"BAKOUNINE", Etc.

Jean François Gayraud

Le "groupe Bakounine-Gdansk-Paris-Guatemala-Salvador" a commis son premier attentat en décembre 1981. Le nom du groupe nous renseigne utilement sur son l'idéologie.

Bakounine est l'un des pères de l'anarchisme violent, d'un anarchisme de révolte reposant sur quelques idées simples : l'anarchie est la tendance naturelle de (univers et tout État suppose l'homme essentiellement mauvais (comprendre a contrario : l'homme naturellement bon est perverti par la société, dixit Rousseau). Et la référence d'une part àGdansk et d'autre part au Guatemala et au Salvador marque clairement la volonté de ces anarchistes de renvoyer dos à dos les systèmes capitaliste et communiste. Ainsi peut-on lire dans le communiqué n° 2 : "A l'Est les chars soviétiques font régner l'ordre bureaucratique, à l'Ouest. les multinationales entretiennent les dictatures sanglantes qui garantissent ou accroissent leur profits. Dans ce monde divisé, nous ne soutenons aucun camp, aucun État... Nous trouvons notre identité dans l'internationalisme révolutionnaire". D'où un seul objectif : "combattre radicalement les intérêts économiques et politiques des impérialistes de Moscou et de Washington". Ce qui d'une manière plus imagée donne ceci : "l'humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier bureaucrate sera pendu avec les tripes du dernier capitaliste." Ici réside une première particularité d'un groupe qui tout en s'attaquant à l'impérialisme américain n'hésite pas également à viser les pays de l'Est : le premier attentat est commis le 20 décembre 1981 contre une société polonaise une semaine après l'instauration de l'Etat d'urgence en Pologne.

Action Directe par exemple se refusera toujours à toucher des cibles communistes. Lisons à nouveau le groupe Bakounine : "Le coup d'Etat de Krasuselski a démontré une fois de plus que toute velléité d'organisation autonome, même majoritaire dans un pays est systématiquement réprimée par le pouvoir", "nous n'avons aucun lien avec Action Directe.

Nous regrettons seulement que la séparation artificielle de ce monde se soit produite chez eux, et que leur alignement idéologique les ait amenés à rejoindre dans leurs luttes unilatérales (anti-USA, anti-sioniste), les organisations combattantes européennes marxistes-Léninistes" ("Libération" 15 février 1983).

Entre décembre 1981 et décembre 1984, soit en trois ans, le groupe est responsable de 18 attentats (15 à Paris ; 1 à Issy-les-Moulineaux, 2 à Toulouse) qui auront lieu la nuit ou à l'aube : la volonté de ne pas blesser ou tuer est évidente.

Propagande armée donc mais refus ou impossibilité de passer à la guérilla urbaine. Les campagnes d'attentats toucheront quasi exclusivement des sociétés commerciales. (voir chronologie des attentats). Dans son idéologie et ses cibles, le groupe Bakounine est fort proche du C.L.O.D.O. et des autres groupes anarchistes toulousains.

Toulouse est le berceau des G.A.R.I. et d'Action Directe. Depuis le début des années quatre-vingts, divers groupes anarchistes ont revendiqué plusieurs dizaines d'attentats par explosifs (commis à Toulouse et dans sa banlieue) qui, s'ils ont parfois des conséquences matérielles importantes, ne feront aucune victime. A peu près chaque fois, la revendication est faite au nom d'un "groupe" qui relève plus du gag que de l'organisation politique

- P.O.L.I.C.E. : parti ouvrier libertaire internationaliste estudiantin.
- P.A.R.A. : pour des actions résolument anti-militaristes.
- L.A.S.E.R. : les anonymes sans étiquette réelle ; laissez aller sabotage et rébellion ; les autorités sont encore ridiculisées.
- B.A.D.I.N.T.E.R. : bombeurs anonymes pour la défense des incarcérés très excités par Robert.
- G.R.E.V.I.N. : groupe révolutionnaire des enragés et vindicatifs, irresponsables et nuisibles.
- G.I.G.N. : groupe d'intervention de la gauche antinucléaire.
- E.D.F. : expression du futur.
- G.A.A. : groupe d'action anarchiste.
- Arrêt - curés.
- S.C.A.L.P. : section carrément anti-Le Pen etc...

Les cibles visées par ces groupes : l'Église, l'Armée, la Justice, la Police, le Nucléaire, le Patronat, l'extrême droite, la Presse, le fichage informatisé ou manuel.

Un groupe s'est particulièrement distingué, entre 1980 et 1983, le C.L.O.D.O. : comité liquidant ou détournant les ordinateurs. Spécialisé dans la destruction d'ordinateurs, le C.L.O.D.O. est mu par la peur du "flicage informatique" : l'informatique qui fiche, surveille, crée du chômage, maximise les profits, paupérise les rejetés, renforce le centralisme et le pouvoir. Ce n'est d'ailleurs pas tant l'outil qui est redouté que sa destination actuelle perçue comme nocive. L'urgence et la gravité du fléau impose alors des actions concrètes de destruction.

 retour | suite