Fondamentaux

MENACES: qui ? Où ? Pourquoi ? Comment ?

Xavier Raufer

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septembre 2003

Sous le signe d'Arès

Arès est le dieu de la mort violente et du crime. Il s'enivre des insurrections, des guérillas, du chaos sanglant dans lequel tous les coups sont permis. Il cherche constamment des occasions de susciter la guerre en propageant des rumeurs et en instillant la jalousie dans les cœurs... Il combat dans un camp ou l'autre selon ses sympathies... Il n'est heureux que quand il tue et pille. Les autres dieux le haïssent.

Arès s'oppose ainsi à la sage Athéna : Bien que déesse de la guerre, elle n'aime pas les batailles comme Arès... Elle est heureuse quand elle peut faire cesser une querelle, ou soutenir le droit par des moyens pacifiques. En temps de paix, elle ne porte pas d'armes... Elle possède une meilleure connaissance de la stratégie qu'Arès et les sages capitaines s'adressent toujours à elle lorsqu'ils ont besoin d'un conseil.

Treize ans après l'abolition de l'ordre mondial bipolaire, une chose - au moins - est sûre : du Liberia à l'Albanie, d'Afghanistan aux Aurès, de l'Altiplano péruvien au Triangle d'Or, Athéna n'est plus nulle part dans la course. Arès triomphe: haï ou pas, il règne désormais sans partage sur l'anarchie qu'est devenue la guerre.

Les deux citations : "Mythes grecs", Robert Graves, Fayard, 1967

Introduction

DANS une précédente étude [1], nous avons entrepris de démontrer que :

1 - Compiler des informations sur un sujet ou une situation donnés (le terrorisme, les violences,...) n'est pas penser: paralysante et inefficace, la logique de compilation condamne en effet qui s’y adonne à « la situation d'un touriste qui programme un voyage à venir en se servant d'un guide qui date déjà» [2].

Logique de compilation

Elle consiste à dresser des listes (Etats-voyous, groupes, individus terroristes ou criminels, etc.), puis à les traquer, sans réflexion préalable. A Washington, où nulle sérieuse étude préalable de la nature de l’entité hostile n’est faite, compiler tient lieu de stratégie. Par construction visqueuse et lourde, la machine étatique américaine établit donc une liste d'entités diversement fluides, protoplasmiques, mutantes, hybrides - voire volatiles et acéphales. Cette entreprise est futile, sinon dérisoire, car la liste est forcément périmée à l'heure même où on la publie.

Disposer de listes d'individus à interpeller, de groupes à proscrire, est en revanche normal au stade répressif, situé loin en aval de toute phase d'élaboration d'une stratégie anti-terroriste ou anti-criminelle.

S’intéresser au terrorisme et au crime organisé, non pas rétroactivement, comme si souvent, en réaction à un acte passé, mais pro-activement, en regardant vers la ligne d'horizon, exige au contraire de «penser et agir à partir du futur, de l'inhabituel, en renonçant aux béquilles et aux expédients de l'habituel et du coutumier» [3].

2 - C’est la pensée, ce sont les concepts, qui initient et irriguent les stratégies, la programmation des ordinateurs. Plans audacieux, systèmes électroniques perfectionnés, capacités d’investigation pointues, sont affaiblis, voire inutiles, si celui qui les imagine ou les programme pense faux, ou mal. Or ici, penser importe d’autant plus que forger des concepts solides et crédibles met en bonne posture dans la bataille internationale des idées (think tanks, conférences internationales, etc.) - donc face aux grands médias mondialisés. Une cruciale bataille, à propos de laquelle on devrait se remémorer ceci:

«L'essentiel dans les notions cruciales du droit et de la politique, c'est de savoir qui détient la clé de leur définition, interprétation et application; ce qui est décisif, et qui est l'expression de la vraie puissance, c'est la faculté de définir soi-même le contenu de ces notions-clés» [Carl Schmitt, cf. bibliographie]

3 - Penser toute situation complexe, tout cas difficile (ici, dans le champ du terrorisme, ou du crime organisé) demande d'abord d’explorer le champ préalable d'inspection dans lequel cette situation ou ce cas s'inscrivent. Penser, c’est avant tout questionner; ainsi, abordons ce crucial champ préalable d'inspection par une interrogation initiale: qu'est-ce qui nous (nous, société) menace ?

I - Qu'est-ce qu'une menace ?

AUJOURD’HUI, aux lisières de l'Union européenne - ou en son sein même:

• Des échanges de tous ordres s’opèrent entre mafias et entités terroristes,

• Des écologistes extrémistes s'orientent clairement vers l'option terroriste. Après la pratique du sabotage : un attentat en vraie grandeur ?

• En Afrique, en Asie, en Amérique Latine, des guérillas, hier politiques dans leurs discours et objectifs, basculent dans le crime et les trafics illicites.

Ces exemples (sur lesquels nous revenons) sont pris parmi bien d'autres.

Concrètes, tangibles, de telles menaces pèsent indéniablement sur l’Europe. Pourtant, même si «gouverner, c’est prévoir», nulle doctrine claire n’apparaît ni au niveau national, ni à celui de l’Union européenne - sur ce qu’est aujourd’hui, ce que sera demain, une menace; comment la constater, la jauger; enfin la réduire ou l’affronter.

Quelles menaces pèsent aujourd’hui sur notre continent? Voici la contribution à ce débat crucial de notre Département de recherche.

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Dans le monde physique, nulle menace abstraite, absolue, éternelle, ou même permanente, n'existe. Le menaçant veut un menacé : il y a forcément menace par rapport à quelque chose. Une menace réelle est donc toujours délimitée, effective, démontrable.

Mais menace pour qui? la France? L’Europe[4] ? Le problème de l’aire menacée est fondamental car il décide de la clôture donc de la frontière – concept central de toute aventure humaine:

«Au commencement se trouve la clôture. Le monde façonné par l’homme est conditionné en profondeur et jusqu’au niveau conceptuel par la clôture, l’enceinte, la frontière. C’est l’enceinte qui produit le sanctuaire en le soustrayant au commun, en le plaçant sous sa propre loi, en le vouant au divin » [Carl Schmitt, Nomos... cf. bibliographie]

Cela nous amène à considérer les menaces pour l'Europe en ce début de siècle et conduit à ce premier questionnement : qui sommes-nous, socialement parlant? Quel idéal collectif domine notre société?

Y répondre - même de haut et à grands traits - permettra de définir en creux ce qui, subjectivement et pour ses autochtones eux-mêmes, menace l'espace européen, maintenant et pour l’avenir prévisible.

Notre civilisation urbaine contemporaine est de type libérale-capitaliste-cosmopolite. L’humanisme, l’individualisme, et le matérialisme y sont les valeurs dominantes. Selon le sociologue Ferdinand Tönnies, nous vivons dans une société, (gesellschaft), en opposition à communauté (gemeinschaft). Les individus y évoluent dans un cadre de lois et de règles formelles. Leurs relations y sont d’ordinaire formelles et impersonnelles. Les obligations morales interpersonnelles y sont rares, et se raréfient encore. Dans cette société, les déterminants sociaux hérités et involontaires (race, sexe, classe, religion) ont laissé place à des liens volontaires et choisis, par exemple dans le champ de l’humanitaire, du multiculturel, du féminisme, de l’orientation libidinale, etc.

Cette société est fondée sur l’idéal «bourgeois» (d’origine chrétienne ou socialiste) du bonheur individuel paisible. L’être socialement isolé y est le type dominant. Libre de s’associer à qui bon lui semble, ce sujet social tend à mal supporter les conséquences durables d’une alliance - même s’il l’a lui-même voulue. Dans cette société enfin, l’individualisme peut dégénérer en égoïsme cynique: l’être isolé vit alors sa liberté personnelle sans égard pour l’autre, ni souci de ses responsabilités propres. Rétif à la contrainte, il peut paniquer au moindre danger, exploser à la moindre contrariété.

L’idéal suprême de la société actuelle est celui d’un monde ordonné, dans lequel des «Etats-bouclier» protègent l'existence physique de tous leurs citoyens; au sein de tels Etats, le danger, le risque - l’incertitude même - sont si possible bannis; le calme, la sécurité et l'ordre doivent régner.

II - D'où émanent les menaces ?

1°) Menaces subjectives: «choc» - ou ignorance - des cultures?

«IL est une forme de fraude... rarement dénoncée, qui consiste pour les milieux autorisés à occulter délibérément les faits susceptibles de mettre en cause les vérités établies et à s'opposer à leur publication... Il n'y a pas, il ne peut y avoir d'autres critères de la vérité d'une théorie que son accord plus ou moins parfait avec des phénomènes concrets» [5].

Eclairés par cette mise en garde, examinons d’abord des menaces tenant à notre propre subjectivité, à notre difficulté à comprendre, ou à l’inverse, à notre collective capacité d’aveuglement.

De fait, occulter délibérément des faits susceptibles de mettre en cause les vérités établies est une pratique à laquelle les dirigeants, politiques ou des grands médias, résistent mal - de quelque bord qu’ils soient. A court terme en effet, respecter les bienséances du temps, endormir le public, n’offre que des avantages. Mais à plus long terme, cette incapacité à remettre en cause quoi que ce soit de sérieux provoque des désastres. Voici pourquoi.

a) Menaces visibles, menaces graves?

Dans ces périodes troubles comme la nôtre, où se chevauchent les cycles historiques, l'un finissant, l'autre débutant, la menace la plus grave n'est pas celle qui semble la plus sérieuse à l'opinion; c'est au contraire la plus mal perçue. Du coup, elle peut s’aggraver sans obstacle, dans l'indifférence - le mépris parfois - de ceux qui devraient s'en soucier. Dans une «société de l'information» comme la nôtre, ce risque est pire encore. Car comme précédemment démontré («Chaos et nomos », op. cit.), le danger majeur y est l’invisible, l’insensible, l’indétecté - ce qu’on n’a pas vu, ou pas cru, pas pris au sérieux ; ou délibérément ignoré. Bref: l’im-prévu.

