La dimension internationale des posses

Etats-Unis : Légaux ou clandestins, il y a aujourd'hui 500 000 jamaïquains dans le grand New york. Durant la décennie 80-90, 215 000 jamaïquains ont émigré légalement aux Etats-Unis. Une population dans laquelle les criminels se dissimulent facilement - et sur laquelle ils vivent. Aux Etats-Unis, les ± 5000 victimes des yardies sont en grande majorité leurs propres compatriotes. L'émigration massive des posses vers l'Amérique remonte à 1980. Après le carnage des législatives de décembre, gagnées par Seaga, les gangs perdants du PNP, s'enfuient aux Etats-Unis, où, en 1985-86, ils sont les pionniers du commerce du crack - importation, gros, demi-gros - parfois même détail.

Etonnant : ce n'est qu'en 1985 que les autorités fédérales américaines s'avisent du débarquement des yardies. Alors qu'il y a déjà 20 posses aux Etats-Unis, aux effectifs globaux de 10 000 "tribal gunmen" - déjà coupables de plus de 1500 meurtres. A New York, Shower, Spanglers, Jungle et Dunkirk sont de vraies armées d'un millier de soldats et cadres d’autant plus aguerris, qu’ils ont survécu à la guérilla des ghettos de Kingston.

C'est le déchainement de la guerre du crack qui réveille l'Amérique. En 1985, un document du ministère de la Justice définit les posses comme "la société criminelle étrangère la plus meurtrière, la plus impitoyable a avoir jamais pénétré les Etats-Unis". En 1987, la première grande rafle anti-posses montre une implantation effective des gangs jamaïquains dans 11 des plus grandes villes du pays (1)  . En matière de stupéfiants, ce sont plutôt des multicartes, vendant aussi bien la ganja que l'héroïne, le crack ou la cocaïne.

Le projecteur est désormais braqué sur eux, mais les posses continuent à s'implanter en Amérique jusqu'en 1990, année où la répression les frappe de plein fouet. Le FBI constate alors que les yardies sont présents dans 21 Etats américains (2). Malgré leur violence, ils s'allient au coup par coup avec des gangs panaméens ou nigérians; ici avec une triade (Houston, Texas), là avec des gangs juvéniles américains (Dunkirk de Los Angeles avec des Crips locaux).

Depuis 1990, la répression, le retour en force de puissants cartels rivaux (mexicains, colombiens, etc.), ont conduit les yardies à plus de discrétion, de prudence. Les posses ont éclaté en unités réduites, mieux intégrées - plus américaines. Elles ne sont pas devenues moins violentes, ou moins dangereuses, pour autant.

Canada : A la fin des années 80, la répression est plus dure pour les yardies aux Etats-Unis. Certains émigrent alors en Grande-Bretagne et au Canada. Dans ce dernier pays, les posses progressent très rapidement vers l'ouest : en septembre 1992, c'est à Calgary, Alberta, qu'un premier policier canadien est assassiné par un yardie - au grand émoi de l'opinion publique. Dave Anthony Lawes, 25 ans, vient juste d'arriver au Canada. Ex-policier jamaïquain révoqué pour corruption, recherché pour meurtres, il s'offre un 357 magnum et se met à la vente du crack. Puis abat, insouciant, façon Kingston, le premier policier qui l'interpelle. Selon un témoin, Lawes contemple l'homme agonisant à ses pieds, puis repart calmement. Arrêté peu après, il tente encore de s'emparer de l'arme d'un policier qui le ceinture.

A Montréal, 4 posses se partagent en 1995 le marché du crack : “Grand Massive” (± 60 membres), “Walkey Crew” (± 25 membres), “Uptown” (30-40 membres), “Bronx Massive” (20-30 membres). La même année, on signale 6 posses dans l'agglomération de Toronto. Les trois plus importants sont le “Strikers”, le "Jungle Massive" et le “Regent's Park posse”; qui ont le monopole local du deal de crack.

Grande-Bretagne : Octobre 1993, à Clapham, au sud de Londres. Patrick Dunne, "bobby" ordinaire - donc désarmé - arpente Cato road - quand trois yardies le criblent de balles, en plein jour, en pleine rue, sans raison apparente, et continuent paisiblement leur route en riant, arme au poing. Les trois meurtriers n'ont jamais été arrêtés. L'affaire indigne l'opinion publique, mais ne marque pas le début de l'implantation britannique des posses : les premiers assassinats qu'on leur attribue à coup sûr remontent à 1986. L'année suivante Scotland Yard signale pour la première fois les yardies comme une "mafia noire" menaçante, implantée à Birmingham, Bristol, Nottingham, Sheffield - et dans le grand Londres.

Baptisé "operation Lucy", un travail policier pointu est conduit en 1988 sur le narcotrafic des yardies. Il révèle l'existence en Grande-Bretagne de ± 200 gangsters jamaïquains agissant en bandes; la plupart sont jeunes, clandestins, munis de faux papiers d'identité. Depuis, les informations confirment régulièrement la violence de yardies bien présents sur le marché britannique des stupéfiants.

. 1991 : le crack arrive à Oxford (27 000 étudiants). En mars 1994, la police arrête un yardie, Kenston McIntosh, qui vend, 200 f. le "caillou", pour ± 110 000 francs de crack par semaine dans la grande ville universitaire anglaise. En 1994, trois autres dealers jamaïquains de crack sont arrêtés à Oxford.

. Mai 93, à Nottingham : 3 yardies attaquent arme au poing une soirée musicale organisée dans un entrepôt désaffecté. Un gangster tire une balle dans le pied d'un des ± 100 jeunes noirs présents, pour effrayer les autres, dépouillés ensuite de tous leurs objets de valeur. L'un des agresseurs est Rohan Thomas "Colonel Bumpy", immigrant clandestin venant de purger à Kingston 14 ans de prison pour le meurtre d'un policier. La justice de son pays estime qu'il a une bonne dizaine d'autres cadavres sur la conscience...

. Juin 1993, Brixton : Christopher "Tuffy" Bourne, yardie de premier rang est criblé de balles en pleine rue par trois tueurs d'un gang rival.

Aujourd'hui, la police britannique estime à 3-400 le nombre de yardies "tournant" régulièrement entre Kingston, Londres et New York. Ces deux dernières années, des guerres entre posses ont fait 18 morts de Brixton à Harlesden, leurs fiefs du sud de Londres...
 
 

(1) La rafle est effectuée par le Bureau of Alcohol, Tobacco & Firearms (ATF), dans les villes suivantes : New York, Miami, Boston, Philadelphie, Cleveland, Dallas, Denver, Detroit, Kansas City, Los Angeles, Washington DC.
(2) Californie, Caroline (nord et sud), Connecticut, Dakota (nord & sud) Delaware, Floride, Idaho, Iowa, Minnesota, Montana, Nebraska, New York, Ohio, Rhode Island, Tennessee, Texas, Washington, Wisconsin, Wyoming. Les Posses contrôlent 30 à 35 % du marché du crack à New York et Philadelphie, 70% à Washington DC.
 

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