finance un bien personnel et en décidant que les officiers qui en étaient pourvus auraient désormais cette propriété de leur charge sous la condition de payer annuellement au Trésor le 60ème de son prix.

Le vicomte de Marsay ajoute que c'est dans l'édit de 1604 que l'on peut voir l'instauration définitive de la noblesse parlementaire puisqu'elle y trouve son premier principe d'hérédité officiel, légal en quelque sorte et il ne paraît pas qu'une famille puisse se réclamer d'une noblesse obtenue régulièrement par charge antérieurement à cette époque.

L'évolution historique est intéressante puisqu'elle confirme que la royauté et les grands seigneurs qui constituaient la noblesse et assistaient le souverain dans on rôle de grand justicier "durent finir par s'adjoindre une classe de professionnels - les légistes - issus de bourgeoisie, pour faire face à la complexité et au nombre croissant des affaires. Et la noblesse féodale petit à petit mais presque toujours volontairement s'effaça (Christophe LEVANTAL La Robe contre l'Epée - Cahier DUC n°5)

Ces légistes furent peu à peu anoblis, tout d'abord par lettres royales et Voltaire de citer Guillaume de DORMANS, avocat au parlement de Paris en 1350, qui aurait été le premier à en bénéficier.

Mais cet anoblissement s'effectua aussi et surtout par la coutume et le biais des privilèges fiscaux.

Le principe qui est rappelé dans cette étude sous la plume de la ROQUE est très important :

Les rois....confèrent la noblesse non seulement par lettre, qui est le moyen ordinaire et expresse mais aussi par un moyen tacite c'est-à-dire par les Hauts Offices de
Justice et par le service que le père et l'ayeul ont continué de rendre au public.

L'hérédité des offices entraîne donc l'hérédité de la noblesse.

La notion de service est omniprésente et il faut insister également sur l'affirmation qui a toujours existé et qui a été traduite différemment suivant les auteurs que « la plus belle fonction des rois est de rendre la justice. Et....les rois de France l'ont rendu eux-mêmes jusqu'à ce qu'ils s'en soient déchargés sur les parlements (F. Bertaut de Fréauville - Les prérogatives de la robe - Paris 17.01).

L'étude de Christophe LEVANTAL porte sur la période 1600/1715 c'est-à-dire sur la noblesse au XVIIème siècle.
A cette époque écrit Christophe LEVANTAL :

« Il ne faut pas oublier qu'en France au XVIIème siècle l'estime, l'honneur et la dignité restent d'abord attachés au Commandement militaire ....

La robe est donc bien placée qui par sa science peut transformer le fait en droit et organiser les relations sociales, assurant ainsi l'équilibre de la société ».

Même si nous ne le voulons pas, nous avons hérité non seulement des institutions de l'ancien régime qui ont pris une nouvelle forme dans la société moderne, mais nous avons sans aucun doute hérité des mentalités et des réactions caractérielles que provoque dans tout individu le sentiment qu'il se fait de l'injustice.

La place de chacun sur l'échiquier social, lorsqu'elle se traduit en termes de pouvoir notamment de pouvoir de nuisance, va provoquer plus ou moins des réactions qui vont avoir un retentissement sur le plan politique et économique.

L'ancien régime n'avait pas trouvé la solution mais l'organisation de la société devait conduire à la création des Etats Généraux.

Sous la plume de Claude SOULE, une étude historique comparative et doctrinale consacrée aux Etats Généraux en France, nous apporte un éclairage important sur la structure sociale de la société contemporaine.

Sous le paragraphe - Les sujets, il écrit notamment :

« Alors que le pouvoir s'affermissait, la société connaissait une transformation sensible.

Elle s'est fortement structurée.

Dans un monde en proie à la guerre et sans cesse en lutte, l'individualisme était un leurre, l'isolement, un gage de mort.

Tout naturellement les hommes se sont groupés pour défendre leurs conditions ou simplement certains avantages acquis.

Ainsi, trois grandes classes, Clergé, Noblesse et Tiers Etat, composaient la société et constituèrent la charpente des Etats Généraux jusqu'à leur disparition ».