Deux exemples concrets - sur lesquels il est inutile d’épiloguer :

- Dans la décennie précédant la vague d’attentats du 11 septembre 2001, une force islamiste immense, la Salafiya, s’est mobilisée et déployée à l’échelle de la planète - et l’Amérique (officielle) ne l’a pas vu (à temps). Un cas unique d’aveuglement? Non, une habitude: lors d’un colloque réuni à Washington en mai 1982, Gary Sick, chargé du dossier «Iran» au Conseil National de Sécurité du président Jimmy Carter, déclare «nous ne savions rien». Preuve: en février 1976 - trois ans juste avant le retour de Khomeini à Téhéran - la direction du Renseignement de la CIA publie une épaisse synthèse sur l’Iran [6]. On y lit que le régime du Chah est corrompu mais pas menacé ; que l’avenir est à une troisième force de «Yuppies» iraniens modernes et démocrates. Les Mollah (cinq pages sur quatre-vingt): certes hostiles au pouvoir, mais des vieillards dont «l’éducation et l’allure sont médiévales». Pas modernes? Donc négligeables.

- Depuis la guerre du printemps 1999 au Kosovo, une «grande Albanie mafieuse» s’est constituée et opère désormais partout en Europe, Balkans inclus - et l’OTAN n’y a rien compris, ni pu. [AFP - 10/07/2003 - «Présenté lors d'une réunion des polices du sud-est de l'Europe tenue début janvier à Salonique (Grèce), un rapport considère l'Albanie comme le plus grand fournisseur de drogue de la région, principalement en héroïne et en cannabis.»]

Comment expliquer de tels aveuglements?

En cas de crise terroriste majeure (9/11), ou de problème criminel grave (Balkans), les dirigeants politiques, ceux qui doivent les éclairer (experts du renseignement) et ceux qui doivent réprimer (policiers et ultima ratio, militaires) agissent en général selon leurs préjugés - et rarement à partir d’une connaissance sûre des « valeurs » et mentalités terroristes ou criminelles.

L'échec grave du renseignement américain lors du «9/11» provient ainsi d’abord d’une trop longue obsession sur l’individu Oussama ben Laden, et en revanche, d’une grande négligence de tout ce qui façonnait son instinct, ses réflexes, l'inconscient collectif du milieu dont il provenait: sa culture, ce qui le fait agir comme il agit. Une telle ignorance de tout ce crucial «fond de tableau» a interdit d'exploiter à temps ce que le renseignement électronique apportait par ailleurs - a même interdit de le comprendre.

b) Clans, tribus: les nouvelles terrae incognitae

Nos officiels croient ainsi connaître les comportements, les mœurs des terroristes, des mafieux, des miliciens, des bandits - et ne les connaissent pas: notre monde individualiste, hédoniste et hi-tech ignore trop souvent le paysage mental, les « valeurs », la psychologie de ses ennemis; méconnaît les «règles du jeu» du monde dans lequel vivent ces derniers. Trop souvent encore, l’attitude, ou prétention «multiculturelle» de nos dirigeants est factice, au mieux superficielle - et alors limitée à la seule sphère du spectacle.

Exemple de réalité «multiculturelle»assimilée et comprise : ce que signifie l'appartenance au clan dans une société tribale.

Dans Passage to Juneau : a sea and its meanings (Vintage books/Random House, NY 2000), Jonathan Raban souligne que, dans une telle société « nul sort n'est pire que celui de hors-caste [outcast] ou d'exilé ». Dans ce cas «coller au peloton», au clan, est littéralement question de vie ou de mort. Hors du clan, n’existent que terreur, famine et mort. L'isolé n'est qu'une proie. Dès la naissance, cette réalité est gravée, à vie, au plus profond du cerveau du nourrisson, là où opèrent ses réflexes vitaux. Et cette réalité y restera, comme brûlée au fer rouge, jusqu’à sa mort.

Or l’Occident, à commencer par l’Amérique, ignore ces réflexes vitaux. Deux exemples récents, pris dans les Balkans:

- Faut-il «rétablir la paix et la concorde» au Kosovo? Alors ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis, Madeleine Albright propose une recette style régime-minceur, ou abandon du tabagisme : «combattre la tentation de la vengeance, de la corruption et du crime» [7]. Mieux encore, voici Andrew J. Pierre, ex-diplomate et expert près d’institutions américaines prestigieuses[8]. Sa recette tient dans le titre de son special report publié par l’United States Institute of Peace (USIP, «institution fédérale créée par le Congrès des Etats-Unis en 1984», dont le directeur «est nommé par le Président des Etats-Unis, puis confirmé par le Congrès»): Security and stability in southeastern Europe : de-Balkanizing the Balkans. Débalkaniser les Balkans. Tout bêtement. Selon M. Pierre, il faut et il suffit pour cela que les indigènes «abandonnent leur paradigme passé» - opération que l’intéressé apparente visiblement à un changement de cravate.

- La Bosnie-Herzégovine, maintenant. En décembre 1999, un texte de 60 pages intitulé Three dimensions of peacebuilding in Bosnia énumère les entreprises de l’USIP pour rétablir en Bosnie les droits de l’homme, l’état de droit, la réconciliation intercommunautaire et y enraciner la société civile. De 1996 à 1999, l’USIP finance 46 projets avec de grandes institutions américaines (Brookings Institution, Harvard, New York University, etc.) et des ONG, humanitaires ou religieuses. Des projets relevant tous de l’ingénierie sociale psycholo-féministe: «comment s’entendre avec ses voisins», ou éducative: «apprendre la tolérance». Comment faire? Facile: il suffit de «créer des interactions positives», de «susciter la non-violence».

Tant de naïveté accable : qui croira une seule seconde qu’on pacifiera l’ex-Yougoslavie par des week-ends d’ajustement psychologique, type initiation au tennis ou à la poterie ? Comment ignorer que des siècles - parfois un millénaire - de haines, de terreurs, d’allégeances claniques pèsent ici sur la psyché humaine? Comment douter qu’il s’agisse ici de l’inconscient collectif de peuples entiers? «On trouve dans l’inconscient» disait C. G. Jung «des propriétés qui n’ont pas été acquises individuellement. Elles ont été héritées, ainsi les instincts, ainsi les impulsions, pour exécuter des actions commandées par une nécessité, mais non par une motivation consciente... Ces instincts et archétypes forment ensemble l’inconscient collectif» [9]. Peut-on vraiment le «réformer», cet inconscient, en deux jours de colloque ? En lisant des brochures ?

Le pire dans l’affaire est qu’il n’est pas utile d’embaucher de tels «experts», ou de savants ethnologues, ni même d’aller au fin fond de l’Asie centrale pour trouver une culture clanique enracinée et vivace – en l’occurrence, la culture mafieuse du sud de l’Italie, proche de celle des Balkans. Pour s’instruire, M. Andrew J. Pierre pouvait simplement se rendre en bus ou en métro à Brooklyn (New York, NY).

• Persistance de la culture mafieuse traditionnelle aux Etats-Unis, au début du XXIème siècle

La scène ne se déroule pas au XIXème siècle, dans un bourg perdu de la Sicile, mais à New York, haut lieu de la modernité triomphale, en 1999. Ce matin du 26 mai, William «Wild Bill» Cutolo, sous-chef de la «famille» Colombo et syndicaliste mafieux, quitte l’église Notre-Dame proche de son domicile, où, comme chaque mardi, il a prié une heure, avec d’autres paroissiens, en un rite de «perpétuelle adoration». Parti pour Brooklyn, à un rendez-vous dans le quartier de Borough Park, il disparaît et ne sera jamais retrouvé.

Le 26 mai 2001, son fils publie une annonce dans la rubrique «In Memoriam» du New York Daily News. Dans une culture d’omertà où les textes sont rarissimes, c’est un prodigieux témoignage du poids culturel de la Sicile profonde sur l’âme d’un jeune italo-américain new yorkais, au début du XXIème siècle; comme de la permanence du parler mafieux. Extraits:

«CUTOLO Bill: mon seul vrai ami. Je pense à toi chaque seconde de chaque jour... Pose ta main sur mon épaule et aide moi à conduire ma vie. Je témoigne ici de quel homme honorable tu as été. Que Dieu te bénisse pour l’éternité. Tout mon honneur, mon respect et mon amour montent vers toi. Que ta seconde année au Paradis te sois douce. Nous t’aimons et te pleurons. Nahla, le petit Billy et ton unique et honorable fils, Bill jr.».

c) Le monde traditionnel-clanique

Ainsi, depuis trente ans, de l’Afghanistan au Kosovo, de l’Irak à la Corse – et à Brooklyn - l’ignorance de la société clanique provoque des désastres. En dernière analyse, tous ont la même origine: qu’il soit électeur ou élu, l’être déraciné et prétendu «multiculturel» des métropoles occidentales a oublié qu’existent d'autres modes de vie, d'autres modèles sociaux que le sien (certes très dominant). Qu’existent même d'autres idéaux de vie - alors qu’en Europe même, voici quelques décennies, ces idéaux séduisaient encore des foules et qu’ils dominent toujours des cultures, des sociétés importantes de par le monde. Ces idéaux, notre pensée dominante les dit archaïques, en voie d'extinction. Est-ce vrai ? Ou sommes nous, à nouveau, trop optimistes?

Nous vivons en société. Eux - Salafistes terroristes, mafieux, «bandits patriotes», soldats des guérillas mutantes, chefs de Cartels, seigneurs de la guerre et milices tribales - et les millions d’êtres autour d’eux - vivent en communauté - souvent guerrière.

Nous sommes urbanisés? Eux révèrent la vie rurale et la nature sauvage.

Nous sommes sceptiques et rationnels? Eux ont foi en la volonté divine, en la supériorité de l’instinct sur la raison.

Nous sommes une «coalition d'Etats territoriaux souverains dotés de frontières fixes, de normes impersonnelles, calculables et compatibles, où l’on circule librement»? Eux mènent une existence pré-Hobbesienne, où seul le clan dicte la survie; où, dès sa naissance, pour tout acte de sa vie et à vie, l’individu s’inscrit en un réseau dense de relations soit familiales, soit fondées sur le contact direct.

Nous sommes modernes, libéraux? Leurs valeurs sont celles du sang, du sol, de la tradition, de l’enracinement.

Nos idoles sont des entrepreneurs, des artistes - parfois des savants? Les leurs sont des guerriers, des guides ou des héros.

Nous sommes jouisseurs, hédonistes - et prudents? Chez eux règnent austérité, abnégation, discipline sociale, soumission au bien commun.

Sommes-nous «en guerre» contre ce monde-là? Non bien sûr. D’abord, car cela reviendrait à combattre notre propre passé: ce monde traditionnel-clanique est exactement notre société européenne pré-moderne. Ensuite et surtout, parce qu’une telle «guerre» ne profiterait qu’aux éléments déviants ou extrêmes de ces sociétés traditionnelles-claniques.

Extrême: le «jihadi» fanatisé est-il un ennemi?

