Section II - Le terrorisme religieux

Si pour les organisations terroristes d'obédience identitaire, les motivations terroristes demeurent avant tout politiques, en revanche pour les organisations terroristes dites religieuse, ces motivations sont avant tout d'ordre théologique. Le terrorisme revêt donc la qualification de religieux dès lors que la motivation confessionnelle est de nature à en constituer la principale caractéristique.

La religion renoue avec le terrorisme lors de la révolution iranienne. L'arrivée au pouvoir de l'ayatollah Rouhollah Khomeini, en 1979, fera de l'Iran l'une des premières Républiques islamiques21. L'islam apparaît ainsi comme la première grande religion " contaminée par un mélange de foi, de fanatisme et de violence "22. Bien que B. Hoffman parle de contagion des autres grandes religions, ne peut-on réellement évoquer aujourd'hui l'existence d'un terrorisme chrétien. Si Hoffman considère que les suprématistes blancs des Etats-Unis sont des terroristes chrétiens, tel n'est pas l'avis d'un certain nombre d'experts23 qui les considèrent plutôt comme des milices privées. Aussi classerons nous ces groupes dans le paragraphe dédié au terrorisme marginal.

En revanche, les actes de terrorisme perpétrés par des israéliens fanatisés sont, quant à eux, indiscutables. Nous en voulons pour preuve, outre l'attaque d'une école coranique à Hébron qui fit 3 morts et 33 blessés et le massacre le 25 février 1994 du Caveau des Patriarches, l'assassinat en 1995 du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un extrémiste religieux de son propre pays.

Nous n'aborderons toutefois pas dans nos développements le terrorisme israélien. En effet, ce dernier est, selon Bruce Hoffman, d'une part, géographiquement très localisé (Israël) et d'autre part, dirigé uniquement contre la communauté arabe sise sur ce territoire. La menace terroriste suscitant notre intérêt étant évidemment celle dirigée directement ou indirectement contre la France, il apparaît peu probable pour que la France soit la cible de ce terrorisme.

Ainsi, nous consacrerons nos développements essentiellement au terrorisme islamiste. Les faits ont montré que la France " depuis la fin des années 70 a payé un lourd tribut à un terrorisme qui se revendique comme islamique. L'attentat contre l'immeuble du Drakkar à Beyrouth en 1983, les attentats à Paris en 1986, l'explosion au-dessus du désert du Ténéré du DC10 d'UTA en 1989, le détournement de l'Airbus d'Air France en 1994 ou la campagne de terreur de 1995...La menace terroriste d'origine islamiste apparaît d'une importance prioritaire pour les intérêts vitaux de notre pays. En s'attaquant à ses citoyens, l'acte terroriste vise directement la souveraineté de l'Etat dont il cherche non seulement à modifier la politique étrangère sur les plans politique, économique ou militaire, mais également à influencer la politique intérieure. "24

Si le terrorisme a renoué véritablement avec la religion lors de la révolution iranienne, il importe de préciser qu'il a puisé ses sources au sein de théories développées depuis les années 30 par les " Frères Musulmans "25 égyptiens. Cette violence politique ultime s'est internationalisée en 1979, non seulement à la faveur de la révolution chiite26 des mollahs, mais également du conflit afghan.

A - La naissance du terrorisme islamiste

Le terrorisme islamiste de confession sunnite27 est né en Egypte au début des années 1970 à l'instigation de mouvements s'inspirant tant des théories développées par les " frères musulmans ", que des écrits de Sayyed Qotb28. En raison de la radicalisation successive des thèses prônées par les " frères musulmans ", naissance fut donnée à des groupes appelant ouvertement à la lutte armée, tels que la " Jama'at Islamiiya " (Groupe Islamique), ou " Al Jihad " (Guerre sainte). Ce dernier groupe est d'ailleurs responsable le 6 octobre 1981 de l'assassinat du Président égyptien Sadate, ancien frère musulman, dénoncé par la mouvance activiste comme le " nouveau Pharaon "29.

Ces organisations combattantes ont dirigé leurs actions contre les " apostats " (dirigeants arabes laïcs), qui répriment durement leurs activités. De nombreux Etats musulmans se voyant chaque jour davantage confrontés à la montée en puissance des fondamentalistes ont du alors adopter des politiques de circonstance. Ainsi, certains Etats30 ont-ils choisi d'opter pour une politique d'islamisation de la société qui accroît le poids des religieux conservateurs, tandis que d'autres31 ont préféré adopter une politique de répression à l'encontre des extrémistes islamistes.

B - L'internationalisation du terrorisme islamiste

Le terrorisme islamiste a acquis sa dimension internationale tant avec la révolution iranienne, qu'en réaction à l'intervention de l'Union Soviétique en Afghanistan.