Sans entrer dans la polémique et historique, Claude SOULE aborde l'origine des Etats Généraux et rappelle également :

« Ainsi, la société féodale s'est trouvée constituée par un ensemble de contrats et de chartes précisant les devoirs et obligations de ses membres.

Lorsque le roi voulait ensuite modifier l'ordre ainsi établi, il devait solliciter l'accord de ses sujets.

Ce serait cette nécessité qui aurait donné naissance aux assemblées délibératives vers les XIème, XIIème et XIIIème siècles ».

Essayant de mettre un terme à la controverse opposant CALLERY et LUCHAIRE sur l'origine des Etats Généraux, Claude SOULE considère que les deux antagonistes sont donc d'accord pour situer antérieurement à l'année 1302 l'origine des Etats Généraux.

La polémique ne sera pas close de toute façon puisque certains auteurs ont considéré que seuls "«les Etats Généraux de 1484 sont bien les Etats Généraux du royaume de France car cette assemblée a pour la première foi, un caractère véritablement national puisque l'on y voit siéger des représentants des provinces qui n'y députaient pas d'habitude » (Lot et Fawetier - Histoire des institutions françaises au moyen âge).

Sous le titre « Aperçu historique sur les Etats Généraux de France », Claude SOULE rappelle que les Etats Généraux n'ont pas été une création mais le fruit d'une lente évolution et qu'ils n'ont pas connu davantage de règlements stricts pour les régir.

Sur le plan anecdotique, il souligne également que très souvent :

« Le roi dut réunir séparément les Etats du nord de la France et ceux du sud".

Dans le premier cas, il s'agissait des états de la langue d'Oil, dans le second, de ceux de la langue d'Oc.

Ce procédé permettait d'éviter aux participants la fatigue et les dangers de trop longs déplacements.

Il devait s'avérer que la convocation des Etats Généraux fut liée à des périodes de nécessité et notamment de troubles graves tels la guerre de 100 ans.

Il est d'ailleurs intéressant de relever qu'à la fin du XVème siècle, à la comparution personnelle c'était peu à peu substitué le principe de l'élection en commun de délégués.

C'est ainsi que Claude SOULE précise :

« Désignés par l'ensemble de l'ordre d'une région, ils le représentaient devant le roi.

Charles VIII prenant acte de cette évolution plus conforme aux nécessités pratiques, demanda que désormais les Etats envoient uniquement des représentants élus munis de pouvoirs suffisants.

La généralisation du principe était acquise »

Nous renverrons par conséquent le lecteur à l'ouvrage de Claude SOULE consacré aux Etats Généraux, notamment pour ce qui concerne leur fonctionnement puisqu'ils constituent sans aucun doute le meilleur des apprentissages permettant d'appréhender le fondement politique, juridique et institutionnel de notre Chambre des députés et de notre Sénat.

Et c'est dans ce contexte que Claude SOULE consacre une partie de son ouvrage à l'organisation de la justice.

Il précise :

« La justice fut l'objet permanent des préoccupations des Etats Généraux.

C'est en effet un domaine où l'arbitraire pouvait être le plus durement ressenti »

Le bon fonctionnement de cette administration correspond à cette soif qui habite tout individu, de voir triompher ce qu'il considère être ses droits.

Pour parvenir à cette fin, les Etats Généraux portèrent leurs efforts tout à la fois sur le statut de la Magistrature et sur les règles de la procédure.

Il est absolument impossible de comprendre le fonctionnement de nos institutions si l'on élude les rapports complexes qui ont toujours existé entre le pouvoir et la justice.

Or, l'avocat, s'il est indispensable, n'est pas revêtu des habits du pouvoir ; il ne peut l'incarner puisqu'il ne bénéficie pas lui-même, contrairement aux magistrats, de cette délégation autrefois consentie par le roi, aujourd'hui par la République, qui permet de rendre la justice.

C'est d'ailleurs sans doute pour cette raison que le statut d'avocat ne permettait pas de façon aussi systématique d'accéder à la noblesse comme le permettaient certaines charges et notamment la qualité de Président du Parlement.