Oui, et voici pourquoi. Ce fanatique conçoit sa mission comme un Jihad; or tout regroupement, même religieux, devient stratégique quand il vise à un affrontement majeur : « Une communauté religieuse, une Eglise peuvent demander à un fidèle de mourir pour sa foi, de subir le martyre, mais en vue de son propre salut seulement, et non pour sa communauté religieuse en tant que puissance organisée en ce bas monde ; sinon, cette communauté religieuse se transforme en organisme politique ; ses guerres saintes et ses croisades sont, comme les autres guerres, des entreprises fondées sur une décision d'hostilité». (Carl Schmitt, op. cit.)

Mais à vue d’homme, ces déviants ou extrémistes, supportant mal, ou même refusant, l’avenir que nous assignons au monde - et à eux-mêmes - nous inquièteront. Ainsi, leur imposer, en ignorant ce qu’ils sont, et même de façon pacifique et commerciale, notre propre modèle social et culturel, nous met en danger. Les Etats-Unis refusent absolument de le voir. L’Europe, bienséance politique et médiatique aidant, l’oublie trop souvent encore.

2°) Menaces objectives: ce qui provient du chaos mondial

a) Le chaos mondial

Dans le monde réel, la génération spontanée n'existe pas - même pas celle des menaces. C'est donc de quelque part, et précisément de ce que nous nommons chaos mondial, que provient d'abord et surtout le danger.

Le terme «chaos» est d'usage fréquent dans ce texte. Voici le sens dans lequel nous l'entendons:

- Pour Carl Schmitt, il y a chaos quand « Les puissances ne se combattent plus l'une l'autre, n'agissent plus dans un espace de périls et de menaces constant»[10].

- (extrait de «Chaos et terrorismes : les nouvelles approches des systèmes complexes non-linéaires et apériodiques et l'étude de la violence politique», Notes & Etudes de l'Institut de Criminologie, N°10, mai 1989) : «Les systèmes dynamiques complexes possèdent tous des points d'instabilité sur lesquels une petite poussée peut avoir des conséquences énormes; mais certains - et certains seulement - sont instables à chacune des phases de leur déroulement. Ces systèmes apériodiques se répétant sans jamais se régulariser; dont les rythmes peuvent être ordonnés dans l'espace et désordonnés dans le temps ou vice-versa; qui oscillent entre des phases prévisibles et imprévisibles; à la fois discontinus et structurés, sont qualifiés de chaotiques. Exemple de système dynamique complexe non-chaotique : les marées; de système chaotique exemplaire car parfaitement apériodique et globalement stable, le climat. ».

• Pourquoi le chaos dans le monde?

Voici donc ce que nous nommons chaos. Mais, à la fin de l’ordre mondial bipolaire, pourquoi un état chaotique s’est-il instauré à l’échelle planétaire ?

Il y a aujourd’hui chaos mondial, non parce qu'il y aurait sur terre quantitativement plus d'insurrections, d'attentats, de micro-conflits, de rébellions, qu’hier (durant la Guerre froide, par exemple); ni même qu'il y aurait plus de brigands, de rebelles, de dissidents, que jadis.

Il y a chaos mondial par manque qualitatif :

1 - de distinction claire entre la guerre et la paix,

2 - d'accord sur ce qu'est la guerre elle-même,

3 - et même de définition du terrorisme.

1 - Jadis, Cicéron affirmait : inter pacem et bellum, nihil est medium. Aujourd'hui, c'est l'inverse : seuls existent des états vaguement belliqueux, difficiles à cerner et à classer (pressions économiques, interventions armées de nature et d'ampleur diverses,...). Cette confusion entre guerre et paix au début du XXIème siècle, Martin Heidegger la pressentait d'ailleurs à l’orée de la Guerre froide [11] : «Ayant perdu leur essence propre, la « guerre» et la «paix » sont prises dans l'errance ; devenues méconnaissables, aucune différence entre elles n'apparaissant plus, elles ont disparu dans le déroulement pur et simple des activités qui, toujours davantage, font les choses faisables. Si l'on ne peut répondre à la question : quand la paix reviendra-t-elle ? Ce n'est pas parce qu'on ne peut apercevoir la fin de la guerre, mais parce que la question posée vise quelque chose qui n'existe plus, la guerre elle-même n'étant plus rien qui puisse aboutir à une paix ».

2 - Au cours de l'histoire, un ordre international a supposé une seule vision de l'hostilité, une idée commune de la guerre. Pour qu'il y ait ordre international, les puissances, adversaires potentiels, devaient d'abord simplement se reconnaître physiquement - d'où l'uniforme. Pour le second besoin, juridique, l'ennemi devait être « juste », c’est à dire «impeccable », au sens formel du terme. Ainsi, «Les brigands, les pirates, les rebelles ne sont pas des ennemis, des justi hostes, mais l'objet d'une poursuite pénale, que l'on met hors d'état de nuire » [12]. Cette vision commune de l’hostilité entre puissances n’existe plus aujourd’hui - même entre occidentaux, même entre européens, comme l’a démontré l’affaire irakienne.

Dans le chaos mondial, la confusion s’est également instaurée dans un domaine où, hier encore, tout était clair : celui de l'hostilité entre les hommes. Cette confusion nous ramène loin en arrière - pas loin même de la préhistoire, car déjà, la Grèce post-Homérique distinguait clairement l'ennemi de guerre (polemos) que l'on combat mais qui n'inspire nulle animosité personnelle; et l'être haï, détesté à titre intime (echtros) à qui l'on souhaite mille morts [13]. En Europe en tout cas, distinguer l'ennemi du criminel était la règle depuis la Guerre de Trente ans et les Traités de Westphalie [voir en annexe].

3 - Le concept même de terrorisme est devenu flou. Hier en Afghanistan, Oussama ben Laden était un "combattant de la liberté" ; aujourd'hui, c'est le terroriste N°1 du hit-parade américain. En décembre 1998, le Département d'Etat qualifiait l'Armée de Libération du Kossovo (UCK) de «groupe terroriste»; trois mois plus tard, l’UCK, formée de «héros combattant la barbarie Serbe», disposait au Kosovo de l'OTAN comme force aérienne...

b) Ce qu'est un conflit dans le chaos mondial

Hier l'ennemi était connu, stable familier. Aujourd'hui l'ennemi est fugace, bizarre, incompréhensible - mais tout aussi dangereux, sinon plus.

Durant la Guerre froide, toutes les menaces de niveau stratégique étaient lourdes, stables, lentes, identifiées - voire familières (Pacte de Varsovie). La menace terroriste elle-même était stable et explicable. Exemple, le «Fatah-Conseil Révolutionnaire» d’Abou Nidal: chacun savait qui l’hébergeait, de quels armes et explosifs il usait. Et «décoder» le sigle de circonstance dont il signait ses actions était enfantin. Au contraire, la terreur est désormais brutale, fugace, irrationnelle - voir la secte Aum ou le GIA algérien.

Aujourd'hui, les menaces réelles émanent ainsi d’entités hybrides, opportunistes, capables d'évolutions foudroyantes. Les conflits réels (Balkans, Afrique, etc.) sont civils, le plus souvent ethniques ou tribaux. Véritables tourbillons criminels, ils mélangent fanatismes religieux, famines, massacres, piraterie maritime ou aérienne, trafics d’êtres humains, de stupéfiants, d'armes, de produits toxiques, et de gemmes («diamants de guerre»).

Ainsi et pour l’avenir prévisible, la guerre, forme suprême du conflit, aura une dimension criminelle ou terroriste, ou hybride entre les deux. Elle affectera toujours plus les civils (populations, métropoles, entreprises) comme nous l’ont montré le «9/11» et l’attaque au bacille du charbon (ou anthrax), à New York, à l’automne 2001. Terroristes ou criminelles, ces guerres auront pour origine les zones hors-contrôle de la planète:

- Des pays «échoués» ayant sombré, momentanément ou durablement, dans l’anarchie (Afghanistan, Albanie, Liberia, Sierre Leone,...),

- Des mégapoles anarchiques du sud du monde (Karachi, Lagos, Rio de Janeiro,...), immensités dont des quartiers et banlieues entiers - des milliers de kilomètres carrés, des millions d’habitants - sont sous le contrôle réel de mafieux, de terroristes, de trafiquants, etc.

Mégapoles et «forteresses criminelles», ou terroristes

Karachi, dont la presse nous parle comme d’une ville, au sens où Paris et Rome sont des villes, est en fait un monstrueux bidonville, peut-être aussi grand - en tout cas plus peuplé - que la Belgiqueentière. A Karachi, des islamistes fanatiques soutenant ouvertement ben Laden ont organisé des manifestations de plus de trois cent mille personnes.

Rio de Janeiro: ses 6 à 800 favelas (bidonvilles à flanc de colline) occupent 1/3 de la ville et comptent 1 million d’habitants, tous ou presque squatters. Pour les ONG locales, ces favelas sont des forteresses criminelles, où, de 10 à 19 ans, un garçon sur quatre est membre d’un gang. Le motif de décès majeur des 10/19 ans y est la mort par balles. Selon la police, 3 à 4 tonnes de cocaïne passent chaque mois par ces favelas ; 80% de cette drogue est destinée à l’Europe ou l’Amérique du nord.

Partant de fiefs comme ceux-ci [14], les entités dangereuses pourront aisément frapper les centres développés et leurs cibles symboliques.

c) Dans le chaos mondial, des terrorismes hybrides nouveaux

Voici trente-cinq ans, l'IRA reprenait les armes contre les britanniques ; les palestiniens extrémistes commençaient à détourner des avions; les Brigades rouges et la Fraction armée rouge lançaient la guérilla urbaine dans le «centre impérialiste » (l'Europe occidentale).

Aujourd’hui, le terrorisme est partout. Il forme notamment l'une des composantes majeures de la guerre - après l'avoir lentement mais sûrement infectée au cours des trois décennies passées.

Au début du XXIème siècle, le terrorisme est pour nos gouvernements la préoccupation centrale en matière de sécurité. On peut même dire qu’aujourd'hui, le terrorisme est devenu la guerre.

Mais ce terrorisme envahissant tout - pour mille raisons des bombes explosent chaque jour, de par le globe - a également subi une mutation importante.

Ainsi, le terrorisme d'Etat de la guerre froide, politique ou idéologique, a quasiment disparu. Sous une allure inchangée, ce qu'il en reste relève désormais d'une logique nouvelle (voir plus bas: Irréductibilité). Et depuis la fin de la Guerre froide, de nouveaux acteurs ont investi la scène terroriste : en son centre bien sûr, des fanatiques comme les terroristes islamistes; aussi, des entités non-politiques et criminelles comme des mafias ; des sectes millénaristes, d’autres entités irrationnelles violentes encore.

d) Dans ce contexte, qu’est-ce qu’une «nouvelle menace» ?

