1°) La « gauche réaliste » les violences urbaines, le crime

Fin octobre 1985 paraissait un livre au titre plutôt neutre « L’Etat et les jeunes »(1) . Ignoré, il ne fit alors l’objet d’aucune critique – positive ou négative - dans les médias. Or ce livre était remarquable, à double titre :

. D’abord, comme modèle d’enquête sociologique. On en trouve peu d’aussi vigoureuses, faites sans souci de plaire, ni des bienséances du temps. Il est plus rare encore de voir des auteurs aussi honnêtes : souvent, on sent que leur propre diagnostic ne les réjouit pas ; malgré tout, ils décrivent sans fard les choses comme il les ont vues.

. Ensuite, le livre autopsie lucidement la politique de « prévention de la délinquance » du gouvernement d’alors, notamment, les fameuses « opérations anti-été chaud ».

On lit notamment ceci, sur les vacances offertes aux jeunes malfaiteurs des cités chaudes : « Les enfants commençaient à se prendre pour des stars et à faire des conneries pour se faire remarquer. Après tout, beaucoup pouvaient penser que les services offerts [des vacances gratuites, NDL’A] étaient proportionnels à leur capacité à créer du désordre … Rappelons les réflexions de ces jeunes se demandant s’ils étaient assez délinquants pour avoir droit aux services offerts »… Et ceci, à propos des stages faits au contact avec des policiers : « Ceux qui ont fait des stages chez les motards s’en sont trouvés valorisés. D’ailleurs, maintenant, quand ils iront piquer une moto, c’est celui qui a fait le stage qui conduira ; les CRS nous l’ont dit ». Enfin, les jeunes approchant des militaires, qui déteignit sur qui ? : « Au fur et à mesure, on s’est aperçu qu’ils [les jeunes] créaient des relations avec les bidasses… il y avait un échange de drogue. Quand il fallait aller chercher du matériel, c’étaient les bidasses qui disaient « si tu me files un pétard, je te sors l’équipement ».

Récemment, c’est au Syndicat de la Magistrature qu’apparaît un courant réaliste. Dans la revue « Justice » (novembre 1998), le magistrat Didier Peyrat souligne que « l’insécurité réelle est en augmentation massive » et qu’ « un débat sérieux sur la réalité et les effets dévastateurs de l’insécurité en tant que telle, s’impose ». Peyrat avertit aussi qu’« il est parfaitement douteux que la diminution du chômage et la réduction des inégalités nous débarrassent de la délinquance de masse » ; enfin, il supplie « une certaine gauche qui préfère perdre le contact avec le réel plutôt qu’avec ses poncifs » de « rompre avec la culture de l’excuse ».

Au même moment « l’Hebdo des socialistes » (N°76, 9 octobre 1998) révélait le tropisme sécuritaire des militants du parti, partant de 12 291 réponses à un questionnaire. Vols et agressions : les tribunaux sont-ils trop sévères : 2% ; pas assez : 56% ; juste comme il faut : 38%. Interdire aux enfants de circuler seuls la nuit pour lutter contre la délinquance juvénile, serait-il très efficace ? 20% ; plutôt efficace ? 33% ; peu efficace ? 26% pas efficace du tout ? 18%. Mettre sous tutelle les allocations familiales des parents de mineurs délinquants ? Très efficace ? 28% ; plutôt efficace ? 36% ; peu efficace ? 19% pas efficace du tout ? 13%.

Enfin l’an passé, la démographe Michèle Tribalat dénonçait la « culture de l’excuse », dans une tribune libre du Figaro (18/10/00) : « faut-il protéger d’une sorte d’immunité a priori et absolue ceux qui sont, aux yeux d’une gauche bien-pensante, que les éternelles victimes de nos « ghettos », objet de leurs chères études et de leur sollicitude ? … Les jeunes d’origine maghrébine sont comme les autres, ils ne se réduisent pas à l’objet de la sociologie du malheur. ». Et soulignait en conclusion : « une complaisance coupable n’est jamais qu’une autre forme de colonialisme. Le respect est fait d’exigence ».

Ainsi donc, la sociologie en tant que telle, la gauche dans son ensemble ne sont-elles pas visées par cette étude. La lucidité en matière criminelle – comme l’aveuglement - traversent également les grands courants politiques. On trouve dans les deux camps des tenants de la culture de l’excuse, des « accros » au sociologisme – pure vulgate au service d’un militantisme révolutionnaire, que nous analysons maintenant.



(1) François Dubet, Adil Jazouli, Didier Lapeyronnie, Les Editions Ouvrières, collection Politique sociale, octobre 1985.