Politique et réalité criminelle
Xavier RAUFER
Mai 2002
La politique telle qu’on la pratique aujourd’hui est trop souvent prisonnière
du triptyque communication commisération diabolisation. Laissons-la
pour observer la réalité criminelle de la France d’aujourd’hui,
qui explique mieux que tout le reste le résultat du premier tour de
l’élection présidentielle.
Rappel : en 2001, notre pays a connu 400 000 agressions physiques (vols avec
violence, vols à main armée, coups et blessures volontaires,
etc.) - un million d’agressions ces trois dernières années.
En 2001, les seuls vols avec violence ont augmenté de 28, 41 %. En
Seine-Saint-Denis, ces vols avec violence ont augmenté de 34 % - de
97,23 % dans la circonscription de police d’Aulnay sous Bois !
Cette violence sociale frappe surtout les quartiers hors-contrôle,
pudiquement baptisés « sensibles » ou « à
problèmes » par les officiels. C’est donc au réel vécu
par les populations de ces quartiers qu’il faut s’intéresser. Un réel
ignoré même par notre personnel politique - comme le prouve
le frappant exemple qui suit.
J’eus naguère à l’Institut de Criminologie une étudiante-salariée
qui travaillait pour un huissier du Val-de-Marne. Visitant les personnes
frappées de saisie le plus souvent dans les quartiers d’habitat social,
bien sûr - elle devait leur expliquer les modalités pratiques
de l’affaire. Quelle plus belle illustration de la « fracture sociale
» que la saisie ? Une famille qui brutalement décroche, à
qui l’on confisque voiture ou mobilier... Terrifiée à sa première
visite, craignant des réactions violentes, mon étudiante fut
ébahie par l’attitude de ses « victimes », aux antipodes
de ce qu’elle redoutait. Une réaction quasi-unanime, sur des centaines
de cas, que les saisis soient français de souche, antillais ou issus
de l’immigration.
A son arrivée, ces personnes saisies semblaient ressentir un réel
soulagement. Enfin ! Un être humain. Enfin ! On allait leur expliquer.
Ils allaient comprendre. Surtout ils pourraient parler. Le plus souvent alors,
venaient les larmes « si vous saviez ce qu’on a vécu... ».
Enfin demandait mon étudiante, touchée bien sûr, qui
donc s’est occupé de vous ? A qui avez-vous pu expliquer vos tracas
? « Personne ». Des fonctionnaires ou élus municipaux
? « Aucun ». Des travailleurs sociaux ou assistantes sociales
? « Non, ils ne viennent jamais chez nous ».
Une solitude absolue. Des populations manifestement abandonnées sur
un continent oublié : celui de la violence sociale. Des populations
parquées dans leurs cités, victimes d’exactions quotidiennes,
régulièrement agressées ou volées, intimidées
par de jeunes prédateurs violents, injurieux, au regard dur, molosse
au pied, campant par bandes dans les parties communes d’immeubles transformées
en porcheries. Des populations invisibles sur les radars des municipalités,
sur ceux des partis politiques classiques, sur ceux des services sociaux.
Quels visiteurs, alors, pour ces familles saisies ? Qui était venu
frapper à leur porte ? Les musulmans voyaient parfois l’imam de la
mosquée de la cité. Les « petits blancs » recevaient
(rarement) la visite des Témoins de Jéhovah. Souvent en revanche,
celle des militants de terrain du Font national. Personne d’autre.
Délaissées, incapables de réagir comme les victimes
d’agressions au travail, par la grève et la manifestation, ces populations
abandonnées ont usé de la seule arme qui leur restait encore
: le bulletin de vote. Elles ont appuyé là où ça
faisait mal.
Le nouveau gouvernement a-t-il entendu cet appel au secours ? Veut-il vraiment
ramener ces secteurs hors-contrôle à l’ordre républicain
et les populations qui y vivent, au calme auquel elles ont droit ? Sa mission
est simple. Nulle difficulté ici à former un diagnostic. Celui
ci-est tout fait.
L’écrasante majorité des violences urbaines touche dix-neuf
départements de la métropole ; au sein de ceux-ci, une centaine
de quartiers hors-contrôle. Ces zones de non-droit sont connues mieux,
elles sont célèbres. Elles défrayent chaque semaine
la chronique : la Rose des vents, les Pyramides, les Tarterêts, le
Clos Saint-Lazare, les Bosquets... Un Far-west à la française.