Retenons dans l'ouvrage de Claude SOULE tout ce qui sur le plan institutionnel a permis peu à peu de doter la profession d'avocat de lettres de noblesse qu'elle ne tenait ni du roi ni de quiconque mais qui tenait au respect de principes supérieurs qui allaient être notamment repris dans la Déclaration des Droits de l'Homme.

Attardons-nous notamment sur :

l'indépendance de la magistrature

Dès leur première réunion, les Etats Généraux avaient demandé que les tribunaux délivrent « les parties au moindre coûts et frais.

En effet, la vénalité des charges avait conduit les magistrats à réclamer des sommes sans cesse plus élevées pour leur permettre d'assurer leur subsistance.

Pour répondre à la revendication des Etats, Charles V fit un devoir aux avocats et procureurs de dispenser gratuitement leurs services aux pauvres.

Il voulait par là permettre aux plus humbles d'avoir recours à la justice »

C'était l'apparition de ce que nous appelons aujourd'hui l'assistance judiciaire.

Rassembler après une longue période de troubles et d'arbitraire, les Etats de Tours, en 1484, s'élevèrent avec force contre la vénalité des charges qui conduisait les Magistrats à réclamer "« grandes espices et trop excessives ».

Pour y remédier l'assemblée proposait que les juges fussent désignés par l'élection de leurs pairs ou de leurs supérieurs pour écarter les sujets douteux préoccupés uniquement par le profit qu'ils pourraient tirer de leurs fonctions.

Allant plus loin, les députés demandèrent que fut assurée l'inamovibilité qui, d'ailleurs avait été reconnue par Louis XI, mais n'avait guère été respectée.

Enfin, ils suggérèrent que les gages du personnel judiciaire fussent pris en charge par le Trésor.

Ces voeux reçurent l'agrément du roi mais il fallut attendre les années 1493 et 1498 pour que deux ordonnances viennent sanctionner ces principes ».

Ces mesures s'avérèrent insuffisantes.

Durant la première moitié du XVIème siècle, la situation ne fit que se détériorer.

Lorsque les Etats se réunirent en 1560, ils ne purent que constater cette dégradation à laquelle les ordonnances royales n'avaient pu remédier.

La vénalité des charges était la source de tels abus qu'elle fit l'unanimité des trois ordres qui en réclamèrent avec énergie l'abrogation.

Dans son zèle, le tiers proposa même de donner son aide financière au Trésor pour compenser la perte qu'aurait représentée cette mesure.

En remplacement, les députés proposèrent un système, variant dans ses modalités selon les ordres, mais qui aboutissaient à faire élire plusieurs candidats entre lesquels le roi devait choisir le meilleur.

Enfin, pour garantir la qualité du personnel judiciaire, les Etats préconisèrent que les candidats fussent soumis à un examen et soulignèrent la nécessité d'écarter d'un même Parlement des parents trop proches et d'éviter ainsi la trop grande influence d'une seule famille.
Abolie en principe après 1560, la vénalité des charges fut rétablie en 1568, et fit l'objet des réclamations véhémentes des Etats de 1576.
Comme leurs prédécesseurs, les députés préconisèrent le système de l'élection.

Ils exigèrent, aussi, certaines conditions d'âge et de formation pratique.

Certaines incompatibilité de fonctions leurs parurent enfin nécessaires.

Toutes ces mesures tendaient à assurer la qualification du personnel judiciaire tout en garantissant son indépendance.

Pour éviter la corruption, le tiers demanda, de surcroît, que la remise de présents aux Magistrats fut interdite ».

Il faut avouer qu'au moment où la réforme de la justice ranime certaines passions et met en évidence les perversions du pouvoir, ne pas rappeler ce que furent d'ores et déjà les débats du passé à ce propos, constituerait une erreur d'autant plus grave que la place de l'Avocat est elle-même tributaire de la place de l'institution judiciaire et par conséquent du statut reconnu au magistrat.

Encore une fois, il n'y a rien de nouveau.

Seuls les actes ont donné la mesure du degré de perversion et de médiocrité de telle ou telle puissance qui après avoir opprimé ses sujets n'aura pas d'autre ambition que celle d'opprimer les sujets des autres nations.

