Front national et insécurité : diaboliser ou critiquer ?
Xavier RAUFER
Avril 2002
En janvier 1991, j’ai publié dans la revue « Le Débat
» la première, sinon la seule, critique criminologique du programme
du Front national (FN). Intitulée « Front national : sur les
motifs d’une ascension » cette étude – aussi éloignée
de la diabolisation que de la complaisance – débutait ainsi : «
Les succès électoraux du FN entre 1980 et 1990 ont une origine
à peu près unique : un diagnostic juste – n’ayons pas peur
des mots – posé par le mouvement de Jean-Marie Le Pen sur la réalité
de la montée de l’insécurité, de la violence et du terrorisme
– et des angoisses consécutives de millions de français – dans
les premières années de cette décennie. Diagnostic cependant
affaibli par une explication aussi sommaire qu’unique, la responsabilité
des immigrés et complété – si l’on peut dire – par une
absence à peu près totale de solutions praticables... ».
Onze ans ont passé. De façon sidérante, absolument rien
n’a changé. La criminalité augmente toujours, le poids électoral
du Front national, de ce fait, aussi. Et le choc de la montée du FN
reçu, les réactions politico-médiatiques se bornent
encore et toujours à des mobilisations factices, des monômes
et des crises de nerf.
Il y a cependant à dire, froidement et calmement, sur le programme
sécuritaire du Front national. Limitons-nous à ceci, dans l’espace
imparti : en matière de mafias, de terrorisme, de grands trafics d’êtres
humains, d’armes ou de stupéfiants, tous les pays de l’Union européenne,
tous, ont les mêmes problèmes, les mêmes adversaires.
Et ne pourront les affronter qu’unis, grâce à une coordination
policière forte et un Parquet européen. Je vois chaque année
des dizaines de magistrats et de policiers d’Europe: pas plus pro-européens
qu’eux – même Scotland Yard, désormais. Tous se désolent
et s’indignent qu’en Europe, les frontières n’existent plus pour personne
– sauf pour eux. Le repli, alors ? Toujours et partout, la géographie
l’impose à la politique et à l’Histoire. Le voudrait elle,
la France ne saurait fermer ses frontières. De la Suisse à
la mer du Nord, plus de neuf cents passages terrestres non gardés
(et non-gardables) existent et nul ne peut rien y changer. Voilà pour
l’absence de solutions praticables – et on pourrait multiplier les exemples,
notamment dans le domaine des liens complexes entre migrations et criminalité.
Reste la justesse du diagnostic du FN et l’incapacité flagrante de
la classe politique, à ce jour, à prendre au sérieux
la crise criminelle au long cours subie par notre pays, puis de la traiter
une bonne fois pour toutes par la prévention certes, mais aussi par
l’indispensable répression. Cette incapacité provoque l’incessante
montée électorale du FN depuis désormais vingt ans.
Combien de temps encore l’aveuglement officiel durera-t-il ?
En conclusion de mon étude du « Débat », je formulais
voici onze ans le diagnostic suivant : « Pour l’instant, le rôle
de héraut de ce nouveau Tiers-Etat est laissé sans partage
au FN qui fonde ses succès sur la dénonciation tous azimuts
de cette nouvelle inégalité en matière de sécurité.
Tant que majorité et opposition laisseront au FN le monopole de ce
rôle-là, il conservera grosso-modo ses niveaux actuels. Que
la sécurité se dégrade, il les améliorera encore.
».
Ce diagnostic, je le réitère formellement aujourd’hui. Si le
prochain gouvernement ne vient pas à bout, et vite, et bien, de la
violence sociale qui ravage chaque année des zones toujours plus étendues
de la France, nous aurons d’ici cinq ans un Front national à 18% dans
les sondages – et 25 % dans les urnes.