Le sociologisme, pensée unique du domaine criminel

Xavier RAUFER

Juillet 2001

 

Dans notre pays, une déviation militante de la sociologie – le sociologisme - a fini par incarner la pensée unique dans le champ criminel. Chaque crime grave, chaque éruption de violences urbaines voit la vulgate sociologiste déferler par pleines pages. Or en réalité, cette vulgate n’est pas scientifique, mais anarchisante; elle n’est pas savante, mais ignore au contraire gravement la réalité criminelle. C’est cette déviation que nous exposons ici. Mais d’emblée, l’honnêteté intellectuelle pousse à souligner que le sociologisme n’a pas contaminé toute la gauche ; il existe aussi une gauche réaliste que nous tenons à présenter d’entrée de jeu.

 

Ce courant réaliste existe même au Syndicat de la Magistrature ! Dans la revue « Justice » (novembre 1998), le magistrat Didier Peyrat souligne en effet que « l’insécurité réelle est en augmentation massive » et qu’ « un débat sérieux sur la réalité et les effets dévastateurs de l’insécurité en tant que telle, s’impose ». Peyrat avertit aussi qu’« il est parfaitement douteux que la diminution du chômage et la réduction des inégalités nous débarrassent de la délinquance de masse » ; enfin, il supplie « une certaine gauche qui préfère perdre le contact avec le réel plutôt qu’avec ses poncifs » de « rompre avec la culture de l’excuse ».

 

Au même moment « l’Hebdo des socialistes » (N°76, 9 octobre 1998) révélait le tropisme sécuritaire des militants du parti, partant de 12 291 réponses à un questionnaire. Vols et agressions : les tribunaux sont-ils trop sévères : 2% ; pas assez : 56% ; juste comme il faut : 38%. Interdire aux enfants de circuler seuls la nuit pour lutter contre la délinquance juvénile, serait-il très efficace ? 20% ; plutôt efficace ? 33% ; peu efficace ? 26% pas efficace du tout ? 18%. Mettre sous tutelle les allocations familiales des parents de mineurs délinquants ? Très efficace ? 28% ; plutôt efficace ? 36% ; peu efficace ? 19% pas efficace du tout ? 13%.

 

Enfin l’an passé, la démographe Michèle Tribalat dénonçait la « culture de l’excuse », dans une tribune libre du Figaro (18/10/00) : « faut-il protéger d’une sorte d’immunité a priori et absolue ceux qui sont, aux yeux d’une gauche bien-pensante, que les éternelles victimes de nos « ghettos », objet de leurs chères études et de leur sollicitude ? … Les jeunes d’origine maghrébine sont comme les autres, ils ne se réduisent pas à l’objet de la sociologie du malheur. ». Et soulignait en conclusion : « une complaisance coupable n’est jamais qu’une autre forme de colonialisme. Le respect est fait d’exigence ».

 

Ainsi donc, la sociologie en tant que telle, la gauche dans son ensemble ne sont-elles pas visées par cette étude. La lucidité en matière criminelle – comme l’aveuglement - traversent également les grands courants politiques. On trouve dans les deux camps des tenants de la culture de l’excuse, des « accros » au sociologisme – pure vulgate au service d’un militantisme révolutionnaire, que nous analysons maintenant.

 

• La France en proie au sociologisme

 

A l’occasion de l’ « affaire Teissier », le sociologue Michel Maffesoli dénonce « Une certaine sociologie dogmatique… outrecuidante, arrogante, moralisatrice », qui « refuse d’analyser ce qui est » et fait « le lit des diverses formes de fanatisme qui, d’une manière sauvage, risquent de proliférer » [1]. Une discipline déjà égratignée, peu auparavant, par deux autres intellectuels, l’un de droite, l’autre venu de l’extrême-gauche.

 

. Dans « Délires et défaites, une histoire intellectuelle de l’exception française » [2] Claude Fouquet souligne que « D’Auguste Comte à Pierre Bourdieu, la sociologie n’a conduit à aucune découverte notable, ni à des conclusions ou à des prescriptions généralement acceptées, autre que des truismes. Après un siècle et demi de sociologie, nous disposons d’une énorme moisson de faits sociaux, mais guère de consensus sur l’interprétation à leur donner ».