Nous définissons donc comme « nouvelle menace » :

- Un ensemble de situations étrangères à la guerre inter-étatique, qui, elle, implique « un ennemi juridiquement reconnu, différent du criminel ou du monstre» (Carl Schmitt, op. cit.) ; ces situations présentant toutes (pour l’Europe - Shengen) un risque manifeste, d’ordre stratégique;

- Là-dedans, tout danger émergeant, ou soudain plus grave, émanant d'entités non-publiques et non-militaires, toutes de facto hors-statut; dont l'évolution ou la mutation implique un changement de nature, non de degré;

Chacune des entités menaçantes considérées étant :

- De nature sub ou supra-étatique. Aucune d'entre elles ne constituant en tout cas un Etat dans la période envisagée,

- De par son implantation et son recrutement, dé-territorialisée, soit transnationale, internationale, ou même mondialisée.

Ainsi donc:

- Observer la réalité du terrain dans les aires dangereuses elles-mêmes;

- Constater objectivement d’où proviennent les attentats, où se déroulent les conflits réels, comment s’organisent les flux de biens et services illicites (esclavage moderne, stupéfiants, armes de guerre, véhicules volés,...);

Montre que depuis la fin de l’ordre mondial bipolaire, n’en déplaise aux archéo-tiers-mondistes comme aux chantres de la mondialisation heureuse, les vraies menaces pour l’Europe-Shengen émanent de :

- Milices, guérillas mutantes, entités hybrides peuplées de terroristes, de fanatiques, de «bandits patriotes» et de militaires déserteurs;

- Commandées par des généraux dissidents, des seigneurs de la guerre, des illuminés ou de purs et simples bandits;

- D'entités méconnues ou insaisissables, capables de mutations et de changement d'alliances foudroyants,

- Ignorant d’ordinaire les lois internationales et d'abord celles qui relèvent du respect de l'humanitaire;

- Vivant en général en symbiose avec l’économie criminelle, dans le triangle narcotiques - armes de guerre - argent noir.

Un cas exemplaire : les «Paramilitaires» colombiens [15]

La Colombie compte aujourd’hui ± 15 000 miliciens armés, regroupés en cinq coalitions, la principale (en nombre de «soldats») est Autodefensas Unidas de Colombia, ou AUC; la seconde, le «Bloc Central Bolivar», etc. Formées dans les années 80 comme unités anti- guérillas, ces milices, connues pour leur férocité, assurent désormais contre rémunération la sécurité des narco-trafiquants et de leurs laboratoires. Un récent rapport officiel colombien révèle que ces «paramilitaires» contrôlent environ 40 % de la production nationale de cocaïne, ce qui constitue désormais 80 % de leurs ressources.

Loin d’être unique puisqu’on en trouve d’analogues dans les Balkans, en Afrique et en Asie, ce seul cas nous offre toutes les caractéristiques énoncées ci-dessus.

III - Aires, entités, flux:

trois éléments stratégiques

du chaos mondial

«Dans une affaire aussi dangereuse que la guerre, les erreurs dues à la bonté d’âme sont précisément la pire des choses» Karl von Clausewitz, in «Guerre et politique».

ON l’a vu plus haut: des séquences à la fois discontinues et structurées - en tout cas identifiables et souvent même prévisibles - existent, y compris au sein du chaos. Voyons trois de ces séquences, cruciales, et nécessitant donc de dépasser le stade du simple survol.

1°) Les aires et territoires dangereux

Partout et toujours, la géographie l'impose à l’histoire: débutons donc par la séquence territoriale en observant que, dans sa géographie humaine, notre monde est aujourd'hui dépourvu d'un vrai centre, de réelles périphéries. En terme de menaces, la distinction économico-sociale monde développé - tiers monde n'a plus grand sens. Il existe en effet au sud des pôles de haute technologie (Bangalore en Inde, par exemple), mais proches de secteurs misérables, voire dangereux. Et dans les pays développés, nombre de zones hors-contrôle (ghettos, banlieues, etc.) forment comme un tiers-monde interne, lui aussi potentiellement dangereux.

• les «zones grises» du sud du monde

Dans ce paysage flou, genre «taches de léopard», des zones de danger maximum ressortent nettement: ce que dès l’abolition de l’ordre mondial bipolaire, nous nommions «zones grises» [16]. A la surface du globe en effet, existent depuis désormais quinze à vingt ans d’immenses espaces où nul Etat n’impose plus même un ordre minime. En avril 1994, le directeur de la CIA constatait ainsi que “Des zones entières du Mexique, du Pérou, de la Turquie, de la Birmanie, de la Colombie, du Surinam, de l’Ukraine et de la Chine, entre autres pays, sont littéralement dominées par des organisations criminelles”.

Depuis lors, où prospèrent les terroristes, mafieux, trafiquants d’êtres humains, d’armes, de stupéfiants; les blanchisseurs d’argent criminel, les guérillas dégénérées, les «paramilitaires», etc.? Là où l’Etat a disparu. Trois exemples:

- Cordillière des Andes (symbiose: narco-guérillas, FARC, Sentier Lumineux, etc. + «paramilitaires» + narco-trafiquants),

- Triangle d’Or, aux limites de la Chine populaire, de la Birmanie, de la Thaïlande et du Laos, (symbiose: milices tribales + narco-trafiquants),

- Corne de l’Afrique, entre l’Ethiopie et ce qui fut jadis la Somalie (symbiose: bandes armées, milices islamistes, contrebandiers et narco-trafiquants),

Chaque année, depuis la fin de la décennie 80, ces zones grises gagnent en fait du terrain. Catastrophisme? Goût morbide de noircir le tableau? Non: réalité aisée à prouver. Recenser les «zones grises» actuelles se fait simplement en comparant les catalogues d’agences de voyages des décennies 70 et 80 à ceux d’aujourd’hui. Où allait-on alors aisément? Et où ne met-on plus aujourd’hui les pieds qu’au péril de sa vie?

Souvenons-nous: pendant les décennies 60 & 70, «faire la route» jusqu’à Katmandou était banal. Cette route là, des centaines de milliers de jeunes européens l’ont prise.

Pratiquement : depuis Paris en auto-stop, combien de chances a-t-on aujourd’hui d’arriver vivant au Népal? Sur l’itinéraire classique de la «route», des Balkans à la Turquie, au «Kurdistan» turc et iranien; l’Afghanistan de part en part, le Pakistan et le Cachemire, le Nord de l’Inde et le Népal, combien notre néo-routard croisera-t-il de mafias, de guérillas dégénérées, de bandes armées, de fanatiques de tous ordres, jihadis ou autres... De terroristes? Au moment d’arriver même - seul signe nostalgique des années 60 - une féroce guérilla maoïste! Quelle chance ce moderne hippie a-t-il d’arriver vivant?

La réponse est simple. Aucune. Plus qu’un grand discours, cette simple comparaison révèle les limites de ce qu’on nomme mondialisation...

Cela, l’actuelle administration américaine refuse cependant de l’admettre. Car si les zones grises ne sont pas un fantasme, mais des couveuses à terroristes et criminels, pourquoi en a-t-elle suscité deux nouvelles - et virulentes - en deux ans, sises dans des secteurs fort stratégiques de la planète, sud-est de l’Afghanistan et confins de la Turquie, de l’Iran et de l’Irak?

La «zone grise» d’Afghanistan et l’héroïne

[Source: rapport 2003 - United Nations Office on Drugs and Crime]

En 2001, l’Afghanistan produisait 12 % de l’opium mondial. La «guerre à la terreur» américaine n’étant semble-t-il pas une «guerre à la drogue», la production afghane bondit à 75 % en 2003. Selon l’ONU, cela fait 3 400 tonnes d’opium. Comme celui-ci n’est pas aussi riche que le birman ou le colombien, cela donne après raffinage 300 tonnes d’une héroïne moins pure que la célèbre «China White» du Triangle d’Or [17]. Cette médiocre héroïne afghane devrait donc se vendre, au prix de gros, 50 000 dollars le kilo à l’orée de la Route des Balkans. Enrichissant ainsi les Seigneurs de la Guerre Afghans, les transitaires iraniens, les mafias turco-kurdes et albanaises, etc. de 15 milliards de dollars dans l’année...

• Dans et autour des métropoles, les «zones grises» urbaines

S’ajoute à ces zones grises lointaines, d’autres, bien plus proches: les quartiers et cités dits pudiquement «sensibles» des métropoles du sud - mais aussi du nord et de l’ex-monde communiste.

Là domine une criminalité prédatrice primitive, celle des «meutes». Là règne l’atomisation sociale, cocktail toxique de pauvreté chronique, de violence, de toxicomanie ou d’alcoolisme, de chômage massif. Là les familles sont plus souvent «éclatées» qu’à leur tour et l’éducation bâclée, voire absente.

Typologie sommaire du crime organisé

La meute (anarchique)

La bande (déjà organisée)

- pillages et vols spontanés,

- peu ou pas de planification,

- actions à court terme (cycle court),

- opérations bâclées, repérages

minimum,

- fragilité face à la répression.

- partage des tâches,

- hiérarchies, même sommaires,

- redistribution des biens,

- ébauche de loi du silence,

- évolution possible vers le grand banditisme.

• La figure criminelle du survivant

Dans ces quartiers et cités au nord et à l’est, dans ces bidonvilles, au Sud, violence et criminalité ont détruit ces délicats réseaux de voisinage sans lesquels la vie sociale s’étiole; sans lesquels les entreprises collectives (non criminelles...) sont impossibles. Réseaux de voisinage sans lesquels, surtout, l’individu est réduit au calcul solitaire de ses chances de survie.

On a vu plus haut combien les institutions d’Etat des pays développés peinaient (collectivement) à imaginer et à comprendre les réflexes vitaux d’un être né d’une tribu ou d’un clan. Or il est tout aussi ardu d’imaginer un autre type humain, lui aussi très présent en Europe: le survivant, né et éduqué dans l’oppression totalitaire (Albanie, Moldavie, Ukraine,...). Le survivant, si proche de nous d’allure - et, pour la période au moins, si différent dans ses réactions instinctives au danger, au risque, à l’envie...