Le mondialisme permet en effet cette contamination insidieuse conduite parfois par des apprentis sorciers qui seront les premières victimes de leur inconséquence.

De même lorsqu'il aborde l'indépendance de la Magistrature, Claude SOULE évoque :

« L'amélioration des règles de procédure ».

Dès le XIVème siècle, les Etats se préoccupèrent de renforcer l'organisation judiciaire, seule susceptible de lutter contre l'arbitraire au sein de la société.

L'Ordonnance rendue en 1356 sur la demande des Etats Généraux contribua tout à la fois à donner la primauté à la juridiction royale et à améliorer la procédure elle-même.

En particulier, les Juges furent sommés « de faire bon et bref accomplissement de justice en délivrant les parties le plus tôt et le plus hâtivement qu'ils pourront ».

En 1484, les Députés s'inquiétèrent à nouveau que « les formes du droit fussent gardées » et demandèrent notamment que fut garanti le droit d'appel.

En 1560, les Députés s'élevèrent contre le principe de l'évocation qui permettait au Conseil du roi de soustraire, au gré de sa fantaisie, un procès, quelle que soit la juridiction devant laquelle il était porté.

Ils suggérèrent aussi divers moyens qui selon eux devaient aboutir à un meilleur fonctionnement de la justice.

Le Tiers n'alla-t-il pas jusqu'à préconiser l'unification de la procédure sur tout le royaume ?

Cette mesure dut paraître tout à fait révolutionnaire.

Clergé et noblesse demandèrent, une nouvelle fois, que les plaideurs dépourvus de moyens pussent bénéficier du concours gratuit de tout le personnel judiciaire.

Si en 1576, les Etats suggérèrent encore diverses réformes pour améliorer l'administration de la justice, le Tiers, soutenu dans ses efforts par le Clergé, revendiqua surtout la suppression des privilèges de compétence, et satisfaction leur fut donnée.

Unanimes, les députés s'élevèrent contre l'action du Conseil du Roi qui s'érigeait au-dessus des Parlements et prenait de plus en plus de liberté avec le droit.

Sur la demande des Etats, diverses mesures furent prises tendant à accélérer la procédure :

inscription au rôle pour éviter les tours de faveur ;

publicité des audiences pour empêcher les influences de s'exercer ;

respect de certaines formes pour rendre les décisions.

Les Etats de 1614 se firent encore l'écho de diverses récriminations.

Le Tiers, notamment, demanda que tout prisonnier soit obligatoirement interrogé dans les vingt quatre heures suivant son arrestation afin d'éviter les détentions arbitraires.

Force est de constater à quel point ces questions, concernant l'indépendance de la Magistrature et le respect de la procédure, demeurent étroitement liées et totalement d'actualité lorsqu'il s'agit d'aborder le domaine de la vie économique, les pesanteurs de l'Institution judiciaire, ou bien les influences plus ou moins propices à favoriser l'arbitraire.

Ce qu'il faut retenir sur le plan historique, c'est essentiellement que s'il n'était pas possible à l'avocat, à cette époque, de soustraire son client aux conséquences de ces pesanteurs et de ces influences, l'avocat d'aujourd'hui ne serait guère plus armé si les Etats et les Institutions chargés de veiller à la sécurité des personnes et des biens n'ont pas la volonté d'assurer le respect de la loi, et par conséquent, de la règle de droit.

Afin de clore ce rappel historique consacré aux Etats Généraux, convient-il tout de même d'évoquer la tentation qui a existé de voir créer un quatrième Etat qui aurait été situé à mi-chemin entre le Tiers et l'ancienne noblesse ainsi que le souligne également Christophe LEVANTAL.

Il rappelle notamment qu'en 1567-1568, du BELLAY avait publié à Paris une _uvre au titre significatif : « L'ample discours au Roi sur le fait des quatre Etats du Royaume de France.

En 1580, Michel de MONTAIGNE avait fait imprimer à Bordeaux la première édition de ses Essais.

