Préface

On a volé près de 300 000 véhicules et de 100 000 deux roues en France en 1999. Après une forte poussée au début des années 90, un renversement progressif de tendance s'est fait sentir depuis quelques années. Mais cette évolution masque des tendances profondes et contrastées. De plus, les mouvements criminels organisés structurent une part de plus en plus importante de leur activité sur ce créneau.

Le coût du vol de véhicules représente en France plus de 10 milliards de francs annuels, dont 7 milliards à la charge des assureurs, le reste étant supporté par les victimes.

Mais, curieusement, le nombre de véhicules retrouvés ne progresse pas de façon marquante et le taux d'élucidation des vols reste en dessous de 8% (moyenne nationale du taux d'élucidation : 27.6 % pour la délinquance générale, 9.3 % pour la délinquance de voie publique).

Au cours de cette étude menée sur les vols de véhicules en France (le seul secteur ou la délinquance est sensiblement plus forte qu'aux États-Unis : taux de 529 faits pour 100 000 habitants en France contre 459 outre-Atlantique, en 1998 derniers chiffres connus), il semble apparaître une sorte de « consensus général » pour ne pas retrouver les véhicules volés.

A l'exception des propriétaires, (3 véhicules assurés sur 4 pour un parc de 31 millions), les autres acteurs de ce secteur semblent simplement accepter la fatalité :

· Assureurs : ils constatent que le fait de retrouver un véhicule, souvent dégradé, coûte infiniment plus cher que d'indemniser le vol (frais de garde, de transport, de constat, de réparation). Ayant fait l'effort de pousser à la mise en place de systèmes de défense passifs (coupe-circuits), ils considèrent souvent avoir rempli leur tâche de prévention.

· Constructeurs : ils laissent entendre avec discrétion que le remplacement des véhicules volés non retrouvés dans le délai de subrogation (environ 200 000) représente une part de production non négligeable.

· Pays émergents d'Europe Orientale ou d'Afrique : le trafic de véhicules volés représente pour eux une quasi aide au développement.

· Police Nationale : l'absence d'unité spécialisée dans la recherche de véhicules volés au sein de la DCSP et la difficulté à imaginer une doctrine sur le sujet (notamment en raison des risques de poursuites desdits véhicules en ville) semble tétaniser une structure qui estime avoir mieux à faire sur d'autres secteurs de la criminalité et qui doit déjà fournir d'importants efforts pour mettre en place l'indispensable police de proximité.

Pourtant, le législateur avait prévu lors des discussions sur la Loi d'Orientation et de Programmation relative à la Sécurité (LOPS) du 21 Janvier 1995, la mise en place de dispositifs technologiques capables de retrouver rapidement les véhicules volés.

L'article 15 de la Loi disposait ainsi : « En vue de prévenir les infractions contre les véhicules et leurs équipements, l'installation sur ces biens de dispositifs de sécurité ou leur marquage, y compris par des procédés électroniques, peuvent être rendus obligatoires. Toutefois, cette obligation ne peut en aucun cas s'appliquer à des dispositifs ou procédés permettant de localiser à distance des véhicules non signalés comme volés.
Les constructeurs et importateurs seront tenus d'y procéder sur les véhicules construits ou importés, à compter de l'entrée en vigueur du présent article, dans des conditions fixées par Décret en Conseil d'État.
Le fait de détourner les dispositifs ou procédés de sécurité ou de marquage des véhicules pour localiser à distance des véhicules non volés est puni des peines prévues au VI de l'article 10 de la présente Loi ».

Si la protection des libertés justifie parfaitement les précautions prises par le législateur, il faut constater l'existence dans d'autres pays européens de dispositifs opérationnels du même type.

En fait, il semble que les problèmes suivants expliquent les 5 années passées depuis la promulgation de la loi et l'absence de rédaction du Décret d'application (en fait, le ministère de l'Intérieur s'interroge sur ces technologies depuis le début des années 90) :

· La protection des libertés individuelles
Il apparaît essentiel, et à juste titre, de disposer d'un système qui ne soit activé qu'en cas de vol déclaré à la Police ou à la Gendarmerie Nationales. Le contrôle par l'autorité publique de l'activation semble un impératif majeur. Mais cet obstacle ne semble pas poser de problèmes techniques avec la plupart des technologies connues.

· La capacité de rechercher le véhicule volé
Il semble que les services publics de sécurité ne soient pas encore prêts à définir une doctrine claire sur cette question. En effet, il existe une différence majeure de gestion de la découverte d'un véhicule volé en stationnement ou roulant. Dans le premier cas, l'effet sur l'activité des patrouilles est lié à la gestion de la procédure de contrôle et de vérification, d'immobilisation du véhicule, puis de transfert. Il est ensuite nécessaire, en fonction du délai entre le vol et sa découverte (moins de 30 jours ou plus de 30 jours) d'informer le propriétaire ou l'assureur. Il apparaît difficile, au vu des moyens humains et techniques des services de police, de disposer du temps nécessaire à ces opérations tout en maintenant les missions traditionnelles d'îlotage ou de patrouille. De plus, au moment ou la police de proximité s'implante sur le territoire, certains responsables policiers considèrent que la recherche des véhicules volés distrairait des effectifs, déjà rares, de leurs nouvelles missions1.

Pour les véhicules en mouvement, la principale crainte est celle d'une course-poursuite en ville, dans des conditions dangereuses pour les citoyens et les policiers, alors même que les moyens automobiles nécessaires à une interpellation ne seraient pas réunis (en tout cas hors des villes disposant de Brigades Anti Criminalité organisées et fiables, de jour comme de nuit, comme à Paris).

Enfin, les observateurs les mieux au fait des procédures judiciaires privilégient toujours le démantèlement des bandes organisées (procédures longues et minutieuses) sur les flagrances qui, trop souvent, ne permettent que d'interpeller des comparses et pour un seul délit.

S'il ne faut pas sous-estimer ces objections, sérieuses, il est difficile d'admettre que la recherche des véhicules volés ne soit pas considérée comme un enjeu majeur.

Les services publics de sécurité doivent donc faire face à des choix importants :

- Soit ne rien faire et laisser aux dispositifs imposés par les assureurs le soin de réduire les vols suivant les principes de la prévention situationnelle
- Soit mettre en place des dispositifs spécifiques de recherche des véhicules volés en créant les moyens en effectifs, en véhicules et télécommunications nécessaires
- Soit s'appuyer sur le secteur privé pour détecter les véhicules, les localiser et n'intervenir que pour la saisie ou l'interception

La rapidité d'intervention semble liée à l'état de conservation du véhicule. Le temps de réaction semble directement connecté à la dégradation ou à la disparition des véhicules volés. Plus la réaction est lente, plus le coût de réparation est élevé. De ce point de vue, les assureurs auraient aussi fortement intérêt à la mise en place de dispositifs efficaces de détection, dans le strict respect des libertés individuelles et sous contrôle de l'État.

Cinq ans après la parution de la Loi, et au vu des spécificités statistiques sur les vols de véhicules, le temps semble venu de prendre les décisions nécessaires sur cet aspect méconnu de la criminalité nationale.

« Les Polices en France » (PUF, à paraître)

 

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1Reconstituer l'historique d'un véhicule demande une semaine de travail à un enquêteur. Les démarches auprès des différents acteurs du marché lui prennent ainsi 75% du temps d'enquête