C'est avec la révolution iranienne que va naître en 1979 l'une des premières Républiques islamiques. Bien qu'observée dans un premier temps avec une certaine bienveillance par les occidentaux, elle ne tarde pourtant pas à être dénoncée par ces derniers du fait notamment de la multiplication des actions terroristes et des assassinats politiques hors d'Iran. Ce régime se révèle finalement être une véritable dictature à vocation hégémonique utilisant, en sus, habilement la manipulation.

En effet, le régime en place, d'obédience chiite, ne tardera pas à vouloir affirmer sa légitimité dans le monde musulman, en contestant le leadership de l'Arabie Saoudite d'obédience sunnite. Cette dénégation conduira finalement les deux Etats dans une lutte larvée, utilisant la violence à des fins politiques, chacun souhaitant reprendre à son compte tant le contrôle des institutions islamiques radicales que la défense des institutions islamiques.

L'Iran interviendra en outre dans le conflit israélo-palestinien et manipulera le Hezbollah libanais pour mener celui-ci à servir son action extérieure contre les ennemis intérieurs du régime et contre l'Occident. Ainsi le Hezbollah est-il largement impliqué dans les attentats spectaculaires commis à Beyrouth en 1983, dans les enlèvements des ressortissants occidentaux au Liban durant les années 1980 et dans la campagne d'attentats perpétrés en France entre 1985 et 1986. Il a concentré finalement ses actions sur Israël avant de se transformer progressivement en parti politique doté d'une branche militaire qui prend de plus en plus l'aspect d'une armée régulière. Il reste cependant aujourd'hui, grâce à ses structures et à ses relais à l'étranger, capable de perpétrer des actions terroristes, soit au Proche-Orient, soit à l'extérieur .

La guerre d'Afghanistan, qui a débuté le 24 décembre 1979, est à l'origine du phénomène moudjahidin (combattant) et plus précisément du Jihad terroriste. Dès le début des années 80, cette guerre va entraîner l'arrivée au Pakistan, au nom de la guerre sainte décrétée contre l'envahisseur soviétique, de milliers (dix à trente mille) de volontaires arabes venus en particulier d'Arabie Saoudite et d'Egypte, mais également du Maghreb. La résistance s'organise d'autant plus facilement qu'elle bénéficie alors du soutien logistique de Washington, de Riyad et du Pakistan. La conséquence de cet immense rassemblement au nom " d'Allah " aura pour effet, au delà de valeurs partagées comme l'exil et la clandestinité, de façonner les moudjahidin à un islam frustre et rigoriste, qu'ils n'auront de cesse de vouloir affirmer et faire perdurer une fois le conflit terminé.

A la fin des années 80, le départ hors du Pakistan d'une partie de ces combattants marquera alors l'avènement d'une nouvelle vague de terrorisme. Certains moujahidin32 retourneront dans leur pays d'origine et serviront de fer de lance aux organisations islamistes locales. C'est alors qu'apparaîtront dans de nombreux pays musulmans, des groupes composés ou encadrés par des moujahidin, dont les structures ainsi que les modes de fonctionnement diffèrent des autres organisations terroristes : Ces groupes ne présentent a priori entre eux aucune structure hiérarchique. L'aspect semble plus que chaotique. La discipline est cependant beaucoup plus présente qu'il n'y paraît de prime abord. Quant à son aspect, s'il est effectivement chaotique, il n'en est pas pour autant anarchique. Certains spécialistes affirment même que c'est ce type de système qui leur permet de fonctionner et de survivre33. Ces groupes regroupent des criminels de droit commun, qui constituent des recrues de choix.

Le financement de ces groupes provient de diverses sources pour le moins douteuses : financement par des Etats, par détournement d'aides politiques ou caritatives mal contrôlées, aides de diaspora criminelles, voire financement d'actions subversives par des organisations non gouvernementales islamiques.

Ces groupes, souvent transnationaux, " partagent la haine de l'occident et de ses valeurs, en particulier la démocratie et le libéralisme, auxquelles ils veulent substituer une société fondée sur les principes de l'Islam "34.

L'Algérie ainsi que l'Egypte35 ont constitué des cibles privilégiées pour l'action de ces groupes, particulièrement bien implantés dans ces territoires (GIA en Algérie et " Jama'at Islamiiya " et " Al Jihad ", en Egypte).

D'autres pays ont cependant été touchés par cette vague de terrorisme tels que l'Arabie Saoudite (attentats de Riyad et d'El Khobar) , les E.U. (attentat du world trade center de New York en 1993, inspiré par le cheikh Omar Abdel Rahman, guide spirituel de la " Jama'at Islamiiya "), ainsi que la France qui a été visée de 1994 à 1996 par une vague d'attentats des " GIA " (détournement de l'Airbus d'Air-France en décembre 199436, attentats de l'été 1995, attentat de décembre 1996 à la station RER Port-Royal...).

Si les menaces du terrorisme islamiste semblent avoir diminué au cours de ces dernières années - du moins en ce qui concerne la France - il convient cependant de se montrer prudent, d'autant que le détournement de l'Airbus d'Air-France en 1994 tend à montrer la capacité de ces groupes à perpétrer des actes contre notre aviation.

