France 2002 : réalité criminelle contre scolastique tardive
Xavier Raufer (1)
Mars 2002
Dans la France de 2001, la police a recensé 9 300 hold-up et 125 000
agressions violentes. En 2002, un voyou par semaine, parfois deux ou trois,
est assassiné par arme à feu lors de guerres de gangs toujours
plus meurtrières. Au point qu’au mois de mars, le ministre de l’intérieur
lui-même doit reconnaître l’existence de zones hors-contrôle
en France, tout en jurant – figure imposée en campagne électorale
– que ça ne durera pas.
Comment se fait-il ? Pourquoi cette déferlante criminelle ?
Cela tient d’abord au fait que, dans notre pays, une déviation militante
de la sociologie – le sociologisme - a longtemps incarné la pensée
unique dans le champ criminel. Lors des deux dernières décennies,
chaque crime grave, chaque éruption de violences urbaines voyait la
vulgate sociologiste déferler, par pleines pages, dans la presse.
Or cette vulgate n’était pas scientifique, mais anarchisante; elle
n’était pas savante, mais au contraire gravement ignorante de la réalité
criminelle. Cette vulgate, les tenants du réalisme l’on baptisée
« culture de l’excuse » ; lui correspondant, un étage
au dessous, une pratique concrète, le « tout-social ».
Les inventeurs et grand-prêtres de cette « culture de l’excuse
», ceux que fascinent les violences urbaines, le monde des prisons,
le crime, se rattachent au type humain désormais rare – un peu oublié,
même - de l’intellectuel organique. L’allégeance émotionnelle,
les fantasmes de l’intello-militant se fixèrent d’abord sur le prolétaire
d’usine, puis sur le guérillero anticolonialiste. Aujourd’hui, son
ultime avatar s’enflamme pour les marginaux, déviants, et autres criminels
; les banlieues sont pour lui les derniers territoires à libérer,
les ultimes colonies. De leurs grimoires anarchisants, ces « sociologues
en chambre », ont tiré la « culture de l’excuse »,
qui fait des malfaiteurs des quartiers et cités chauds, les innocentes
« victimes de l’exclusion et du racisme ». Pour eux, la société
capitaliste, et elle seule, est coupable des méfaits commis par les
« jeunes », ainsi nommés par phobie de tout qualificatif
plus précis, ou plus descriptif.
Rétifs à tout contact avec le réel, les tenants de cette
« culture » affirment que l’augmentation de la criminalité
est un mythe et que les statistiques criminelles n’ont aucun sens - sauf
si, par miracle, les infractions en viennent à diminuer sous un gouvernement
de gauche. Dans leur doctrine, ce qui croît est juste un factice sentiment
d’insécurité, attisé par des fascistes ou des agents
de la CIA (dans le cadre d’une « stratégie de la tension »
à l’italienne ou à la chilienne, selon les goûts) ; un
« sentiment » également tisonné par des charlatans,
désireux de s’enrichir en « vendant de la sécurité
» à des débiles, voire à de malheureux fous. Des
fous ? Oui : en juin 2001, un journaliste de Libération interroge
gravement Mme Lebranchu et M. Bartolone, ministres de la Justice et de la
Ville : « comment expliquez-vous la bouffée sécuritaire
actuelle ? » Notez bien le terme : bouffée, comme dans «
bouffée délirante ».
On sait que M. Bartolone et Mme Lebranchu appartiennent alors au ministère
de M. Lionel Jospin, qui ne les a pas choisis par hasard. Car même
s’il se reproche aujourd’hui sa « naïveté », M. Lionel
Jospin a été longtemps englué dans la culture de l’excuse
et la pratique du tout-social – aussi fort que dans du papier tue-mouches.
En juin 2001 encore, il déclarait, lors des rencontres nationales
des contrats locaux de sécurité : « … C’est aussi la
société dans son ensemble qui produit la violence. Ce sont
des insuffisances, des carences dans notre vie sociale qui sont à
l’origine du développement de cette violence ». Au même
colloque, Mme Lebranchu, Garde des Sceaux, mettait : « En garde contre
une dérive sécuritaire qui ferait des jeunes, les nouveaux
ennemis de l’intérieur».