Dans le texte de la quatrième édition, il écrivait : « un quatrième Etat de gens maniant les procès qui étaient joints au trois anciens de l'Eglise, de la Noblesse et du Peuple... ».

Il a été permis de constater que la France n'a pas entériné cette nouvelle division de la Société, et que, par conséquent, la Noblesse de robe faisait bien partie juridiquement du second ordre.

Le regard de l'historien qui s'attardera sur les rivalités qui opposèrent la noblesse d'épée à la noblesse de robe, ainsi que sur l'origine de l'une et de l'autre, ne retiendra cependant lorsqu'il s'agira de tirer la leçon de ce passé que la notion de service, laquelle notion devra elle-même s'adapter aux exigences du Prince.

Les intérêts du Monarque lui ont dicté sa conduite et l'on amené à privilégier ceux qui soutiennent sa fonction et lui assurent autorité et pérennité.
Indépendamment des considérations historiques, l'évocation de cette rivalité permet de mettre en évidence la notion de Mérite personnel.

C'est ce que rappelle Christophe LEVENTAL en citant une fois de plus « Le Chevalier de la Roque » : « Il y a plus de vertu à se distinguer du commun par un mérite personnel, qu'à recevoir des autres un bien auquel on n'a rien contribué et que la fortune seule a fait trouver en naissant dans le souvenir des vertus et des actions glorieuses de ceux qui nous ont précédés ».

Enfin, l'auteur de cette étude consacrée à la Robe contre l'Epée, cite la phrase étonnante d'Alexandre BELLEGUISE, auteur en 1654 d'un autre Traité de la Noblesse et pour lequel simplement « les héros d'Epée n'ont pas moins de gloire que ceux de la Robe ».
Ainsi que le souligne encore l'auteur, il fallait l'oser.

§ - L'ancien Régime

Aborder la place de l'avocat à toutes les époques de l'histoire de France, c'est aborder nécessairement la conception et le rôle du pouvoir et c'est par la même être amené à évoquer la place de l'institution judiciaire elle-même telle qu'elle a été conçue dans un premier temps dans la personne même du monarque puis dans le cadre de l'Etat.

Toute réflexion sur la justice et, par conséquent, sur la place de l'avocat, suppose d'aller rechercher dans leurs écrits les réflexions de LA BRUYERE, ou de VOLTAIRE, qui laissent à penser que tout a été dit et écrit une fois pour toute, sur la tentation du pouvoir et les risques qu'il peut laisser encourir à ceux qui se trouvent soumis à son arbitraire.

Lorsque MONTESQUIEU dans "l'Esprit des Lois" explique la raison d'être de la séparation des pouvoirs et par conséquent la nécessité de son existence dans un pays qui veut tendre vers la démocratie, il laisse très peu de place à la critique puisqu'il s'est toujours avéré que les différentes formes de tyrannie n'ont jamais souhaité favoriser une institution susceptible de juguler, voire même de remettre en cause tant le principe que les différents modes d'exercice de leurs pouvoirs.
C'est ainsi que MONTESQUIEU avait déjà décrit les symptômes d'un malaise susceptible d'affecter tout système politique et notamment la démocratie puisqu'il écrit :

"Mais lorsque dans un gouvernement populaire, les Lois ont cessé d'être exécutées, comme cela ne peut venir que de la corruption de la République, l'Etat est déjà perdu."

"Le peuple tombe dans ce malheur lorsque ceux à qui il se confie, voulant cacher leur propre corruption, cherchent à le corrompre."

"Pour qu'il ne voit par leurs ambitions, ils ne lui parlent que de sa grandeur, pour qu'ils ne perçoivent pas son avarice, ils flattent sans cesse la sienne".
"La corruption augmentera parmi les corrupteurs et elle augmentera parmi ceux qui sont déjà corrompus".

"Le peuple se distribuera tous les deniers publics et comme il aura joint à sa paresse la gestion des affaires, il voudra joindre à sa pauvreté les amusements de luxe mais avec sa paresse et son luxe, il n'y aura que le Trésor Public qui puisse être un objet pour lui."

En effet, y a t-il plus riche victime que l'Etat pour un voleur ?