 

. Dans ce dur pamphlet qu’est « Portrait de l’intellectuel en animal de compagnie » [3], Michel Surya dénonce la perversion de la sociologie qu’il nomme le sociologisme, et son pouvoir actuel sur la presse et la classe politique : « le succès du sociologisme n’a pas d’autre sens : celui d’une dépolitisation de fait de la pensée ». Cette déviation de la sociologie serait dans notre pays l’idéologie de secours, le palliatif au déficit de pensée ; ce que confirme Claude Fouquet, pour qui les sociologues « occupent massivement les pages centrales consacrées aux « idées » du Monde ou de Libération, où ils expriment, non des découvertes ou des hypothèses scientifiques plausibles, mais leurs préférences politiques et parfois, leurs talents polémiques ».

 

• Sociologisme : les habits neufs du gauchisme

 

Peu nombreux sont les sociologues s’intéressant aux violences urbaines, au monde des prisons, au crime. Parmi eux abonde un type humain désormais rare – voire oublié : l’intellectuel organique. Naguère fasciné par le prolétaire d’usine puis par le guérillero anticolonialiste, l’intellectuel organique s’enflamme aujourd’hui pour les marginaux, déviants, et autres criminels ; les banlieues des métropoles sont pour lui de nouveaux territoires à libérer, d’ultimes colonies. Une orientation anarchisante : de fait, c’est dans la prose anarchiste récente qu’on trouve exposés le credo du sociologisme, repris ensuite par certains médias :

 

. L’éditorial (janvier 2000) d’Alternative Libertaire affirme ainsi que le capitalisme répond « à la marginalisation sociale et politique des « classes dangereuses » (jeunes rejetant le système scolaire, chômeurs et précaires, sans-logis, sans-papiers) par une répression policière et un contrôle social croissant ».

 

. Courant Alternatif publie au 1er trimestre 2000 un numéro spécial « contrôle social » sous le titre « classe laborieuse – classe dangereuse : la criminalisation de l’immigré », où l’on assimile le prolétaire d’aujourd’hui à l’immigré et dénonce le « renforcement des politiques coloniales à l’intérieur de l’Europe… la constitution d’une forteresse dotée d’un système policier très important, qui considère comme ses ennemis principaux à la fois la criminalité organisée, les terrorismes et l’immigration clandestine », avant de conclure « aujourd’hui, la criminalisation de l’immigré permet de plonger une masse importante de main d’œuvre dans la précarité salariale ».

 

Le sociologisme partage aussi l’illusion centrale du socialisme, définie par Robert Conquest [4] dans « Reflections on a ravaged century » : notre connaissance du comportement humain serait telle qu’on pourrait modeler une société, quelque complexe qu’elle soit, suivant des plans scientifiques, ou au moins rationnels. Or les éléments déviants, marginaux, criminels de la société - ceux qu’étudie la criminologie - forment un ensemble si chaotique, si opportuniste, si insaisissable, qu’il semble aujourd’hui impossible de le manipuler par voie d’ingénierie sociale ; et fort difficile de faire sur lui prédictions fiables ou plans efficaces.

 

Le sociologisme, c’est enfin la recherche, idéologiquement intéressée, de l’objectif des pratiques pénales en vigueur [5]. « S’intéresser spécifiquement au rôle [criminel] des groupes d’origine étrangère fait-il courir aux communautés immigrées un risque de stigmatisation ? »… « Le concept de crime organisé sert parfois moins à décrire un phénomène qu’à définir un nouvel ennemi intérieur »… « La criminalisation de la politique nous en apprend peut-être moins par les faits qui la constituent que par la manière dont ces faits ont été qualifiés, interprétés et divulgués par des « instances de révélation », etc. Critique de la critique, commentaire sur le commentaire, cette nouvelle inquisition finit par oublier l’objet même de toute l’affaire : le crime.

 

• Une pensée unique sociologiste médiatique et officielle

 

Le sociologisme touche d’abord certains médias, pour qui les violences urbaines, les banlieues chaudes relèvent du tout-social :

 

« L’action publique doit rapidement s’investir dans ce changement de regard. En formant les professionnels qui, sur le terrain, forgeront les passerelles entre les deux mondes, serviront d’interlocuteurs à ces jeunes qui n’en n’ont pas. En aidant les travailleurs sociaux, les agents des services publics, à s’adapter au public des quartiers déshérités. En soutenant plus franchement les individus qui, çà et là, portent à bout de bras des projets, innovent, font de leur cité un laboratoire social ».