Lourdes fautes de diagnostic, persévérance dans l’idéologie,
élans d’émotivité simplette : tout cela a naturellement
produit des résultats désastreux en matière de sécurité
(le qualificatif désastreux figure dans Libération du 4 août
2001). Comme à l’origine de toute action, il y a toujours des idées,
des concepts, on peut donc affirmer sans crainte que l’actuel désastre
sécuritaire est le produit direct de la culture de l’excuse, le fruit
vénéneux du « tout social ».
Pour ramener la paix sociale et la sécurité dans ce pays, il
faut en conséquence s’éloigner de la bienséance, du
moralisme, des fumées de l’idéologie et des spéculations
litigieuses – bref de tout ce qui échoue depuis vingt ans à
éclairer la réalité du débat sécuritaire.
Et au contraire, ancrer la réflexion criminelle innovante sur le terrain
des faits, dans le domaine du vrai, du démontrable, de l’effectif.
C’est ce que font ici deux auteurs qui – ce n’est pas un hasard – sont aussi
des acteurs concrets de la sécurité au quotidien. Avec eux,
on est loin des « Diafoirus de la sociologie » et autre savants
en chambre. On est sur le terrain. Dans leur livre, figurent des réponses
précises aux questions-clé : qui ? Quand ? Où ? pourquoi
?
Surtout, Rudolph et Soullez n’oublient pas le problème crucial, celui
de la politique criminelle, dont l’élaboration est pour tout gouvernement,
quelle que soit sa couleur politique, la tâche régalienne par
excellence. Je dis problème crucial car depuis vingt ans, nos gouvernants
successifs n’ont, à proprement parler, jamais élaboré
de politique criminelle fondée sur le principe de réalité.
Ils n’ont accouché que d’ersatz à base de social, de communication
et de lacrymal-moralisme, produits de substitution dans lesquels le dosage
distinguait seul la « gauche » de la « droite ».
Et s’agissant de l’application desdits ersatz, on a trop souvent confondu
arrogance et autorité – deux termes en réalité exactement
antinomiques.
D’où l’utilité flagrante de ce livre, authentique outil de
travail pour tous les acteurs de la vie politique et sociale du pays. Enfin
pour tous ceux – l’immense majorité – qui préfèrent
la loi à l’injustice et l’ordre à l’anarchie.
En matière de violences urbaines, les derniers chiffres disponibles
sont ceux de mars 2002. Voici les plus significatifs.
. A l’échelle nationale les vols avec violence connus des services
officiels (VAV agression avec toute arme sauf arme à feu) ont encore
augmenté de 12 %. Rappelons qu’en 2001, ces VAV avaient augmenté
de 23,41 % (± 125 000 actes commis).
. En zone gendarmerie (ZGN, en gros, la France rurale, naguère encore
la plus paisible) les actes de violence urbaine ont, en mars 2002 comparé
avec le même mois de 2001, augmenté de 40% (je dis bien quarante...).
Forte augmentation des violences dans les transports publics ; des atteintes
contre les personnes et biens dans les établissements scolaires ;
des atteintes contre les forces de l’ordre et des rixes et actes divers.
En mars 2002, les départements les plus touchés en ZGN ont
été : le Haut-Rhin, l’Isère, la Marne, la Moselle et
l’Oise. Rappelons que pour l’année 2001 et toujours en ZGN, les «
crimes et délits visant les personnes (vols à main armée,
avec violences, coups et blessures volontaires, etc. avaient augmenté
de 10,20% (72 470 actes).
Insécurité : que faire ?
Quelle est la mission d’un gouvernement sérieusement décidé
à rétablir la sécurité ? Elle est simple. Nulle
difficulté ici à former un diagnostic. Celui ci-est tout fait.
L’écrasante majorité des violences urbaines touche dix-neuf
départements de la métropole ; au sein de ceux-ci, une centaine
de quartiers hors-contrôle. Ces zones de non-droit sont connues – mieux,
elles sont célèbres. Elles défrayent chaque semaine
la chronique : la Rose des vents, les Pyramides, les Tarterêts, le
Clos Saint-Lazare, les Bosquets... Un Far-west à la française.
