"Instructions pour une prise d'armes" ou le goût du travail bien fait

"L'insurrection est un art"
K. Marx et F. Engels

Alain Paucard Louis Auguste Blanqui(1)  (1805-1881) était, pour les défunts historiens soviétiques "un des représentants les plus intéressants du communisme utopique prémarxiste français et du mouvement révolutionnaire français"(2) . C'est sans doute en pensant à des militants comme lui que Staline, avec sa vision synthétique, évoquait ces "chefs prolétariens, chefs des temps d'orage, chefs du travail pratique, pleins d'abnégation et d'audace, mais faibles en théorie"(3). Blanqui était certes communiste, mais il rédigea tout de même ses mémoires sous le titre de Ni Dieu, ni Maître.
 
Blanqui se situait lui-même dans la tradition de Babeuf (1760-1797), le communiste "utopique" de la Conjuration des égaux. Rien d'étonnant à ce que, comme son inspirateur, il fut plus un conspirateur qu'un "organisateur du prolétariat". La conspiration mène à tout, à condition de sortir ... de prison. Il fut surnommé "l'enfermé" car il y passa trente ans, en trois fournées. La première après une insurrection le 12 Mai 1839, la deuxième après son coup de force à l'Assemblée nationale, le 15 Mai 1848 (arrestation le 28) et la dernière, suite à coup de main contre l'Hôtel de Ville de Paris le 31 octobre 1870, après le coup d'état républicain du 4 septembre, mais avant la Commune. On peut donc affirmer que Blanqui loupa magnifiquement les "rendez-vous historiques" de Juin 1848 et de Mars 1871. Un psychologue nous renseignerait peut-être sur les raisons de ces actes manqués.
 
Tocqueville a des mots très durs pour Blanqui. Dans ses Souvenirs, à la date du 15 Mai 1848, il décrit un homme "dont le souvenir m'a toujours rempli de dégoût et d'horreur. Il avait des joues haves et flétries, des lèvres blanches, l'air malade, méchant et immonde, une pâleur sale, l'aspect d'un corps moisi, point de linge visible, une vieille redingote noire collée sur des manches grêles et décharnées. Il semblait avoir vécu dans un égout et en sortir."
 
Marx est nettement moins sévère. Dans La guerre civile en France, il affirme : "La Commune, à maintes reprises, avait offert d'échanger l'Archevêque et tout un tas de prêtres par-dessus le marché (Sic -AP) contre le seul Blanqui, alors aux mains de Thiers. Thiers refusa obstinément. Il savait qu'avec Blanqui, il donnerait une tête à la Commune ; alors que c'est sous forme de cadavre que l'Archevêque servirait au mieux ses desseins."
 
Cet hommage de Marx n'empêcha pas les communistes "scientifiques" de coller l'infamante épithète de "blanquiste" à tout homme, ou groupe, effectuant un coup de main "sans préparation" et "en se coupant des masses". Or, nos chers disparus, oublient qu'ils ont souvent eux-mêmes, joué au blanquisme. Citons en vrac : l'insurrection de Hambourg en 1923, la lutte armée au Brésil en 1937, l'attaque de la caserne de la Moncada par Fidel Castro en 1953, le tourisme mortel de Che Guevara en Bolivie en 1967, etc. Il est vrai que Guevara correspond également à la définition de Staline citée plus haut.
 
Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il est blanquiste. C'est ce qui arriva à André Marty, exclu du parti communiste en 1953, après un rapport "accablant" de Roger Garaudy intitulé Le néo-blanquisme de Marty. L'ironie dernière fut que le Centre d'Études marxistes du PC fut longtemps domicilié boulevard Blanqui, dans le XIIIè arrondissement de Paris...
 
Instructions pour une prise d'armes revient sur une idée reçue, à savoir que les boulevards parisiens ont été percés pour réprimer les insurrections. Or, Blanqui exulte : "Si la troupe y circule avec plus d'aisance, par contre elle y est exposée fort à découvert". Après avoir ronchonné contre "l'invasion du macadam", ce qui est bien compréhensible quand le pavé est la matière première des barricades, il se livre à une apologie des insurgés "supérieurs à l'adversaire par le dévouement", "l'avantage moral" et "la conviction". Ce point est de la plus haute importance et deviendra un des leitmotiv de la propagande révolutionnaire, pour terminer en apothéose au Vietnam dans les années 60-70.
 
Instructions témoigne également d'une mentalité disparue et l'on ne vous en voudra pas de la rappeler avec la nostalgie adéquate : ce ces temps-là, l'ouvrier parisien aimait "la belle ouvrage".

(1)  Les manuscrits d’Auguste Blanqui sont déposés à, la Bibliothèque Nationale, notamment les Instructions pour une prise d'armes que l'archiviste et historien Georges Bourgin date de la fin de 1869.
(2)  Préface à Blanqui. Coll. Classiques du peuple. Éditions sociales.
(3)  in Lénine, organisateur et chef du Parti communiste de Russie (23/IV/1920)

 

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