 

« Banlieues en rupture…En réalité, la question est avant tout économique et sociale. C’est celle des cités dortoirs devenues des cités-repoussoirs, foyers de pauvreté et d’exclusion »

 

Mais le virus sociologiste attaque aussi d’authentiques savants. Dans un entretien donné à « Libération « ((12/05/01) l’épidémiologiste Marie Choquet, dont les études sur la toxicomanie et le suicide des adolescents font autorité [6], s’exprime sur le continuum « troubles adolescents » - violences urbaines. L’entretien vise bien sûr à masquer la réalité criminelle des banlieues derrière les turbulences psychologiques des adolescents qui y vivent. Mais, voulant prouver que les quartiers chauds hébergent moins de malfaiteurs endurcis que de pauvres enfants en souffrance, Mme Choquet avance, hélas, deux arguments que tout criminologue ne peut que rejeter.

 

• Sur la violence des « jeunes » et le crime : « Les seules données disponibles concernent la mortalité : est-ce que les jeunes décèdent plus par homicide qu’auparavant ? Eh bien non ! Il n’existe pas une évolution extraordinaire ».

 

En 1985 - déjà pour dénoncer l’ « hystérie sécuritaire » - un premier ministre soulignait que « le nombre de personnes assassinées en France n’augmente pas depuis la libération ». Réitérons donc la réfutation : ici, le paramètre juste n’est pas le nombre des décédés, mais celui des blessés graves (poignardés, brûlés par bouteille incendiaire, ou blessés par tir d’armes à feu) qu’ils décèdent par la suite ou non. Un ensemble, lui, en constante augmentation. Et les décès y sont à peu près constants, non grâce à une prétendue stagnation du crime, mais du fait de sérieux progrès (technologie, méthodologie, médicaments, etc.) de la médecine d’urgence, notamment au cours de la dernière décennie et aussi d’une rapidité accrue:

 

. Des communications avec la police ou les pompiers après l’agression ;

 

. Des transports du lieu de l’attaque à celui des soins (urgences, etc.) ;

 

Si donc, en 2001 et à nombre d’homicides constant, on sauve sept victimes de violences sérieuses, contre quatre en 1980, c’est que les agressions ont augmenté. Or ce qui traumatise la population – d’abord celle des banlieues chaude, la plus exposée - c’est l’agression - qu’elle se solde par un décès, ou « que » par un mois d’hôpital…

 

• A propos des « quartiers sensibles », Mme Choquet se réfère à la « stigmatisation » : « la définition de la personne par ses seules caractéristiques sociales, je ne connais rien de plus terrible ».

 

La stigmatisation est le concept-phare de l’école criminologique dite « interactionniste » (interaction entre l’individu et la société, mécanismes sociaux du rejet). D’abord californienne (décennie50), cette école, marquée par la Contre-culture comme l’ « antipsychiatrie », gagna l’Europe dans les sixties. Elle produisit le concept d’« étiquetage », de stéréotype du criminel (bouc émissaire), puis en vint à affirmer que le crime n’existait pas en soi, n’était qu’un artefact uniquement provoqué par la stigmatisation. logiquement, elle prôna donc « l’intervention minimale » de la police contre les rébellions juvéniles. Moins la police intervenait et moins les choses s’aggravaient. Appliquée en Californie durant une décennie, cette doctrine permit la formation de bandes criminelles dont cet Etat n’est jamais venu à bout depuis lors. A ce point, le père même de l’école interactionniste désavoua son propre enfant, pure secte révolutionnaire, « tribune de critique sociale, agissant à sens unique contre les agences de contrôle »..

 

Il est donc étrange de voir Mme Choquet se référer à cette doctrine, catastrophique partout et en France même ; abandonnée dans le monde anglo-saxon, sauf par quelques sectes discréditées. Mais le résultat est là; intellectuels, médias : le sociologisme devient la doctrine officielle. Là encore, un exemple entre cent : dans un entretien au « Figaro » (12 juillet 2000), le Procureur de Paris, M. Jean-Pierre Dintilhac, explique l’augmentation de la criminalité (dans la France de la décennie 1990) par celle du chômage. Or d’innombrables savants ont tenté de trouver un lien scientifique entre crime, misère et chômage. Et tous, à ce jour, ont échoué, comme on le verra plus bas.