Cela, les policiers de New York l’ont vécu les premiers, dans les années 80, face à des malfaiteurs rescapés du Goulag, émigrés récents de l’URSS. Constatant qu’on ne les abattrait pas sommairement; qu’on ne les torturait même pas; voyant, abasourdis qu’on les nourrissait en prison - gratuitement! Qu’on leur lisait poliment leurs droits - des droits réels! Ces ex-bagnards, morts de rire, ne tardèrent pas à expliquer aux policiers que dans ces conditions, côté aveux, ils pouvaient toujours courir...

De tels individus, il y en a des dizaines de milliers dans l’Union européenne; des millions à ses frontières. Nier leur existence et leur dangerosité spécifique serait un drame, d’abord pour les migrants légaux issus des mêmes pays, que ces prédateurs ne tarderaient pas à exploiter de mille façons.

2°) Les entités dangereuses

Usons de termes scientifiques: la fin de l'ordre bipolaire a provoqué la mutation d'entités hier purement terroristes ou criminelles, leur glissement brusque et imprévu du champ du technomorphe a celui du biomorphe.

Technomorphe : hier, le terrorisme transnational était le fait de groupes récupérés par des services spéciaux pour le compte d'Etats. Sur ordre et au cachet, ces groupes agissaient mécaniquement, par impulsion marche/arrêt.

Biomorphe : aujourd'hui prolifèrent de façon quasi-biologique, et à ce jour incontrôlée, des entités dangereuses complexes, difficiles à identifier, à définir, à comprendre; ce, dans des territoires et des flux eux-mêmes mal explorés.

a) Comment et pourquoi ces entités sont dangereuses

Face aux figures dangereuses du chaos mondial - «gangsterroristes», sectes millénaristes, guérillas dégénérées, mafias, cartels, entités irrationnelles violentes, milices fanatiques, bandes armées criminelles, etc. il faut d’abord, par exploration approfondie, voir comment ces entités sont dangereuses; identifier leurs modes de survie - souvent peu visibles et mal compris.

Ces caractéristiques vitales, et complémentaires, sont triples : mimétisme, capacité de séduction, irréductibilité.

Mimétisme - un réflexe vieux comme l'histoire (voir le cas des hérésies du chi'isme, Nusayris, Ismaéliens, Druzes, etc.[18]), mais souvent négligé.

- Dans le domaine criminel, nous avons en Sicile, durant la seconde Guerre mondiale, les faux antifascistes - vrais mafieux.

- Pendant la Guerre froide, nous avons au Triangle d'Or de faux maoïstes - vrais narcotrafiquants (le Parti Communiste Birman, PCB), mais aussi de faux anticommunistes - vrais narcos (Les régiments du Kuomintang repliés en Birmanie, Khun Sa, etc.).

- Lors de la guerre civile libanaise, la (féroce) milice Druze se camouflait derrière le nom de «Parti socialiste», ce qui valut au pur seigneur féodal Walid Joumblatt de se retrouver - on imagine son ébahissement intérieur - vice-président de l'internationale socialiste...

- Les années-fric de la décennie 80 ont produit de faux «golden-boys» - vrais blanchisseurs de narcodollars (Franklin Jurado).

- Le chaos mondial a vu éclore de fausses ONG de la «société civile africaine» - vraies associations de malfaiteurs et de trafiquants.

On pourrait prolonger la liste. Mais tous ces groupes mimétiques s'inspirent du dicton selon lequel on n'attire pas les mouches avec du vinaigre.

Ainsi - surtout en une époque prompte à s’émouvoir - le premier devoir de l'analyste est de systématiquement rechercher ce qu'il y a vraiment derrière les allures angéliques, au-delà des discours nobles, sous des oripeaux valorisants. L’exemple de l’UCK kosovare vient ici immédiatement à l’esprit.

Séduction - les criminels les plus brutaux, les terroristes les plus sanguinaires, les sectes les plus paranoïaques, sont séduisants. La mafia de New York compte des dizaines de sites Internet créés par ses « fans »; des bonnes sœurs défendent le Sentier lumineux du Pérou, narco-guérilla féroce; des stars d'Hollywood voient la secte se disant « Eglise de Scientologie » en victime d'une Allemagne néo-nazie. Et ainsi de suite.

Pourquoi cette séduction ? Aveuglement idéologique, trouble attrait de dames délaissées pour les voyous, compromission financière, piété mal placée - cent autres causes encore. Mais le fait est là. Mimétisme plus séduction : le cocktail est toxique. Ajoutons y l'irréductibilité, il devient très dangereux.

Irréductibilité - Le changement est une forme de l'identique [19]: ce n’est donc pas un simple changement qu’ont subi au fil des années les entités terroristes ou guérillas apparues durant la Guerre froide et survivant dans l’actuel chaos mondial. Ces entités n’ont aujourd’hui plus rien de commun avec ce qu’elles étaient à l’origine, même si elles portent le même nom et sont d’apparence semblables.

En effet, le ciment idéologique - enthousiasme pour une cause, adhésion volontaire à un projet révolutionnaire - qui, durant la Guerre froide, reliait tous les membres de ces entités armées a disparu. Fraternité d'armes, ferveur patriotique ou de classe, se sont évanouis. Hier ces entités respectaient certes une discipline interne - la guerre, ou la clandestinité, l'imposait - mais la terreur ne s’exerçait que vers l'extérieur du groupe.

Aujourd'hui, le dollar a fait ses ravages et la terreur règne dans les organisations. Ce que disait des nazis le philosophe allemand Karl Jaspers [20] s’impose ici: «Il n'y avait pas de national-socialiste en qui avoir confiance parce qu'ils étaient tous terrorisés les uns par les autres avec pour conséquence les atrocités et les manquements à la parole donnée».

Dans un texte intitulé «La lutte des classes en France», Karl Marx remarquait voici plus d’un siècle : «Le triomphe de la bourgeoisie a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque et de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste». Or aujourd’hui, ces «eaux glacées du calcul égoïste» sont précisément celles ou nagent - et nagent fort bien - les entités dangereuses du chaos mondial. A l’aube du XXIème siècle, finie la libération nationale ! Oubliée la révolution mondiale ! Place au Dollar ! Tigres tamouls, PKK, Sentier lumineux, etc. : de règlements de comptes en purges féroces, la terreur est dans les organisations. Au sein du chaos mondial, tous ont peur de tous.

C'est ce terrorisme interne qui fait l'irréductibilité : comment infiltrer une entité gouvernée par la terreur ? Comment y recruter des «sources» ? Bref: comment la comprendre ? Et sans l'avoir comprise, comment la détruire ?

b) Caractéristiques communes des entités dangereuses du chaos mondial

Ne retombons pas ici dans un travers dénoncé en début d’étude, en dressant à notre tour des listes. Mais tentons en revanche de déceler des similitudes entre la plupart, sinon toutes, les entités évoquées dans ce texte.

• Ce ne sont pas des organisations «à l’occidentale» [21]

D’abord, elles ont en commun de n’être pas des organisations, au sens pris par ce terme dans notre société, c’est à dire des structures solides, voire rigides. Ces entités sont au contraire fluides, liquides même - sinon volatiles.

Prenons le cas de ce que l’exécutif des Etats-Unis nomme «al-Qaida» et présente obstinément comme une organisation formelle dotée de «numéro 2» ou de «numéro 3» - donc d’une hiérarchie; et dont «les deux tiers des cadres auraient été éliminés» ce qui induit qu’elle aurait des effectifs stables. Propos repris par quelques agents d’influence ou charlatans déguisés en experts - le mimétisme toujours - et affirmant sans rire que les «membres d’al-Qaida» seraient (par exemple) 1 200...

Or un raisonnement enfantin permet de démontrer qu’«al-Qaida» n’est pas une organisation, au sens où, pour en rester au terrorisme, l’IRA est une organisation. Que, pour dire les choses autrement, «al-Qaida» n’est pas une sorte d’IRA qui serait fanatiquement islamique au lieu d’être catholique.

Depuis le mois d’août 1998 et ses deux premières attaques contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar es-Salaam, «al-Qaida» a vu se déchaîner contre elle la pire vague répressive transnationale de l’histoire mondiale. Selon notre base de données [22], près de 5000 individus présentés comme ses «membres» ont été interpellés dans 58 pays du globe; eux-mêmes étant originaires d’autant de pays, sinon plus. De plus, surtout dans le monde Arabe, des centaines d’autres interpellations ont été opérées en secret.

Le gel mondial des fonds d’ «al-Qaida»

[Source: rapport, juillet 2003, du groupe d’experts

des Nations-Unies chargés de surveiller la mise en application

des résolutions de l’ONU en matière de lutte anti-terroriste]

Depuis ses premiers attentats d’août 2001, 59,2 millions de dollars possédés par «al-Qaida», ou par des associations ou des sociétés proches, ou par des individus censés être «membres» de cette entité, ont été gelés, ou confisqués, dans 129 (cent vingt-neuf!) pays du monde. 70% en Europe, Eurasie ou Amérique du nord, 21% au Proche-Orient (Arabie Séoudite, Emirats Arabes Unis,...); 8% enfin en Asie du sud.

Tout cela, notons-le, avant la guerre d’Irak du printemps 2003 et les attentats consécutifs de Ryad (Arabie Séoudite) et Casablanca (Maroc).

Prenons maintenant deux grandes organisations (des vraies, elles) présentes par besoin professionnel tout autour du globe: une multinationale et un service de renseignement extérieur. Disons, General Motors et la CIA. Que resterait-il de ces deux géants si, mondialement, de 5 à 6 000 de leurs cadres et employés étaient jetés en prison, leurs bureaux fermés, leurs archives pillées, leurs outils de travail, comptes en banque et fonds, confisqués? Rien. Ceci encore peut se prouver, en rappelant quel fut le sort de la BCCI (Bank of Credit and Commerce International). [23]

• Rappel: le démantèlement de la BCCI

Depuis des années, la BCCI - alors banque N°1 du tiers-monde - passait pour la favorite des narco-trafiquants, dictateurs, marchands de canons et terroristes. Le 5 juillet 1991 enfin, la plupart de ses succursales sont mises sous séquestre pour fraude, blanchiment illicite et infiltration de systèmes bancaires légitimes. Sur 23 milliards de dollars d’actifs déclarés, 3 restent dans les caisses, 12,4 milliards de dollars ont «disparus»; des dizaines de milliers de dépositaires sont spoliés. Or depuis l’origine, la BCCI est un empilage de sociétés de statuts juridique divers, déclarées dans de multiples pays et reliées entre elles par un dédale de holdings, filiales, succursales, banques secrètes nichées au cœur de banques déclarées, etc. Le tout fonctionnant sans comptabilité exploitable, sur la base d’informations verbales et de simples relations personnelles. Cependant, malgré le culte du secret et de la dissimulation qui y régnait, démanteler la banque-pirate fut enfantin : des bureaux fermés, une poignée d’individus interpellés dans le monde. Car complexe, tortueuse, secrète, la BCCI restait quand même une organisation. Et quand organisation il y a, tirer un bout de la ficelle permet presque toujours de dévider la pelote en entier.

