Zones chaotiques, crime et missions de maintien de la paix

Xavier RAUFER

Avril 2000

 

1°) Voilà un an, la “guerre des 78 jours” éclatait au Kosovo. Comme criminologue, je n’ai pas à me prononcer sur la dimension politique ou militaire de ce conflit, mais à analyser ses conséquences criminelles, un an après. A voir aussi comment mieux intégrer à l’avenir la notion de respect de la loi dans le “cahier des charges” de futures opérations internationales ou actions de maintien de la paix.

 

Que s’est-il passé avant l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo ?

 

En Europe - en France et en Grande-Bretagne et aussi aux Etats-Unis - des experts (criminologues, policiers, officiers de renseignement, etc.) ont averti les dirigeants politiques et militaires de la coalition de la nature très spécifique des conflits dans les Balkans. Ces particularités sont complexes et profondément ancrées dans l’histoire et il est impossible de les exposer ici. Mais pour faire court, les experts ont insisté :

 

• Sur la nature hybride des conflits dans la région. Ces conflits balkaniques ont toujours eu une face militaire, bien sûr, mais aussi une forte dimension criminelle,

 

• Sur la présence dans la région d’authentiques mafias et, un cran en dessous, d’une criminalité organisée puissante, riche et surarmée.

 

La vérité oblige à dire qu’il n’a été tenu nul compte de ces avertissements.

Les diplomates ont continué à faire de la diplomatie,

Les politiciens, de la politique,

Les militaires ont fait la guerre.

 

Résultat de cet oubli désastreux de la dimension criminelle des conflits dans les Balkans : depuis un an, les trafics de stupéfiants, de véhicules volés et d’êtres humains explosent dans la région et de là, en Europe occidentale. On constate notamment que les saisies d’héroïne le long de la fameuse Route des Balkans qui étaient jusqu’au début 1999 d’1 à 5 kilos en moyenne, vont depuis l’été 1999 de 50 kilos à parfois 1 tonne métrique d’héroïne pure par saisie !

 

2°) Comment faire pour qu’un tel désastre - dont l’Europe paiera durablement le prix - ne se reproduise plus ? Quel pourrait être le rôle des Nations-Unies, notamment celui du Bureau des Nations-Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime dans le domaine de la prévention criminelle en cas de crise ?

 

Soyons réalistes : de telles crises internationales sérieuses, il y en aura encore dans l’avenir, en l’absence d’un ordre mondial clair, durable, stable et acceptable par tous. Dans ces conditions, des interventions militaires, des missions de maintien de la paix seront à nouveau nécessaires. Que faire alors, pour qu’en cas de besoin, la dimension criminelle d’une région donnée soit prise en compte ? Que faire pour éviter un nouveau Kosovo, où la boîte de Pandore fut ouverte par inadvertance ?

 

En ce cas, réclamer l’instauration de l’état de droit ne suffit pas. Demander l’application de la loi peut rester une exigence rhétorique - si l’on ne sait pas de quelles lois il s’agit, quels crimes sont le plus susceptibles d’être commis. Bref, si on ignore la réalité criminelle de la région en cause. Les lois et procédures légales ont un but : réprimer et punir des crimes précis. Tant qu’on n’a pas une idée sérieuse de la nature de ces crimes, on ne peut pas parler sérieusement de restaurer l’état de droit. Alors, que faire ?

 

On l’a vu : les officiels civils et militaires tendent à négliger l’avis des experts - formulé naturellement dans la discrétion - face au bombardement médiatique intense auquel ils font face. Lors d’une crise grave et d’un péril criminel sérieux, l’avertissement doit donc être fort et venir de haut.

 

La communauté des nations doit donc disposer d’un observatoire criminel lui permettant de réaliser avec autorité, sérieux et indépendance, le diagnostic criminel de la région en cause.

 

La mission de cet observatoire serait double :

 

• Fournir aux dirigeants des Nations-Unies, aux forces de maintien de l’ordre, une information précise et neutre sur la situation criminelle de la région eu cause,

 

• S’assurer que ces informations sont bien prises en compte par les dirigeants politiques et militaires impliqués dans l’opération.

 

Cet observatoire pourrait aussi évaluer les besoins en magistrats, en textes juridiques précis, si vague criminelle devait suivre ladite intervention.

 

Il est d’autant plus important de disposer d’une tel outil de radiographie criminelle que les forces de l’ordre sont par construction lentes dès qu’il s’agit de justice - tenues qu’elles sont par des règles, des lois, des procédures - et qu’à l’inverse, les sociétés criminelles sont par essence opportunistes et rapides.

 

Le Kosovo fournit un exemple clair : dès l’arrivée des forces de l’OTAN, début juillet 1999 au plus tard, les mafias étaient à l’œuvre dans toute la province. Aujourd’hui même (11 avril 2000), plus d’un an après le début de l’intervention de l’OTAN, le Kosovo et l’Albanie n’ont toujours pas de convention d’extradition réciproque, permettant de rendre au Kosovo des criminels kosovars capturés en Albanie, et de renvoyer dans ce dernier pays des mafieux albanais arrêtés au Kosovo.

 

3°) Au plan criminel, la communauté internationale est confrontée à des problèmes graves mais peu nombreux et analogues.

 

Préalablement à l’établissement ou au rétablissement de l’état de droit, il semble important de définir quelques grands principes anti-criminels de valeur universelle et acceptés par tous.

 

La lutte antiterroriste donne ici un exemple concret : un immense progrès a été accompli dans ce domaine quand la communauté internationale a décidé toute entière que certains actes (attentats aveugles, détournements d’avions, massacres, etc.) étaient politiquement et moralement injustifiables, et ne seraient donc considérés désormais que comme des crimes graves, des actes terroristes inexcusables.

 

Ce sont de telles règles qu’il faut susciter et faire approuver dans le domaine de la lutte contre le crime organisé international. Souhaitons que la prochaine Convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée s’appuie ainsi sur quelques principes forts et clairs.