 

Plus largement : l’explication par le social, seule admissible pour le sociologisme et ses adeptes journalistes, hauts fonctionnaires ou intellectuels, s’illustre surtout par ses échecs, d’abord dans notre pays. A l’inverse, la théorie dite « répressive » explique la montée de la criminalité dans un pays par l’affaiblissement concomitant de la répression. En majorité, les criminels font un choix rationnel de type coût-bénéfice ; plus de crimes adviennent quand les opportunités augmentent (prospérité) et que la chose est moins risquée (laxisme). Cette théorie fut notamment appliquée aux Etats-Unis dans la décennie 90. Les peines de prison furent aggravées pour les crimes sérieux ; on mit plus de policiers dans les rues, plus de malfaiteurs en prison et plus durablement. Et la criminalité baissa fortement – toutes choses égales par ailleurs.

 

• Sociologisme et criminalité : idéologie et illusions de la pensée unique

 

Dans les Etats de droit, les statistiques (de tous ordres, pas uniquement celles de la police ; celles des professions, des régions, des syndicats, etc.) montrent qu’au fil des années, la criminalité constatée monte et baisse, comme les vagues de la mer. Hormis les illuminés niant la réalité même du crime, chercheurs, élus, experts issus des instances de contrôle ou de répression constatent tous le phénomène. Mais pourquoi une vague criminelle enfle-t-elle, monte, déferle, puis enfin se retire ? Là est le mystère. L’origine de ce phénomène cyclique – à supposer qu’il n’y en ait qu’une – est-elle économique ? Démographique ? Politique (laxisme ou répression) ? Dépend-il, ce phénomène, d’une autre vague, de consommation de stupéfiants celle-là ? S’agissant des Etats-Unis [7]: alors que les assassinats constatés baissent, et fort, à New York dès 1993, puis ensuite jusqu’à 1999, dans d’autres métropoles des Etats-Unis ; pourquoi ce nombre augmente-t-il à nouveau (entre autres), à New York, Los Angeles et Phoenix (Arizona), à partir de 2000 ? Alors que ces métropoles n’ont pas changé de politique répressive ?

 

La question est assez complexe pour qu’on ne l’obscurcisse pas encore en la noyant dans le sentimentalisme hugolien : car si l’on a peu de certitudes en la matière, on a au moins celle-la : dans les pays développés [8] (qui sont pour la plupart aussi des Etats de droit) [9] il n’y a, à ce jour, nul lien direct constaté entre misère sociale et crime, pas plus qu’entre chômage et crime.

 

C’est ce que dit notamment Francis Fukuyama dans une étude publiée dans « The Atlantic Monthly » [10] : « L’idée que la pauvreté et l’inégalité provoquent le crime est fort répandue parmi les politiciens et les électeurs des sociétés démocratiques, justifiant ainsi les programmes d’aide sociale et de réduction de la pauvreté. Mais bien qu’un vague lien entre inégalité et criminalité soit concevable, il n’explique en rien l’explosion criminelle en occident. Nulle dépression dans les décennies 60 à 90 n’explique ce fort accroissement. La vague criminelle post-seconde guerre mondiale débuta au contraire dans une ère de plein emploi et de prospérité générale (alors que la Grande Dépression des années 30 vit décroître la criminalité violente aux Etats-Unis). L’inégalité des revenus s’est accrue aux Etats-Unis durant la Grande Désorganisation (années 80 à 90 pour l’auteur, NDT), mais la criminalité a également progressé dans des pays développés bien plus égalitaires que l’Amérique. Une plus grande inégalité de revenus peut tendre à expliquer pourquoi les moyennes criminelles sont plus élevées aux Etats-Unis qu’en Suède – mais n’explique pas pourquoi la criminalité a commencé à croître dans ce pays au même moment qu’en Amérique. Mieux : l’inégalité de revenus s’est encore accrue aux Etats-Unis durant la décennie 90, alors que la criminalité y diminuait ».