Manifestement «al-Qaida» est d’une autre nature, car même après cinq ans d’une répression inouïe, des cellules se réclamant d’elle frappent sans encombre, au printemps 2003, au cœur de deux métropoles arabes...

• Autres caractéristiques des entités dangereuses du chaos mondial

. Leur nature est hybride, partie «politique», partie criminelle; on constate aujourd'hui des échanges poussés entre entités criminelles et terroristes : Camorra napolitaine avec l'ETA basque et le Groupe Islamique Armé d'Algérie ; gang de Dawood Ibrahim à Karachi avec des islamistes (Jaish-i-Muhammad, Harakat-ul-Mujahideen) proches de Ben Laden; ainsi qu’entre les terroristes de l'IRA et la guérilla dégénérée et proto-criminelle des FARC (Colombie),

Le cas des guérillas dégénérées

Sentier lumineux (Pérou), PKK, Tigres de l’Eelam Tamil, restes des groupes séparatistes Sikhs, de la Nouvelle Armée du Peuple (Philippines), des Naxalites (Inde), des Khmers rouges (Cambodge), bandes armées africaines, etc. Entités hier politico-révolutionnaires, ces guérillas sont aujourd’hui - tout ou partie - engagées dans la voie criminelle, mais conservent pour la galerie leurs oripeaux idéologiques, et savent à merveille jouer les chauve-souris de La Fontaine, ici, héros d’improbables luttes de libération nationale, là trafiquant êtres humains et stupéfiants avec Cosa Nostra sicilienne, les Triades ou la mafia turque Ces guérillas sont d’autant plus dangereuses que de fiefs en diasporas, elles hantent à la fois les zones grises et les grandes métropoles du sud ou du monde développé.

. Elles disposent d’une capacité de mutation ultra-rapide en fonction du facteur dollar, désormais crucial,

- La plupart et le plus souvent, elles sont nomades, dé-territorialisées (ou implantées dans des zones inaccessibles) et transnationales,

- Elles sont coupées du monde et de la société civilisée : leurs objectifs sont, soit criminels, soit d'ordre fanatique ou millénariste; soit factices, simplement destinés à abuser le monde extérieur (Liberia et Sierra Leone: la sauvage bande prédatrice de Foday Sankoh se disant «Front révolutionnaire uni»); soit enfin (secte Aum) à peu près incompréhensibles,

- Elles sont en général privées de tout sponsorship d'Etat - ce qui les rend plus imprévisibles et incontrôlables encore,

- Elles ont une pratique extensive du massacre, la volonté de donner la mort au plus de gens possible (ben Laden, le GIA algérien, la secte Aum, etc.).

• Le syndrome du taureau déjà toréé

Reste une spécificité commune aux entités les plus intraitables, comme «al-Qaida» et le Hamas. L’exposer demande une préalable métaphore tauromachique. En Espagne, le taureau est tué en fin de corrida. Au Portugal, la bête est abattue au sortir de l’arène. Pourquoi? Si par erreur, ce taureau combat à nouveau, son second torero n’a aucune chance de survie. Réalité du modèle essai-erreur chez les mammifères: le fauve néglige alors la muleta et fonce droit sur le matador. De très grands d’entre eux, comme Manolete, ont été tués dans l’arène par de tels animaux, suite à une telle erreur.

Or pendant des années, les services spéciaux américains et israéliens ont joué des jeux compliqués, qui avec ben Laden, qui avec le Hamas. Une présentation mesurée des choses permet de dire qu’il se sont ... fréquentés. Pour les terroristes, cette expérience est inestimable. Elle fait d’eux des taureaux déjà toréés. Chaque opération qu’ils conçoivent l’est en connaissance de l’ennemi. Un ennemi qu’on a regardé, épié avec passion. On a bu toutes ses phrases, suivi tous ses gestes, écouté tous ses conseils, suivi tous ses enseignements. Cet ennemi, on le connaît bien - Mais lui vous connaît peu.

Car collectivement, une bureaucratie observe mal. Elle affecte ses personnels selon des critères plus administratifs que stratégiques; elle répugne à la spécialisation, à l’usage des langues indigènes; elle refuse la pratique des fiefs. Ce que faisant, elle suscite de formidables, de durables ennemis.

3°) Flux dangereux, économie criminelle

La troisième séquence concerne l’économie criminalisée. Un aspect de la menace mal connu; car sous-estimé, voir ignoré, par les médias du fait qu’il rassemble tout ce qui leur déplait: complexité, difficultés d’illustration («t’as des images, Coco»?), remise en cause de bienséances majeures. Avec pour effet un cercle vicieux précisément décrit par le philosophe Roger-Pol Droit: «On ne publie pas ce qui n’intéresse personne; personne ne s’intéresse à ce qu’il ignore; on ignore ce qui demeure inaccessible, faute d’être publié.» [24]. Mais la cause n’est pourtant pas perdue: dans les médias, les séquelles économiques et financières du «9/11», plus divers scandales, ont provoqué un net retour sur terre. On sait désormais que l’économie ne peut pas tout, qu’elle n’est pas tout - et qu’elle est même plutôt fragile de nature.

Un jour, on finira bien par s’aviser de sa progressive criminalisation - énorme souci car, on l’a vu, les conflits auront pour les décennies à venir une dimension terroriste ou criminelle, ou hybride entre les deux. Et ils seront d’abord financés par des réseaux financiers clandestins, immergés dans cette économie nommée, au choix, souterraine, parallèle, clandestine ou hors-la-loi. Economie informelle au sein de laquelle, en un jeu de poupées russes, niche à son tour l’économie criminelle.

Sous-estimer la criminalisation de l’économie consiste notamment à ne traiter que l’angle étroit du blanchiment d’argent. A Berlin, en juin 2003, Le GAFI/FATF [25] situe ce recyclage criminel dans une fourchette de 700 à 1 500 milliards de dollars US par an, soit de 2 à 5 % du produit brut mondial. Or tout ou presque de ce qui est blanchi représente les profits de l’économie criminelle mondiale: s’intéresser à ces profits en ignorant leur origine est un parfait usage du petit bout de la lorgnette; d’oubli - on y revient toujours - du champ préalable d’inspection du blanchiment lui-même.

• Qu’est-ce que l’économie informelle?

C’est «l’ensemble des transactions échappant à la formalisation, c’est à dire à l’autorité de l’Etat et des pouvoirs publics, en s’effectuant en général en dehors d’eux, voire contre eux». Mouvante, protoplasmique, cette économie rassemble «toutes les activités qui seraient taxées, si elles étaient déclarées» [cf. Bibliographie, Gourévitch].

L’économie informelle a sa face rose: «sociale», «solidaire» ou «alternative»; ses faces grises (troc, travail au noir, etc.), posant déjà problème: «L’économie parallèle est à elle seule responsable de la moitié des infractions et des violences sur la voie publique...» (Michel Charzat, Le Figaro-Magazine, 27 avril 2001).

Déjà considérable à l’échelle mondiale, l’économie informelle gagne chaque année du terrain sur l’autre économie, elle formelle et régulée. Quelques chiffres [Sources: Gourévitch & FMI, cf. bibliographie]:

Dans la décennie 90, l’économie informelle représente:

- Pour les pays en développement : 35 à 44 % du PIB

- Pour les pays en transition : 21 à 30 % du PIB

- Pour les pays de l’OCDE : 14 à 16 % du PIB

En 1999, l’économie informelle représente: Nigeria, 77% du PIB; Thaïlande, 70%; Egypte, 69%; Bolivie, 67%; Géorgie, 64%; Bulgarie, 34%; Grèce, 30%; Italie, 27 %. En France (en 2002), l’économie informelle frôle les 25% du PIB. Cela viendrait du fait que les migrants dans notre pays sont surtout issus de zones ou l’économie informelle est importante, ou dominante: Maghreb, Afrique subsaharienne; Europe centrale & orientale; Balkans.

L’économie informelle mondiale a fortement crû ces dernières décennies: en 1970, elle «pèse» 10% du produit brut mondial, 20% en 2000 - un doublement en trente ans. La plus forte accélération se produit durant la dernière décennie considérée, 1990-2000.

• Ce qu’est, ce que représente l’économie criminelle

L’économie informelle a aussi sa face noire, purement criminelle. La première facette de cette dernière est plutôt «col blanc». Ce sont les «infractions économiques et financières internationales»: fraudes douanières, escroqueries financières, faillites frauduleuses, faux divers et blanchiment.

Prépondérante, la seconde facette est celle où règne le crime organisé : trafic d’êtres humains, de stupéfiants, d’armes de guerre, de véhicules volés, de cigarettes, de documents officiels (identité, immigration, etc.); jeux de hasard illicites, contrebande, contrefaçons (cette seule activité «pèse» de 5 à 7 % des échanges mondiaux); négoce illicite d’antiquités et d’œuvres d’art, de médicaments contrefaits; piratage musical, faux monnayage, etc. Le tout sur fond d’intimidation, de prédations, de violences et de corruption.

Les stupéfiants, un marché mondial

aux mains du crime organisé

[Source: rapport 2003 - United Nations Office on Drugs and Crime]

Il y aurait au monde ± 200 millions de toxicomanes:

Consommateurs de cannabis : ± 163 millions

Consommateurs d’amphétamines : ± 34 millions

Consommateurs d’opiacés : ± 15 millions

Consommateurs de cocaïne : ± 14 millions

Consommateurs d’ecstasy : ± 8 millions

Cette situation amène à tempérer les discours optimistes entendus dans les enceintes internationales sur les succès de la lutte contre la circulation de l’argent terroriste et/ou criminel. Si en effet:

a) l’économie informelle tient une place croissante dans l’activité économique humaine à l’échelle du globe,

b) l’économie et la finance criminelles se cachent toujours plus et mieux dans la sphère informelle ci-dessus dépeinte,

c) et si cette économie criminelle est elle-même globalement en croissance,

Il en résulte que la lutte anti-blanchiment et les contrôles tatillons s’exerçant désormais sur tous les flux financiers légitimes, même modestes, repoussent toujours plus l’argent illicite dans la sphère informelle, où il n’est pas contrôlé du tout - puisque pas contrôlable...