Par ailleurs, ceux qui se réjouissent des dissensions internes en Algérie au sein de la mouvance des GIA, croyant peut-être la dernière heure du mouvement venue, se doivent de réaliser, comme le souligne Xavier Raufer, que : " Le fait que ces groupes, tels les GIA, s'affrontent entre eux, n'est, contrairement à ce que l'on pourrait penser, pas synonyme d'effondrement, mais de tonicité ! "37

En outre, deux ans après le double attentat contre les ambassades américaines à Nairobi (291 morts) et à Dar es Salam (10 morts) attribué aux réseaux d'Oussama Ben Laden38, il convient de signaler que les pays occidentaux sont toujours sous le coup d'une " fatwa " (jugement religieux) lancée par ce dernier et appelant, en février 1998, aux actions armées contre les ressortissants occidentaux et notamment américains, où qu'ils se trouvent, au nom du « front islamique mondial de lutte contre les juifs et les croisés ».39 En raison de ce qui précède, il convient donc de conclure que des compagnies étrangères occidentales, en transit sur notre territoire, ne sont pas à l'abri d'attaques islamiques au départ de notre pays.
 

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21La première fut constituée au Pakistan en 1947.

22Bruce Hoffman préc.

23Entretien avec Jacques Poinas, préc.

24Jean-Philippe Conrad " Origines et réalités de l'islamisme activiste " in, " Les sratégies du terrorisme ", sous la direction de Gérard Chaliand, Desclées de Brouwer, Paris 1999.

25La confrérie des " frères musulmans " créée par Hassan Al Banna (1906-1949), instituteur égyptien, en 1928 devient rapidement un mouvement politique structuré dont la puissance réelle tient au contrôle de multiples organisations impliquées dans le domaine social (associations étudiantes, organisations caritatives...). Vingt après sa création, le mouvement compte environ deux millions d'adhérents. Il s'agit du premier grand mouvement fondamentaliste prosélyte (courant de pensée qui affirme la volonté de retour aux textes fondateurs de l'islam, tels que les sourates du Coran et les haddiths). Il prône une réforme complète de la société où la justice sociale serait assurée, non plus par la charité individuelle, mais par la prise en charge de l'aumône légale par l'Etat qui en effectuerait une juste redistribution. Il est à noter également que cette confrérie s'oppose à toute idée nationaliste et appelle à la renaissance de l'oumma (communauté des croyants qui abolit les frontières des Etats au profit d'un espace géopolitique appartenant au peuple de Dieu).

26Le chiisme (de Chi'Ali : parti d'Ali) est une branche minoritaire créée par les partisans d'Ali, quatrième successeur de Mahomet. Oprimés pendant des siècles, les chiites ne survivront que par la conquête d'un Etat non arabe, la Perse.

27Le sunnisme (de sunna : tradition) représente la branche majoritaire de la communauté musulmane et est particulièrement présente dans le monde arabe. S'appuyant sur les cinq obligations religieuses, l'obéissance au Coran et le respects des Haddits (commandements du prophète), il se marque dans les faits par une séparation entre le pouvoir politique (temporel) et le pouvoir religieux (intemporel), depuis que la dynastie des Ommeyades a mis fin au califat.

28Sayyed Qotb : théoricien de la rupture islamique avec l'ordre établi et de la prise du pouvoir par la violence.

29Conférence du Commissaire Principal Migaux préc.

30Ainsi, en 1972, la constitution de l'Egypte précise que le charia (loi islamique) est la source principale du droit ; en 1985 le Pakistan fait de même tout comme l'Algérie en 1984 pour le statut personnel.

31La politique de répression a tour à tour été pratiquée tant par l'Egypte, que par la Syrie avec le massacre de Hama en 1982, la Tunisie et enfin l'Algérie en 1992 ( peu avant le deuxième tour des élections législatives qui s'annonce incontestablement en faveur du FIS - Front Islamique du Salut - l'armée algérienne décide d'interrompre le processus électoral et d'emprisonner plusieurs dizaines de milliers de militants islamistes, qui étrangement n'étaient pas forcément les plus radicaux ).

32Certains, en effet, car d'autres, par souci d'être inquiétés dans leur pays d'origine, partiront dans les pays traditionnels d'immigration ou se réfugieront dans la zone frontalière pakistano-afghane.

33Xavier Raufer, in conférence préc.

34Jacques Poinas, in entretien préc.

35Attentat de Louxor en 1997, responsable de la mort de 60 personnes de nationalité principalement étrangère.

36Cf. Annexe n° 1.

37X. Raufer, in conférence préc.

38Oussama ben (ou bin) Laden, originaire d'une très riche famille saoudienne d'origine yéménite a rejoint l'Afghanistan durant la guerre. Il est devenu par la suite un des principaux soutiens des groupes radicaux sunnites dans le monde. Il est aujourd'hui considéré comme le nouveau chef du terrorisme international.

39Jacques Poinas, entretiens préc.

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