 

Considérons maintenant le credo N°1 du sociologisme : c’est le chômage qui suscite le crime. Un argument repris à l’envi par les hommes politiques – hélas ! Pas tous socialistes. Or quelque dramatique, quelque dissolvant qu’il soit pour la société, le chômage n’a en réalité que des liens douteux et contradictoires avec la criminalité et en tout cas, nul lien direct de type cause à effet.

 

Douteux: imaginons tous les demandeurs d’emploi alignés devant un guichet. Les malfaiteurs-chômeurs sont en fin de queue, car peu séduisants pour un potentiel employeur et peu motivés, ayant l’option crime comme « roue de secours ». Il faut donc atteindre la fin de la file d’attente pour dissuader un seul malfaiteur potentiel de choir dans la délinquance, en lui fournissant un emploi séduisant.

 

Contradictoire : le chômage peut pousser un désespéré à voler, ou à attaquer une caissière, bien sûr ; mais inversement, le crime provoque aussi le chômage. D’abord, les criminels ne sont pas tous chômeurs. Des études britanniques montrent que, dans une tranche d’âge donnée et en proportion, autant de malfaiteurs que d’« honnêtes » ont un emploi ; ceux-ci ayant plutôt de moins bons salaires que ceux-là. Seule différence : les malfaiteurs ont des emplois moins motivants, sans grand avenir. Or quand un salarié quitte son emploi pour la carrière criminelle, il devient statistiquement chômeur : ici, c’est le crime qui provoque le chômage, et non l’inverse. De même, si la violence atteint dans un quartier un niveau tel que les commerces y ferment et licencient leurs employés, c’est encore le crime qui a suscité du chômage – et pas le contraire

 

Etats-Unis : des études par centaines ont été effectuées sur ce sujet dans la décennie 80. Que montrent elles, à l’échelle de l’ensemble du pays ? Ceci :

 

Année

Tendance principale

du chômage

Tendance principale de

la criminalité (connue)

1959

Stable, à un niveau élevé

Stable, à un niveau bas

1969

En chute libre

Très forte progression

1979

En croissance rapide

En baisse légère

 

France : remarquons qu’en l’an 2000, quand le gouvernement annonce une forte baisse du chômage, monte une sérieuse vague criminelle, les vols à main armée et vols avec violence (connus), progressant de plus de 15% dans l’année. Une évolution que la presse finit par constater : dans le Figaro ((1/6/2000), un article illustré d’un tableau, montre que « Le chômage n’explique plus la violence depuis 1992 ».

 

• Pensée unique sociologiste et criminalité : la pratique de l’anathème

 

Mais le sociologisme médiatique fait pire que d’asséner, au fil des ans, une vulgate idéologique démentie par les faits. Ce courant militant tend à s’ériger en « tribunal des mœurs intellectuelles », comme dit le philosophe Jean Baudrillard [11]. Il y a ainsi des champs d’étude entiers sur lesquels l’interdit plane dans la France d’aujourd’hui. Et qu’on n’aborde qu’en subissant les foudres de la police de la pensée sociologisante. Parmi ces thèmes tabou concernant les criminologues :

 

. La génétique du comportement et l’influence de sa nature biologique sur l’homme. Précisément, les pulsions sexuelles agressives masculines ; ou ses élans meurtriers. Il s’agit bien sûr de comprendre un comportement humain, pas de l’approuver ni de le justifier ; tout travail scientifique devant décrire les phénomènes, avant de les expliquer. Ce que font les auteurs de « A natural history of rape », Randy Thornhill et Craig Palmer (publié par le prestigieux Massachusets Institute of technology, MIT).

 

. L’eugénisme et notamment, l’influence de l’avortement sur la criminalité [12]. Les travaux sur ce point d’un juriste de l’université Stanford (Californie), John Donohue, et d’un économiste de l’université de Chicago, Steven Levitt, ont également été publiés par une revue du MIT. Selon eux, la forte baisse de la criminalité dans l’Amérique des années 90 résulte d’une vague d’avortements dans les années 70 [13]. Aux Etats-Unis, cette théorie a outré les partisans comme les adversaires de l’avortement. Mais ses promoteurs se sont librement exprimés. L’auraient-ils pu en France ?

