Délinquance et racisme : la réalité contre le moralisme
Xavier RAUFER
Février 2000


Une ombre plane depuis trente ans sur le champ de la sécurité intérieure : celle du racisme-soupçon, du racisme-accusation, du racisme-anathème. Invoqué mécaniquement, souvent sans raison, le racisme empoisonne le débat, interdit l’approche dépassionnée des affaires de “violences urbaines” - et trop souvent, paralyse la répression, même mesurée, de crimes, même graves.

Mais il y a pire. En effet, l’idéologie antiraciste a contribué à faire naître - involontairement bien sûr, nous le verrons plus bas - une culture de l’excuse dont les effets sont clairs : prolifération des cités et quartiers hors-contrôle; malfaiteurs toujours plus jeunes, violents et récidivistes; criminalité violente en augmentation. Ainsi nous sommes-nous demandés si l’invocation réflexe du racisme permettait d’analyser correctement le phénomène des cités chaudes; de résorber la délinquance des mineurs, les violences urbaines. Nous pensons que non - et estimons devoir le dire sereinement mais clairement, de façon non polémique, mais pragmatique.

Postulons simplement que la réalité existe et que les mots ont un sens. Partant, tout travail sérieux sur un sujet complexe (réflexion politique ou analyse scientifique) doit débuter par élaborer un lexique, définir des mots-clé. Or aujourd’hui, le mot “racisme” a perdu tout sens précis et sert surtout de formule de conjuration - ou d’arme incapacitante. Cette confusion sémantique ayant entraîné une paralysie politique, un débat de fond sur le thème racisme et délinquance s’impose donc.

Observons d’abord que cette invasion du champ sécuritaire par le racisme est une “exception française” de plus. Dans le reste de l’Union européenne, si les délits racistes avérés sont naturellement sanctionnés, le mot est en général utilisé avec mesure. Chez nos voisins, le racisme n’est pas élevé au rang de tabou; il ne constitue pas l’artillerie idéologique d’une guérilla manichéiste franco-française.

Sur le fond maintenant, nous posons le diagnostic suivant : la France vit depuis une génération une crise moraliste aux conséquences désastreuse : effusion (sentimentale) d’abord, confusion (entre criminels et victimes) ensuite, diffusion (de la criminalité, donc de la xénophobie) enfin.

 “Racisme” mis à toutes les sauces, bienséance, attitude “politiquement correcte”, sont en effet les habits neufs du moralisme, pratique consistant à “ajouter à l’observation d’un fait, l’appréciation de ses intentions”(1) . C’est également une manifestation classique de la tartuferie : “cachez ce sein”... Officiels ou médias moralisateurs censurent ainsi le nom (révélateur) d’un malfaiteur, ou la dimension ethnique des violences urbaines, au motif que cela peut pousser au racisme, “faire le jeu” de tel parti. Dans le domaine scientifique, le moralisme confond distinguer avec discriminer ou stigmatiser.

Sous un vernis de bonnes intentions, le moralisme est donc d’abord une croyance magique dans le pouvoir d’invocation des mots : dire telle phrase fait venir le Diable, donner tel nom provoque le racisme.

Régressif, le moralisme est aussi dangereux : comme l’expose le philosophe Clément Rosset, “coïncidence du désir de bien agir à un effet de mal faire, l’intention morale aboutit toujours bizarrement aux effets les plus scabreux” - on se jette à la rivière, comme Gribouille, pour éviter la pluie. Cas célèbre de “moralisme social” : la Prohibition(2)   . Ayant pour objet fort moral de supprimer l’alcoolisme, désastreux pour la santé publique, son seul résultat tangible fut d’offrir au crime organisé le marché de l’alcool en Amérique - à l’époque 2 milliards de dollars par an : “Ses partisans pensaient que la prohibition supprimerait tous les maux sociaux de l’Amérique. Tout au contraire, suscita-t-elle des maux nouveaux sans supprimer les anciens” (3)   . L’opération “morale” profita surtout à la mafia, depuis lors quasi-indéracinable aux Etats-Unis.