La présente étude ayant pour but d'essayer de confronter l'avocat à l'entreprise ainsi qu'aux mafias, il apparaissait indispensable de rappeler qu'à toutes les époques, les vertus et les crimes ont coexisté, et que seuls ont évolué leur mode d'expression.

Tirant la leçon d'une histoire de l'humanité déjà longue, MONTESQUIEU a compris que toute institution est intimement liée à la psychologie et à l'inconscient collectif de chaque peuple.

Il écrit dans "l'Esprit des Lois" :

"Il n'y a point de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice".

C'est pourquoi MONTESQUIEU demeure le père de cette pensée politique à laquelle les partisans du secteur public comme les partisans d'un libéralisme responsable demeurent tous profondément attachés.

Cette séparation des pouvoirs n'ayant jamais existé puisque l'institution judiciaire a été reléguée au rang d'une autorité, l'avocat se trouve lui-même tributaire de la place qu'occupe cette institution sur l'échiquier de la République.

A ce titre, fort justement, Lucien KARPIK, dans son ouvrage "Les Avocats, entre l'Etat, le public et le marché, XIIIème, XXème siècle" souligne la nécessité de ce rappel historique en posant la question :

"Et pourquoi faudrait-il remonter si loin dans le passé pour comprendre l'évolution de la profession ?"

Tout simplement parce que l'ancien Barreau, celui apparu vers le milieu du XIIIème siècle, faisait parti "d'une forme d'organisation dominée par l'Etat".

En évoquant le roi, la justice et la défense, Lucien KARPIK décrit parfaitement cette oeuvre royale la création de ces avocats d'Etat qui vont accompagner l'évolution de la procédure et notamment le remplacement de la comparution personnelle par la possibilité d'un mandat limité donné au conseil et autre fait marquant :
"Le remplacement de la violence physique par la confrontation pacifique menée au moyen de la parole et de l'écrit".

Le passage de la structure féodale à la puissance royale est accompagné par le travail doctrinal des légistes et c'est ainsi que :
"La justice devient la fonction royale par excellence", parce qu'elle exprime directement la souveraineté royale.

Et Lucien KARPIK d'ajouter ce qui mérite d'être relevé :

"En effet, si le roi, par sa fonction de médiateur entre le ciel et la terre, peut et doit (la justice rendue par le roi est tout autant un droit qu'un devoir) maintenir la paix civile en travaillant au redressement des tords causés par l'arbitraire des forces brutales, et, par-là, rendre tangible la mission transcendante qui lui est confiée, se faisant, il manifeste non seulement sa soumission à l'autorité divine dont il est le délégué, mais il témoigne aussi d'une souveraineté qui ne se justifie que dans l'ordre gravé dans la société.

Il retient notamment cette citation empruntée à un ouvrage consacré à la justice du roi :

"L'institution royale n'a pas eu d'autre fondement... dans toutes les nations que d'établir un homme surpassant tous les autres par ses vertus, près de qui puisse trouver asile le pauvre peuple écrasé par les puissants, un homme qui garde les humbles de toute injustice et qui, ayant posé l'équité pour règle, contienne grands et petits dans les bornes d'un même droit".

C'est l'accroissement de la charge de travail judiciaire qui va donner naissance au Parlement, émanation du roi, mettant en place une magistrature professionnelle spécialisée et une fonction de la défense représentée par les avocats au Parlement.

Ces derniers doivent :

figurer sur une liste officielle

être soumis à des exigences de compétence et de moralité, ce qui suppose le contrôle de la puissance publique

L'intérêt essentiel de ce rappel historique résulte de la simple constatation que, dès le XIIIème siècle, les avocats sont soumis à des obligations collectives particulières :

qu'il s'agisse de ne plaider que pour des causes justes
qu'il s'agisse d'assurer la communication des pièces aux parties adverses et de ne pas dépasser un salaire maximum
qu'il s'agisse du refus du mensonge, etc..

Pourtant, c'est au travers de la liberté, c'est-à-dire de la nécessaire indépendance de l'avocat, qu'apparaît effectivement la première fracture entre l'avocat d'Etat, maillon indispensable au fonctionnement de la Cour souveraine et le pouvoir royal.

