Préface
C'est au cours d'un stage professionnel
au Japon, et lors d'un contact visuel inattendu dans le métro de
Tokyo que Karine Lemerle, étudiante du Programme EBP, a pris contact
avec la réalité Yakuza. Intriguée par l'apparence
d'un jeune japonais à la chevelure décolorée, à
l'air hautain et agressif, aux tatouages visibles malgré ses vêtements,
celle-ci se prenait à regarder le personnage. Un coup de coude,
donné volontairement par l'un de ses voisins, lui signifiait qu'elle
devait cesser de prolonger son observation.
Le mémoire qui suit est
le résultat de cette rencontre fortuite, alimentée par un
désir d'en savoir plus sur l'importance réelle des syndicats
du crime (Boryokudan) au Japon, et sur la place qu'ils occupent dans la
société de ce pays. Le lecteur sera surpris d'y découvrir
le rôle clé joué par ces organisations dans la crise
des institutions de crédit de l'archipel - une crise dont les effets
se sont traduits par ce que certains observateurs sont allés jusqu'à
appeller une "récession yakuza". Il découvrira, par la même
occasion, les relations étroites que les "Boryokudan" entretiennent
avec les cercles dirigeants du Japon, un élément qui permet
de mieux comprendre les ressorts d'un pouvoir non réductible à
la désignation de "triangle de fer", mais qui s'apparente davantage
à une "quadrature" impliquant la haute administration (en particulier
le Ministère des Finances), le patronat, les yakuzas, et des hommes
politiques dont la carrière dépend bien souvent de financements
occultes accordés par les précédents.
Le travail de recherche de Karine
Lemerle peut également servir de point de départ à
une réflexion sur les théories et méthodes utilisées
pour analyser des phénomènes qui nous sont extérieurs.
De fait, en refusant parfois de prendre en considération certaines
dimensions de l'action, jugées inutiles ou non pertinentes (comme
la criminalité organisée) dans leur domaine d'expertise,
des analystes s'avèrent incapables d'expliquer, et encore moins
d'anticiper, les faiblesses structurelles inhérentes à des
situations nationales étrangères. Ce handicap, révélé,
entre autres, au cours d'une décennie de panne japonaise et de la
dernière crise asiatique (autant de phénomènes mal
anticipés et mal expliqués), milite en faveur de programmes
de recherche et d'enseignements supérieurs, où la combinaison
systématique de "savoirs ouverts" se traduit par une compréhension
améliorée du réel.
A son modeste niveau, le travail
de Karine Lemerle sur les organisations criminelles au Japon est une contribution
active à ce chantier, et une preuve de son intérêt.
Bernard SIONNEAU
Professeur au Groupe ESC Bordeaux
Page
précédente | Sommaire | Page
suivante