Le ministère de l’Intérieur en tient la liste, avec nomenclature
des « spécialités criminelles » : l’héroïne,
les voitures désossées, le cannabis, les squats payants, etc.
Dans ces cités sévissent des bandes, agrégées
autour de noyaux durs de prédateurs hyperactifs et multirécidivistes.
Eux aussi sont tous des célébrités locales. Sur le terrain,
policiers et gendarmes en savent la liste par cœur. En avril dernier, un
policier de la brigade anti-crime de Béziers (179 véhicules
incendiés en 2001, 897 cambriolages) martèle « on les
connaît tous. On a identifié leurs voitures, leurs habitudes,
leurs points de chute ».
Insistons : la réalité et la nocivité de ces noyaux
durs ne sont pas des fantasmes droitiers. Voyez le rapport « Habiter-cohabiter,
la sécurité dans le logement social » (février
2002) commandé par Mme. Marie-Noëlle Lienemann, icône de
la gauche socialiste, et rédigé par M. Didier Peyrat, naguère
membre du Syndicat de la Magistrature. Tous les acteurs de terrain le confirment
: gardiens d’immeubles HLM, responsables associatifs, travailleurs sociaux.
Dans ce rapport, un sondage IPSOS souligne que pour 74% des habitants des
HLM « une petite minorité de jeunes sont les auteurs d’une très
grande partie des actes déclarés ».
Dans ces bandes, sévissent des boulimiques de l’agression, comme ce
mineur de 16 ans, arrêté en mars dernier dans la cité
chaude de la Reynerie à Toulouse et qui avoue 350 vols avec violence
en trois mois. Il n’attaquait que des femmes vulnérables. En ses propres
termes « juste des vieilles ou celles qui boitent ». Chaque sac
arraché lui rapportait de 10 à 50 Euros. Usage du butin ? «
Se payer des vêtements Lacoste et emmener sa copine au MacDo ».
Ces bandes sont polycriminelles et parfois proche du terrorisme. En avril
dernier, dans un quartier chaud de Lyon, la police démantèle
un gang qui, depuis deux ans, volait en Suisse des voitures et scooters,
revendus ensuite dans les « marchés aux voleurs » du Rhône.
Pour les policiers « Tous avaient déjà un casier judiciaire
fourni et connaissaient la loi Guigou sur le bout des doigts ». Cette
même bande avait projeté une voiture-bélier en flammes
sur une synagogue de Lyon, le 30 mars écoulé. Pourquoi la synagogue
? Bof, la télé, la Palestine, tout ça ... D’ordinaire
leur façon de s’amuser les voitures-bélier du gang incendiaient
plutôt des gymnases ou des postes de police. Depuis que ces dix individus
sont incarcérés et avant que la justice ne les relâche,
ou qu’une nouvelle bande ne se forme, faute de travail préventif sérieux
- le quartier (12 000 habitants) est redevenu paisible.
Ces quartiers hors contrôle doivent être pour de bon policés,
au sens noble du terme. Ces malfaiteurs chroniques doivent être châtiés
par application stricte du Code pénal. Ce, dans le calme, sans brutalité
ni effets de manches le pire serait ici qu’une sorte de Sharon des banlieues
multiplie d’inefficaces et contre-productives opérations coup de poing.
Dans le calme, disons-nous, mais sans retard. Car si subsistent les Cours
des Miracles des banlieues, si les jeunes prédateurs violents ne sont
pas appelés au respect de la loi, les « mieux doués »,
les plus durs d’entre eux passeront en force à la première
division du crime : le grand banditisme. Cette évolution est en cours.
Les « beaux mecs » de 2010 sont déjà en pré-qualification
dans les quartiers chauds. Il est du devoir d’un criminologue, qui les rencontre
parfois en liberté, sur « leurs » territoires, d’assurer
les pouvoirs publics que la communication officielle n’impressionne pas du
tout ces jeunes truands. Ils considèrent aujourd’hui encore la police
et la justice comme « des bouffons ». Il n’est que temps de les
rappeler fermement à l’ordre.