 

. La façon dont les êtres humains se perçoivent suivant des lignes ethniques. Aux Etats-Unis, des équipes de chercheurs en neurologie cérébrale et en psychologie sociale, des universités Yale, New York University et Wisconsin university, de Amherst College ou du Massachusets général hospital de Boston, peuvent librement s’intéresser aux émotions qui traversent le cerveau humain percevant une personne d’une autre race. Des travaux qui, bien sûr, ne confèrent nul statut scientifique au racisme. Mais qui peuvent un jour éclairer la genèse de certains meurtres, ou massacres – donc suggérer des pistes pour les éviter. Ces études ont été publiés dans les revues « Neuro-report » et « Journal of cognitive sciences » où la discussion, intense, reste scientifique, sans que nul ne jette l’ anathème sur des travaux intéressant même de grands quotidiens [14].



[1] « Eloge de la connaissance ordinaire », Le Monde, 24 avril 2001. Michel Maffesoli est professeur de sociologie à Paris V et directeur du Centre d’études sur l’actuel et le quotidien.

[2] Albin Michel, 2000.

[3] Farrago éditeur, 2000.

[4] John Murray ed. Londres, 1999.

[5] Sur cette thématique, voir : « Elites irrégulières, essai sur la délinquance d’affaires », P. Lascoumes, Gallimard, 1997.

[6] « Les jeunes et la drogue » (avec J.-P. Fréjaville et F. Davidson), PUF, 1977 ; « Le suicide de l’adolescent » (avec F. Davidson), ESF, 1982 ; « Adolescents, enquête nationale » (avec Marie Ledoux), INSERM, 1994 ; « Attentes et comportements des adolescents » (avec Marie Ledoux), Espaces 34/INSERM, 1998 ; « Secrets et confidents : au temps de l’adolescence » (avec Alain Braconnier et Colette Chiland) Masson, 2001.

[7] Voir dans l’International Herald Tribune du 23/6/00 « Crime waves wax and wane, and one seems to be waxing ».

[8] Nous précisons bien : dans les pays développés. Dans le reste du monde en revanche, règne une misère si massive qu’elle ne peut qu’engendrer une inépuisable « armée de réserve » prête à toutes les illégalités, à tous les trafics, simplement pour survivre. Quelques chiffres provenant de la Banque mondiale et du Programme des Nations-Unies pour le Développement et cités dans la « New York Review Of Books » du 31 mai 2001 (The charms of poverty) : de 1987 à 1998, le nombre de personnes vivant au dessous du seuil de pauvreté (1 dollar US par jour) a cru de 100 millions, pour atteindre 1,2 milliard. Elevons ce seuil à 1/3 du revenu moyen du Tiers-monde : 32% du monde « en développement » y vit, et 50% de l’Afrique sub-saharienne. 17% de la population mondiale est mal logée ; 15%, mal nourrie ; 15%, illettrée ; 14%, n’accède à aucun service de santé ; 13% a une espérance de vie de 40 ans maximum. Les 20% les plus développés du globe disposent de 86% du produit brut mondial (PBM); de 87% des véhicules en usage ; de 60% de l’énergie produite. Les 20% les plus pauvres disposent, eux, de 1% du PBM et de 1/74ème de ce que gagnent les 20% les plus riches.

[9] S’agissant du Tiers-monde, on de dispose que de très peu de données fiables, recueillies sur le long terme selon des critères validables. Mais une grave et durable misère au Sud, permet de soupçonner qu’une fraction des masses misérables de ces bidonvilles chaotiques qui encerclent les mégapoles d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine est disponible comme « armée de réserve » du crime organisé, des trafiquants et des contrebandiers.

[10] « The great disruption : human nature and the reconstitution of social order » mai 1999.

[11] Dans « Le Monde » du 5/5/01, justement d’ailleurs à propos de l’affaire Teissier.

[12] Voir à ce propos « Une explication originale de la baisse de la criminalité » Le Monde, 8/5/01).

[13] Pour les auteurs : les femmes qui se font le plus souvent avorter sont celles qui, statistiquement, risquent le plus d’avoir un enfant malfaiteur : mères adolescentes, familles monoparentales, milieu pauvre, minorités. Ainsi, 20 ans après la loi Roe vs. Wade, qui légalise l’avortement, il y a moins de jeunes hommes susceptibles d’entrer dans la voie criminelle et donc, la criminalité baisse

[14] Voir « Scanning brains for racial insights », International Herald Tribune », 7/09/00.