Chaque année, les contrôles, inspections, vérifications installés, ici de bon gré, là par contrainte, labourent ainsi toujours plus et mieux une portion du champ en constante diminution. Cette stratégie évitera peut-être la pollution criminelle de la finance légitime ; on voit en revanche mal comment elle bloquera la circulation de l’argent noir ; et pas du tout comment cette stratégie parviendra à interdire les flux de l’argent terroriste.

En fin de compte, on a l’impression que les Etats leurs lois et leurs systèmes répressifs évoluent dans une dimension et les criminels, leurs systèmes commerciaux et financiers illicites, dans une autre. Ces deux dimensions ne se rencontrant que rarement, lors de confiscations qui ne gênent pas trop les criminels. Ces saisies, ils les considèrent au contraire placidement. Perdre 10% de sa cocaïne? Quelques comptes en banque et sociétés-écran? Bah, c’est moins que l’impôt sur les sociétés. Les interpellations d’individus ? Elles favorisent la circulation des élites criminelles - comme une chasse intelligente vivifie le gibier plus qu’elle ne l’extermine : au total, un fonctionnement d’ordre darwinien (survival of the fittest).

IV - Affronter les menaces

LE rôle du criminologue n’est pas d’expliquer aux policiers comment faire la police; aux gouvernants, comment gouverner; aux magistrats, comment rendre la justice, etc. Face au crime, il ne part :

- Ni des pré-jugés et idées reçues en vogue dans les cénacles officiels,

- Ni des moyens existants, formule de type «médecine soviétique» où l’on donne au patient les potions figurant dans le placard - et non celles que son état imposerait,

Au contraire, le criminologue observe sur le terrain les vraies menaces, telles qu'elles sont réellement. Son rôle est de déceler, d’avertir, d’analyser, de comparer; de généraliser, puis de transmettre des connaissances - ce qui représente déjà un certain travail, dans un monde comme le nôtre.

Le criminologue est donc dans son rôle en avertissant d’emblée que, face au crime organisé et au terrorisme, la politique de la posture, de l’esbroufe pour journaux télévisés - bref, tout ce qui consiste à faire semblant, donc à ne rien faire - ne peut que provoquer le pire.

Car dès qu’un problème est politique - et combattre le crime organisé et le terrorisme est politique - il faut qu’une décision politique de combat soit prise, et prise pour de bon. Or sur la nature et les conséquences de la décision, la philosophie nous offre, une fois encore, ce fulgurant avertissement:

« Les décisions ne s'obtiennent pas du fait de discourir à leur sujet, mais du fait qu'est créée une situation et que sont appliquées des dispositions au sein desquelles la décision est inéluctable, et où toute tentative pour l'éluder revient en fait à la décision la plus grave » [italique par nos soins, Martin Heidegger, « Qu'est-ce qu'une chose ? », Tel-Gallimard, 1998].

Que faire alors, passé le cap de la décision politique? Nous pensons avoir montré qu’il est stupide (ou malhonnête) de s’acharner à compter les combattants d’une entité biomorphe; tout autant que de chercher un nombre fixe de moustiques autour d’une mare. Résistons maintenant à une autre tentation, celle de l’impatience d’action spectaculaire, d’exigence de baguette magique, qui caractérise la société de l’information.

Affronter les nouvelles menaces avec des chances sérieuses de les réduire ou de les anéantir demande d’abord de les connaître. Cette observation n’est pas exactement un scoop: la maxime «connais ton ennemi» remonte à l’antiquité. Or dans l’ensemble, on sait peu de choses sur le chaos mondial. Nous pensons que des progrès significatifs pourraient être accomplis sur ce point si des moyens - oh! modestes à l’aune de ce que coûte le matériel militaire - étaient affectés à l’étude de domaines retenant peu l’attention aujourd’hui, quoique décisifs pour mieux situer les aires périlleuses, les entités dangereuses, les flux criminelsdu chaos mondial:

- Géographie criminelle: zones grises, zones de non-droit, leur formation, leurs évolutions, leur criminalisation, etc.,

- Ecologie criminelle: permanences et constantes dans l’évolution de l’homme en des lieux ou un environnement hostile ; études (anthropologiques, éthologiques, sociologiques,...) sur le produit de l’hétérogénéité sociale (entités proto-criminelles ou pré-terroristes des «zones grises urbaines»),

- Economie criminelle: tout ce qu’il y a en amont du blanchiment, liens entre économie informelle et criminelle, usage des mêmes technologies, passage par les mêmes «tuyaux», etc.

Concluons sur ce point en soulignant avec force qu’il n’est rien de moins abstrait, de moins théorique, de moins virtuel que l’action terroriste ou criminelle. Toujours et partout, le crime est imaginé puis mis en œuvre par de très réels individus de chair et de sang, dont les ressorts et les plans sont limités et connus: vengeance, lucre, instinct de domination territoriale, fanatisme, pour les ressorts; infiltration, corruption, intimidation, assassinat, pour les méthodes. Partant de là et d’une solide connaissance du triangle aires-entités-flux, on doit pouvoir progresser assez vite.

Conclusion

TOUTES ces menaces demandent d’être sans cesse en alerte; toujours en éveil; de suivre toutes les pistes. Il est désormais impératif de s'intéresser au bourgeon dès son apparition - et non plus seulement à l'arbre adulte.

Experts, policiers, officiers de renseignement, dirigeants politiques, ne peuvent désormais plus se permettre l’inattention ni la paresse intellectuelle ; se borner à prolonger les courbes ; penser que ce qui était dangereux hier, le sera aussi demain. En matière de nouvelles menaces criminelles ou terroristes, l'avenir est à la détection rapide, au décèlement précoce.

Rapidité, précocité: dans le respect des lois de l’Etat de droit, il faudra imaginer, susciter et utiliser des outils informatifs ou répressifs, eux aussi mouvants et mutants - tant il est vrai que nihil contra venenum nisi venenum ipse (nul remède contre le poison, sinon le poison lui-même).

Ces outils informatifs ou répressifs renouvelés devront pouvoir apporter des réponses claires aux questions suivantes:

. Comment déceler précocement des symptômes de crise dans les secteurs chaotiques de la planète ?

. Comment intercepter, analyser et exploiter les données échangées dans les zones hors-contrôle (suburbaines ou sauvages) ou émanant de celles-ci ?

. La crise survenant, comment fournir à d’éventuels intervenants les meilleurs éléments possibles d’intervention sur chaque terrain spécifique ?

Au total, ces outils informatifs ou répressifs renouvelés devront savoir suivre au plus près du temps réel, en continu, les évolutions des territoires dangereux, des entités menaçantes; se tenir au contact vivant de leur réalité; rejeter les représentations intellectuelles dépassées, les mirages, fantasmes et phobies véhiculés par les médias. Bref, mener efficacement ce «travail instantané qui s’opère au milieu des événements, sous la pression du temps et sous le bombardement des nouvelles» [26].

Sans cette conversion au réel-précoce, les Etats persisteront à confier leur défense à une lourde et lente cavalerie, arrogante et sûre de sa puissance. Quand chargeront ces lourds chevaliers, de furtifs archers fanatisés du chaos mondial se faufileront parmi eux, les cribleront de flèches (empoisonnées...) puis s’évanouiront aisément vers les mégapoles anarchiques, les zones grises au sud du monde.

Le scénario ne vous rappelle rien? C’est celui de la bataille d’Azincourt. n

Annexe 1

Les traités de Westphalie: quand l’ordre international

devint un ordre interétatique

De 1618 à 1648, les grandes puissances européennes (France, Saint-Empire Romain Germanique, Empire espagnol, Angleterre, Suède, Bavière, Pays-Bas, Danemark, etc.) vident pour de bon la grande querelle entre catholiques et protestants. Alors poussière de micro-Etats, l’Allemagne sert de champ de bataille. Trente ans plus tard, le pays est absolument ravagé. Entre un tiers et la moitié de la population a péri (faim, massacres, épidémies), sans résultat décisif, sans qu’une religion ne parvienne à dominer l’Europe.

Après deux ans de palabres dans les villes westphaliennes de Münster et Osnabrück, la diplomatie européenne accouche d’une paix bancale dont tous sont mécontents - même les clergés protestant et catholique, pour une fois d’accord. Seule la France sauve la mise en récupérant l’Alsace, Metz, Toul et Verdun. Pour l’Europe, c’est la dernière guerre de religion : place aux guerres nationales. Depuis, l’Etat-nation est le fondement du système international.

A l’époque, la fin d’une guerre est pire que le conflit lui même. La Suède, par exemple, licencie «sec» 200 000 mercenaires (dont les familles suivent la troupe): tous se transforment en pillards et en maraudeurs. Les séquelles affreuses de la guerre de Trente ans poussèrent les puissances européennes à créer des armées nationales et à adopter des règles d’entrée en guerre (jus ad bellum) et de conduite des conflits (jus in bello).

Annexe 2

Maktab: une organisation traditionnelle non-pyramidale

Dans le monde chi’ite – mais des regroupements analogues existent aussi dans l’activisme sunnite – maktab (au sens premier) est l’école traditionnelle où l’on apprend le Coran, ainsi que des rudiments de lecture et d’écriture.

Plus largement, maktab est un mode d’association aussi familier aux chi’ites que l’est en France l’universelle et versatile «association – loi de 1901». Du mode maktabi d’association découlent la plupart des autres: le Hezbollah du Liban, le commandement des Gardiens de la Révolution d’Iran, les centres de rayonnement spirituel de Najaf, Kerbala, Qom, Meched, etc., sont structurés de façon maktabi.

Maktab suscite des réseaux souples, flexibles et résistants, assurant l’adhésion de chacun à un élément du réseau, comme la cohésion de l’ensemble. Informels mais personnalisés, ces réseaux émanent des mosquées, ou des locaux communautaires chi’ites, les husseiniyeh. Les décisions y sont prises dans le secret d’invisibles hiérarchies internes, sans interférences extérieures ni publicité, ce qui confère aux maktab une forte capacité de résistance aux pressions extérieures et tentatives de manipulation.

Avant la révolution islamique d’Iran, Ali Chariati (l’un des grands idéologues du chi’isme révolutionnaire des décennies 60/70) montre à de jeunes islamistes iraniens prônant les modes occidentaux d’organisation, tous les avantages de la tradition maktabi : «Maktab n’est pas un système rigide. C’est une orientation, ni une organisation ni une institution... Une constellation humaine dont les planètes seraient faites des sentiments personnels, des comportements sociaux, des particularismes ethniques et notamment des opinions philosophiques, religieuses et sociales des individus qui la composent; l’ensemble formant un système coordonné, évoluant au même rythme dans une direction précise... Voilà ce qu’est maktab: une école de pensée et d’action autour d’une personne. Elle a vocation à évoluer, à se développer, à acquérir une puissance sociale. Elle donne à ses membres une mission et une responsabilité humaine».

