Vague criminelle sur l’Afrique
Xavier RAUFER
Avril 2002
Cynisme, bienséance : stars, politiciens et intellectuels des pays
riches aiment l’Afrique. Platoniquement, s’entend. Car derrière les
pleurs hypocrites sur le racisme et autres plaies accablant ce continent,
c’est l’indifférence et la passivité. Et d’abord face au drame
immense devant lequel les africains sont seuls : le crime. Car depuis une
décennie maintenant, l’Afrique sub-saharienne vit une explosion criminelle
d’une gravité sans égale au monde.
Premières victimes de ce fléau criminel : les élites
africaines, notamment les cadres, militaires ou civils, d’Etats surnageant
encore tant bien que mal. Harcelés par des corrupteurs tenaces et
impunis, menacés – parfois assassinés s’ils gènent –
fonctionnaires, policiers, magistrats et officiers des pays africains «
amis de la France » crient en vain au secours. Et nul n’entend leur
avertissement, pourtant terrible : au-delà du classique pacte colonial
(matières premières contre produits manufacturés), l’Afrique
n’aura bientôt plus qu’une ressource à exporter, sa criminalité.
Car – sans jeu de mot facile – l’Afrique sub-saharienne devient à
bas bruit, depuis une décennie, une authentique « boite noire
» criminelle. Sur ce seul continent, à une échelle inconnue
ailleurs au monde, sévissent, au milieu d’une corruption babylonienne
:
. Des trafics d’enfants, promis à l’esclavage agricole, à la
prostitution, à la mendicité, au vol ou au négoce de
détail de diverses drogues,
. Des trafics d’armes de guerre, au point que ce continent constitue désormais
l’arsenal mondial des armes illégales,
. Des trafics de stupéfiants, par tonnes et à l’échelle
intercontinentale,
. Des trafics de métaux et bois précieux (ces derniers, en
théorie protégés), de gemmes (dont les fameux «
diamants de guerre »),
. D’énormes trafics de véhicules volés en Europe et
revendus sur place,
. Un blanchiment d’argent criminel « à l’échelle industrielle
».
Au-delà, l’Afrique produit toujours plus de stupéfiants (héroïne
et drogues chimiques, plutôt à l’est du continent, cannabis
à l’ouest) – et en consomme toujours plus, la direction anti-drogues
de l’ONU y signalant depuis deux ans une « forte augmentation de l’usage
de l’héroïne ».
Plus grave encore : cette criminalité épidémique touche
d’abord les « poids lourds » de l’Afrique, ces grands pays seuls
susceptibles de la faire décoller, les locomotives de son futur développement
: l’Afrique du Sud et le Nigeria.
AFRIQUE DU SUD - pour l’agence Reuters, fort mesurée dans ses propos,
ce pays connaît un « niveau terrifiant de criminalité
violente ». Les assassinats et crimes armés connus (59 pour
100 000) y sont en proportion 15 fois plus nombreux qu’en France (pourtant
plus peuplée). A part la Colombie, l’Afrique du Sud est seule à
avoir, dans la statistique de ses « décès non naturels
», des homicides (46% du total) plus nombreux que l’ensemble des accidents
et suicides réunis ! Enfin, plus de 150 femmes y sont violées
chaque jour, tandis que le nombre d’héroïnomanes usant de seringues
a bondi de 40% entre 1999 et 2001, ces deux derniers faits laissant présager
une forte poussée de l’épidémie de Sida, déjà
dramatique dans ce pays.
NIGERIA - un véritable paradis criminel : des frontières-passoires,
un Etat corrompu, une administration fantoche. Et désormais, la base
mondiale incontestée du trafic de l’héroïne et de la cocaïne,
d’Amérique latine et d’Asie, vers l’Europe et les Etats-Unis. Selon
Interpol, 80% des narco-trafiquants africains arrêtés au monde
sont des Nigérians. Les malfaiteurs issus de ce pays sont par ailleurs
des faussaires de génie, produisant d’impeccables documents officiels,
utiles à tous les trafics illicites – ce bien sûr et en priorité,
pour le reste de l’Afrique.
Autre tragique spécialité africaine : les guerres criminelles,
faites par des bandes armées pratiquant pillage et banditisme de grand
chemin. Commandées par des seigneurs de la guerre dépourvus
de tout projet politique ou même militaire, ces bandes prédatrices
sont un hétéroclite rassemblement de déserteurs, de
mercenaires et d’enfants enrôlés de force. Tous sont drogués
et plongés dans un délire collectif par les envoûtements
de sorciers adeptes du Vaudou. Lors de la décennie écoulée,
ces colonnes infernales ont commis en Afrique des horreurs d’un sadisme inouï
: mutilations et tortures de masse, carnages, cannibalisme.
C’est ainsi qu’au Congo (ex-Zaïre) une telle guerre criminelle impliquant
huit pays de la région a fait, depuis 1998, dans l’est du pays, trois
millions de morts entre massacres, famines et épidémies. Et
que la Sierra Leone a fini par posséder l’espérance de vie
à la naissance la plus limitée au monde : 25,9 ans (78 ans
dans l’Union Européenne...). C’est ainsi enfin qu’au Liberia, 75%
de la population est à la fois analphabète, au chômage
et vit au dessous du seuil absolu de pauvreté (un dollar US par jour).
Authentique Etat-pirate, le Liberia ne connaît nul impôt ni taxe
; vend au plus offrant sa nationalité et ses passeports et blanchit
massivement l’argent issu des multiples activités criminelles régionales.
Face à cette dramatique situation, chaque année plus grave,
les Africains sont seuls – et le plus souvent désarmés. La
population courbe l’échine : ce sont les bandits, les déserteurs
ou les miliciens qui ont les armes. Au sein des élites du continent,
certains – surtout les plus jeunes – choisissent de s’expatrier, ce qui aggrave
encore la situation et prive des Etats déjà fragiles de leurs
cadres de demain. D’autres restent et tentent de faire face – ou finissent
par céder, tant il est vrai qu’intimidation et corruption au quotidien
ont, au bout du compte, raison des volontés les plus fortes.
Et l’Union Européenne (UE) ? La tragédie criminelle en Afrique
devrait l’inciter à fonder sa politique d’immigration et d’asile sur
une « discrimination positive » privant les criminels africains
d’un lieu de trafic et d’une base de repli ; et fournissant aux Africains
lancés dans la lutte anti-criminelle toute l’aide possible. Mais si
le traité d’Amsterdam (octobre 1997) a en théorie transféré
à l’UE la compétence en matière d’immigration et d’asile,
en réalité, les Etats-membres n’en font qu’à leur tête,
au milieu d’un foisonnement anarchique de lois nationales, dont les malfaiteurs,
Africains ou autres, sont seuls à bénéficier. Pendant
ce temps-là, l’Afrique retrouve chaque jour un peu plus son état
pré-colonial : le long des côtes, des comptoirs où se
pratiquent échanges et commerce ; à l’intérieur et pour
l’essentiel, un continent inconnu où règnent la loi de la jungle
et le droit du plus fort.