Le ministère de l’Intérieur en tient la liste, avec nomenclature
des « spécialités criminelles » : l’héroïne,
les voitures désossées, le cannabis, les squats payants, etc.
Dans ces cités sévissent des bandes, agrégées
autour de noyaux durs de prédateurs hyperactifs et multirécidivistes.
Eux aussi sont tous des célébrités locales. Sur le terrain,
policiers et gendarmes en savent la liste par cœur - quand ils arrivent au
commissariat : « Encore toi Momo ! ». En avril dernier, un policier
de la brigade anti-crime de Béziers (179 véhicules incendiés
en 2001, 897 cambriolages) martèle « on les connaît tous.
On a identifié leurs voitures, leurs habitudes, leurs points de chute
».
Insistons : la réalité et la nocivité de ces noyaux
durs ne sont pas des fantasmes droitiers. Voyez le rapport « Habiter-cohabiter,
la sécurité dans le logement social » (février
2002) commandé par Mme. Marie-Noëlle Lienemann, icône de
la gauche socialiste, et rédigé par M. Didier Peyrat, ci-devant
membre du Syndicat de la Magistrature. Tous les acteurs de terrain le confirment
: gardiens d’immeubles HLM, responsables associatifs, travailleurs sociaux.
Dans ce rapport, un sondage IPSOS souligne que pour 74% des habitants des
HLM « une petite minorité de jeunes sont les auteurs d’une très
grande partie des actes déclarés ».
Dans ces bandes, sévissent des boulimiques de l’agression, comme ce
mineur de 16 ans, arrêté en mars dernier dans la cité
chaude de la Reynerie à Toulouse et qui avoue 350 vols avec violence
en trois mois. Il n’attaquait que des femmes vulnérables. En ses propres
termes « juste des vieilles ou celles qui boitent ». Chaque sac
arraché lui rapportait de 10 à 50 Euros. Usage du butin ? «
Se payer des vêtements Lacoste et emmener sa copine au MacDo ».
Ces bandes sont polycriminelles – et parfois proche du terrorisme. En avril
dernier, dans un quartier chaud de Lyon, la police démantèle
un gang qui, depuis deux ans, volait en Suisse des voitures et scooters,
revendus ensuite dans les « marchés aux voleurs » du Rhône.
Pour les policiers « Tous avaient déjà un casier judiciaire
fourni et connaissaient la loi Guigou sur le bout des doigts ». Cette
même bande avait projeté une voiture-bélier en flammes
sur une synagogue de Lyon, le 30 mars écoulé. Pourquoi la synagogue
? Bof, la télé, la Palestine, tout ça ... D’ordinaire
– leur façon de s’amuser – les voitures-bélier du gang incendiaient
plutôt des gymnases ou des postes de police. Depuis que ces dix individus
sont incarcérés – et avant que la justice ne les relâche,
ou qu’une nouvelle bande ne se forme, faute de travail préventif sérieux
- le quartier (12 000 habitants) est redevenu paisible.
Ces quartiers hors contrôle doivent être pour de bon policés,
au sens noble du terme. Ces malfaiteurs chroniques doivent être châtiés
par application stricte du Code pénal. Ce, dans le calme, sans brutalité
ni effets de manches – le pire serait ici qu’une sorte de Sharon des banlieues
multiplie d’inefficaces et contre-productives opérations coup de poing.
Dans le calme, mais sans retard. Car si subsistent les Cours des Miracles
des banlieues, si les jeunes prédateurs violents ne sont pas appelés
au respect de la loi, les « mieux doués », les plus durs
d’entre eux passeront en force à la première division du crime
: le grand banditisme. Cette évolution est en cours. Les « beaux
mecs » de 2010 sont déjà en pré-qualification
dans les quartiers chauds. Il n’est que temps de les rappeler fermement à
l’ordre.
(1) Xavier Raufer est l’auteur de « L’explosion criminelle, les réponses
» publié fin 2001 aux éditions Valmonde, Paris