En France, le moralisme-gribouille créée donc de longue date des racistes en croyant de bonne foi les anéantir et atteint ceux-là même qu’il prétend protéger du “racisme”. Mettre en avant la “race” interdit en effet logiquement de distinguer les populations immigrées de leur propre minorité criminelle - vu leur commune origine. Noyant ainsi par pur altruisme le bébé dans l’eau de son bain, Gribouille soumet les immigrés à une réelle “double peine” :

. Il livre les quartiers et cités où vivent ces populations aux bandes délinquantes ou même criminelles - ce qui revient (comme dit un dicton allemand) à “faire garder le carré de salades par la chèvre” et entraîne exactions, déprédations, racket et angoisse latente.

. Sommés par Gribouille de se montrer solidaires de leurs propres délinquants et donc otages collectifs de l’ “antiracisme”, les immigrés héritent ainsi - bien malgré eux - de l’image désastreuse d’une minorité de malfaiteurs - seuls bénéficiaires de l’opération. Les plus lamentables victimes de l’affaire sont ici les étudiants issus de l’immigration, français pour la plupart, qui, cherchant un emploi, voient les employeurs blêmir à leur arrivée, à l’idée que des “jeunes” débarquent pour les piller.

Rejetons donc le moralisme - mais comment ? En adhérant au principe de réalité et dans le cas présent, en commençant par rendre leur sens réel aux mots :

Le racisme déclare inférieurs et/ou malfaisants en tant que tels une ethnie, une communauté nationale ou régionale; parfois les fidèles d’une religion. La doctrine raciste prône ensuite le bannissement, voire l’extermination, de ceux qu’elle dit inférieurs ou nuisibles.

La xénophobie, elle, est spontanée et réactive; elle n’a ni profondeur historique, ni dimension biologique. Le xénophobe ne réagit pas à ce que sont les gens, mais à ce qu’il font; encore à ce qu’il croit, ou entend dire, qu’ils font (rumeurs, etc.). Supposons que, dans une banlieue, les malfaiteurs soient blancs, blonds, dolichocéphales, dotés d’yeux bleus et d’un rhésus sanguin A+ (l’idéal racial du IIIème Reich) : les habitants du cru les haïront autant que s’ils provenaient du fond de l’Afrique. A l’inverse, les habitants des cités “sensibles” vivent en harmonie avec leur épicier, familièrement appelé “l’Arabe du coin”, voire “l’Arabe de service”.

Une population longtemps plongée dans une insécurité grave finit par rechercher des boucs émissaires et des sauveurs : cette loi historique montre que le plus souvent, la réaction des populations des “cités interdites” relève de la xénophobie, non du racisme.
Partant de là :
. Réprimons fermement tous les délinquants et parmi eux, ces 2 ou 3 % de malfaiteurs qui font de leur communauté d’origine dans son ensemble un objet de crainte ou de haine : cela asséchera bien mieux le marais xénophobe que la dénonciation abstraite d’un “racisme” souvent insaisissable.
. Passons d’une culture de l’excuse à une culture de la solution et de la responsabilité : appliquer la loi avec mesure certes, mais résolution, montrera clairement à nos concitoyens - et d’abord aux délinquants potentiels - qu’être français issu de l’immigration, chômeur ou toxicomane - et malheureusement trop souvent les trois ensemble - ne donne nulle licence pour perpétrer un crime. Et celui-ci commis, nulle légitimité spéciale pour crier au “racisme” ou à la discrimination.


(1) Le moralisme est une perversion de la morale comme l’islamisme constitue un extrémisme pervers de l’islam; qui fait œuvre de moralisme est un moralisateur. Le moraliste, lui, étudie les mœurs sous l’angle philosophique ou théologique. Dénoncer le moralisme n’est pas prôner  l’amoralisme ou l’immoralisme; c’est à l’inverse dénoncer une attitude aux conséquences toujours fâcheuses.

(2) La prohibition dura du 16 janvier 1920 (18ème amendement et “Volstead act”) au 5 décembre 1933 (21ème amendement).

(3) “The mafia encyclopedia”, 2nd edition, Checkmark books, New York, NY, 1999.