La libre parole des avocats, pas toujours appréciée des parlementaires, est encore moins appréciée du pouvoir royal, ce qui permet à Lucien KARPIK d'écrire :
"Au travers des multiples conflits qui se sont noués, on discerne la contradiction centrale entre la logique judiciaire et la logique étatique : la discussion critique des lois et arrêts de jurisprudence et l'absolutisme monarchique sont antinomiques".

"Dès lors que rien n'est supérieur au roi, et qu'il peut, dans sa puissance, faire à sa convenance les lois, édits et ordonnances, toute mise en cause est toujours sur le point de verser dans le crime de lèse-majesté".

Là encore, ce rappel historique est fondamental puisqu'il permet d'illustrer la dimension universelle de l'avocat qui transcende la fonction royale qui lui a tout d'abord conféré sa légitimité pour se mettre au service d'une fonction supérieure, celle de la justice dont il se veut l'auxiliaire.

De façon beaucoup plus prosaïque, la vénalité des charges participa également à creuser le fossé entre des carrières fondées essentiellement sur le mérite et des carrières fondées sur la fortune personnelle.

C'est-à-dire que les avocats se voient privés du chemin qui conduit "aux dignités" et s'ils continuent d'exister, c'est effectivement pour assumer la fonction de la défense consacrant ainsi d'une certaine façon le passage du pouvoir d'Etat à la corporation, sous la forme d'un ordre qui ne doit obéissance qu'aux règles qu'il s'est lui même fixés.

Il n'est pas possible d'évoquer le statut des avocats sous l'ancien régime sans se référer au remarquable ouvrage de Jacques BOEDELS, ainsi que le décrit lui-même le Bâtonnier Guy DANET.

Sous le titre "Les Robains d'Ancien régime", Jacques BOEDELS écrit :

"Il est difficile de distinguer les Avocats des Procureurs, jusqu'à la sédentarisation du Parlement en 1314.
Leurs noms mêmes ne sont pas fixés.

On appelle les premiers prolocuteurs, avant-parliers, amparliers et la Taille de 1292 cite déjà deux avocats.
Les Procureurs, qui avaient pour mission d'être les mandataires de Justice des plaideurs, étaient appelés "alloués", "attoumés, ou attomès" (les Américains disent toujours attorney), avant de trouver leur nom définitif.

Un règlement du mois de novembre 1340 mentionne pour la première fois le rôle et le tableau sur lequel les avocats devaient être inscrits dans l'ordre de leur réception, après avoir prêté le serment professionnel.

Les Procureurs au Châtelet virent leur existence officiellement constatée par un règlement de 1320 et ceux du Parlement par des lettres patentes signées par Philippe VI au mois d'avril 1342.

Les premiers règlements imposaient des obligations de conduite, de probité et de respect envers les Magistrats et les parties.
Ils indiquaient également que les Procureurs prenaient rang après les avocats, mais il n'y avait en l'espèce que des règles de conduite morale, et ce n'est qu'à l'occasion que l'auteur suggérait une tenue.

Sous le règne de Saint-Louis, Guillaume DURAND, appelé Spéculateur du nom de son principal ouvrage "speculum miroir ou tableau de la science du droit", qualifié non de jurisconsultus mais de jurisconsutisimus par ses contemporains, écrivait dans le chapitre De Advocato que les avocats devaient porter des vêtements larges descendant jusqu'aux talons "vestes talares" d'une seule couleur, à la manière des prêtres, parce qu'ils exerçaient un sacerdoce, car, selon l'auteur, "in compositio corporis qualitatum indicat mentis" (le désordre extérieur indique la disposition de l'âme)".

Cette référence au costume de l'avocat est indispensable, puisque l'apparence extérieure, la forme comme la couleur, sont susceptibles de rattacher l'Avocat à l'une ou l'autre des catégories sociales avec, ainsi que le rappelle également Jacques BOEDELS, l'éternelle querelle "sur la noblesse de la profession ou sur la possibilité d'y arriver à l'imitation des Magistrats".

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