De son expérience personnelle au Liban durant la guerre civile, l’auteur peut témoigner qu’au sein d’un maktab, les hiérarchies (fondées sur le niveau théologique atteint par tel dignitaire, la taille du groupe qu’il contrôle, son rayonnement international) sont réelles, connues de tous et ne posent nul problème. Lors des cérémonies par exemple, les cheikhs occupent toujours les mêmes places, au même rang et interviennent dans un ordre strict. Pour un passant, ou sur une photo de presse, la tribune peut sembler chaotique, mais un ordre et une discipline - subtils autant que fermes - y règnent.

Or après la Révolution islamique en Iran, la capture des personnels de l’ambassade de Téhéran, les attentats et prises d’otages du Hezbollah au Liban et l’Irangate, l’Amérique officielle n’a toujours pas compris l’aspect système solaire du maktab. En effet, la National Strategy for Combating terrorism de février 2003 persiste et signe, croquis à l’appui, dès la page 6, sous le titre The structure of terror: toute organisation terroriste est en forme de pyramide. C’est comme ça. C’est la ligne du parti. Un bel acharnement dans l’incompréhension... Les œuvres d’Ali Chariati ne doivent pas figurer à la bibliothèque de la Maison Blanche...

[cf. Xavier Raufer, «La nébuleuse...», voir bibliographie in fine]

Annexe 3

La traque des jihadi à travers le monde, 1998 – 2003

Selon la base documentaire du MCC, d’août 1998 à juin 2003, 3675 individus réputés proches de la nébuleuse ben Laden, ou liés à celle-ci, ont été interpellés dans 58 pays du monde:

Afghanistan (114), Afrique du sud (3), Albanie (45), Algérie (40), Allemagne (31), Arabie saoudite (271), Australie (1), Bangladesh (28), Belgique (22), Bosnie (13), Canada (27), Chili (5), Chine (717), Colombie (4), Emirats Arabes Unis (4), Egypte (45), Espagne (58), Etats-Unis (68), France (71), Géorgie (1), Grande-Bretagne (88), Iles Caïmans (3), Inde (58), Indonésie (59), Irak (3), Iran (1), Israël (2), Italie (51), Jordanie (24), Kenya (49), Kirghiziztan (53), Kosovo (1), Koweit (75), Liban (31), Malaisie (46), Malawi (5), Maroc (750), Mauritanie (10), Nouvelle-Zélande (4), Ouganda (26), Ouzbékistan (60), Pakistan (325), Pays-Bas (14), Philippines (8), Qatar (31), Russie (123), Sénégal (1), Singapour (34), Soudan (10), Suède (1), Sultanat d’Oman (1), Syrie (1), Tanzanie (19), Tchétchénie (2), Thaïlande (12), Turquie (1), Uruguay (4), Yémen (118).

Là-dessus, 1985 interpellations ont été faites en 2002, et 1359, au premier semestre 2003.

Si l’on additionne maintenant les chiffres ronds fournis par l’administration américaine et par les autorités de divers pays directement concernés (Pakistan, Arabie saoudite, etc.) Le total dépasse 5 000 arrestations. Ainsi, une partie, mais une partie seulement, des détenus de Guantanamo est-elle comprise dans le décompte ci-dessus. En juin 2003, ces prisonniers étaient 684, de 42 nationalités différentes et parlant 19 langues.

Enfin, toujours selon l’administration américaine, 10 des 24 membres du «noyau central d’al Qaida», les plus proches d’Oussama ben Laden, ont été tués ou arrêtés entre septembre 2001 et septembre 2002.

Bibliographie et sources

André Bernand « Guerre et violence dans la Grèce antique » Hachette, 1999

Robert Graves « Mythes grecs », Fayard, 1967

Francis Fukuyama «The Great Disruption - human nature and the reconstitution of social order», The Free Press, NY, 1999

Jean-Paul Gourévitch «L’économie informelle - de la faillite de l’Etat à l’explosion des trafics» le Pré-aux-Clercs, 2002

Martin Heidegger « Correspondance avec Karl Jaspers et Elisabeth Blochmann", Bibliothèque de Philosophie, NRF-Gallimard, 1996

« Essais et conférences » (Dépassement de la métaphysique, 1951), Tel-Gallimard, 1980

Bertrand de Jouvenel « L'art de la conjecture » Futuribles-Editions du Rocher, Monaco, 1964

Domenico Lo Surdo «Heidegger et l’idéologie de la guerre», PUF, 1998.

Xavier Raufer « La nébuleuse : le terrorisme du Moyen-Orient », Fayard, 1987

et. al. « Dictionnaire technique et critique des nouvelles menaces », PUF, coll. Défense & Défis Nouveaux, 1998

Carl Schmitt « Le Léviathan dans la doctrine de l'Etat de Thomas Hobbes », Seuil, 2002

« Le Nomos de la Terre », PUF, coll. Léviathan, 2001

« Les trois types de pensée juridique », PUF, 1995

Jean Wahl « Introduction à la pensée de Heidegger », Livre de Poche-essais, 1998

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Articles et études

Ian Buruma & Avishai Margalit, «Occidentalism», New York Review of Books, 17/01/2002

Friedrich Schneider & Dominick Enste «Hiding in the shadow: the growth of the underground economy», International Monetary Fund, march 2002

[1] « Chaos et Nomos, penser les menaces émergeantes », Notes & Etudes du MCC, juin 2003 ; texte également présenté sur le site <www.drmcc.org>.

[2] «L'art de la conjecture», Bertrand de Jouvenel, Futuribles-Editions du Rocher, Monaco, 1964.

[3] Martin Heidegger, in «Beiträge zur philosophie (Vom Ereignis)», Gesamtausgabe, vol. 65, Klostermann, Francfort, 1989.

[4] L'Europe car de facto, « Shengen » forme les frontières de la France en terme de sécurité. Comme démontré [« Dictionnaire technique et critique des nouvelles menaces », Xavier Raufer ed., voir bibliographie] rien de concret ne permet plus de distinguer, comme c’était encore le cas du temps de la guerre froide, « sécurité intérieure » et « sécurité extérieure ».

[5] Maurice Allais, prix Nobel d'économie, «Réflexion sur les vérités établies», Le Figaro, 27/04/1999.

[6] Central Intelligence Agency, Directorate of Intelligence, Office of Political Research - Elites and distribution of power in Iran - February 1976. A peine digne d’un Que sais-je, cette synthèse est constellée d’une batterie de SECRET - NOFORN (interdit aux étrangers), ORCON (informations contrôlées) WNINTEL (sources sensibles), etc.

[7] Peace Watch, revue de l’United States Institute of Peace, octobre 1999 «Next steps in Kosovo». Mme Albright réitère en février 2000, à Tirana, devant les dirigeants albanais : «J’engage les Kosovars à résister à la tentation de la vengeance, ce pour des raisons morales mais aussi, pratiques». (Dow Jones, 19/02/2000.

[8] United States Institutes of Peace, Council on Foreign Relations, Carnegie endowment for international peace, Brookings institution, Hudson institute, Columbia university, John Hopkins university.

[9] Aïon, Albin-Michel, Paris, 1983.

[10] «Impérialisme et droit international : le point de vue de Carl Schmitt», David Cumin, revue «Stratégique», 4ème trimestre 1997, N° 68.

[11] Dépassement de la métaphysique (1951) in « Essais et conférences », Tel-Gallimard, 1980.

[12] Carl Schmitt, « Le Nomos de la Terre », PUF, collection Léviathan, 2001. La guerre inter-étatique étant pour Schmitt « une action militaire qui se déroule... à l'aide d'armées organisées par un Etat contre de semblables armées adverses, organisées par un [autre] Etat. »

[13] «Guerre et violence dans la Grèce antique», André Bernand, Hachette, 1999.

[14] Karachi, voir «Etats échoués, mégapoles anarchiques», Anne-Line Didier et Jean-Luc Marret, PUF, coll. Défense & Défis Nouveaux, 2001. «Forteresses criminelles» du Brésil, voir sur le site du Département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines <www.drmcc.org>, la «Note d’Alerte» N°2, intitulée «Cocaïne sur l’Europe: l’inondation approche».

[15] Voir notamment «Colombian fighters’ drug trade is detailed», un long document du Washington Post du 26/06/2003.

[16] Ce concept a été imaginé et développé en 1989-90 dans les séminaires du CERVIP, CEntre de Recherches sur la VIolence Politique, de l’Institut de Criminologie de Paris (l’ «ancêtre» de notre Département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines) puis popularisé par des études et articles dans la presse écrite : «Le Débat» N° 68, jan.-fev. 1992, «La menace des “zones grises» sur la nouvelle carte du monde» et «On les appelle les zones grises...», L’Express, 23 avril 1992.

[17] Il existe deux variétésd’héroïne : la N° 3, assez grossière, se fume ou s’inhale («chasser le dragon»). La N°4 est destinée à l’occident ; le meilleur opium du monde, des chimistes réputés : cette «China white» est parfois pure jusqu’à 99%. Elle se «sniffe» (pure) ou s’injecte après coupage. Les numéros de l’héroïne correspondent aux stades de son raffinage: 1, morphine-base; 2, héroïne-base; 3, héroïne brune («brown sugar»); 4, héroïne blanche («China white»).

[18] Voir «La nébuleuse : le terrorisme du Moyen-Orient», Xavier Raufer, Fayard, 1987.

[19] «Introduction à la pensée de Heidegger», Jean Wahl, Livre de Poche-essais, 1998.

[20] «Correspondance avec Karl Jaspers et Elisabeth Blochmann», Martin Heidegger, Bibliothèque de Philosophie, NRF-Gallimard, 1996.

[21] Sur ce point décisif, voir annexe 2 «Maktab: une organisation traditionnelle non-pyramidale».

[22] Voir en fin de texte, annexe 3.

[23] Lire James Ring Adams, Douglas Frantz «A full service bank» Pocket Books, New-York, 1992 et Peter Truell, Larry Gurwin «False Profits» Houghton-Mifflin, Boston, New-York, 1992.

[24] «L’oubli de l’Inde», PUF, 1989.

[25] «World watchdog cracks down on hot money, terror cash», Reuters, 20/06/2003.

[26] Paul Valéry, Regards sur le monde actuel.