L'armée de la RSFY

L'outil de défense de la Yougoslavie titiste (RSFY), devenu pour sa plus grande part celui de la “IIIème Yougoslavie” (République fédérale de Yougoslavie, RFY) n'était pas à l'époque - et n'est toujours pas - une armée classique. Par “classique” nous entendons une armée constituée pour mener une guerre de front, suivant les stratégies du combat aéro-terrestre moderne et ayant pour mission première la défense des frontières nationales. Au contraire, toute une série de motifs idéologiques, géopolitiques, mais aussi l'expérience personnelle des stratèges yougoslaves, ont fait de l'armée yougoslave (JNA) un instrument de dissuasion tous azimuts, conçu pour mener une “guerre populaire” prolongée et décentralisée, ayant pour doctrine la “Défense populaire généralisée”(DPG).

Idéologiquement, cette force de défense populaire s'inspirait au moment de sa conception d'un ancêtre mythique : “Ce n'est pas par hasard, déclare le général Nikola Ljubitchitch, architecte de la DPG(1)   que le premier décret de la Commune de Paris fut l'abolition de l'armée régulière, ce pilier de l'Etat bourgeois et son remplacement par le peuple armé”. Mais la véritable impulsion derrière la rapide mise en place de la DPG à l'automne 1968 est le traumatisme qu'a constitué pour Tito et les dirigeants de la JNA, en août de cette année-là, l'invasion de la Tchécoslovaquie. Enfin, officiers et cadres de la JNA ont tous fait leurs premières armes dans la guerre de libération de leur pays, au cours de laquelle et durant plus de trois ans, les Partisans ont virtuellement réussi à paralyser 30 divisions de l'Axe, dont plusieurs, parmi les plus redoutées, de la Waffen-SS.

Face à l'Armée soviétique, pensent alors les dirigeants yougoslaves, face à son énorme aviation de transport et sa pléthore d'hélicoptères, face à la grande mobilité de ses unités terrestres, la défense des frontières est un concept périmé. Mieux vaut maîtriser le sanctuaire national dans sa profondeur et y faire agir de façon décentralisée, en s'appuyant sur les 11 640 communes et les 502 cantons du pays, de petites unités équipées d'armes anti-chars légères, d'une artillerie abondante et de réserves dissimulées dans les montagnes. Les structures décentralisées de la JNA, elles, disloqueront les grandes unités de l'ennemi en pratiquant une version modernisée de la guerre de Partisans(2)  , ou techno-guérilla. Elles auront, pour ce faire, le temps pour elles, face à un adversaire pressé par la nécessité de respecter son plan de campagne.

Depuis 1968, la DPG, cette “stratégie totale pour une défense totale” a été constamment amendée par la direction de la JNA. Qui lui a même adjoint, si l'on en croit des textes dans lesquels la chose est certes abordée à mots couverts, un outil terroriste extérieur. Cet instrument de “stratégie indirecte” et de “guerre spéciale” aurait pour mission de mener hors des frontières du pays des opérations de terrorisme et de sabotage, destinées à effrayer et désorganiser l'agresseur d'abord et à le punir ensuite (“affaiblir un Etat en s'appuyant sur les forces de l'intérieur”). En termes clairs, sur des éléments de l'émigration yougoslave dans ledit pays... L'existence de tels outils contraint à prendre au sérieux les actuelles menaces des dirigeants serbes, de recourir, en cas d'attaque occidentale, au terrorisme et au sabotage en Europe.

En 1990, le budget de défense yougoslave s'élevait à 1,3 milliard de dollars (dollar valeur 85).
L'armée comptait - 170 000 hommes d'active dont - 100 000 conscrits. Elle disposait de 1 850 chars d'assaut dont 300 modernes ainsi que de 1 400 transports de troupe blindés; d'une artillerie de 1 800 pièces lourdes et moyennes (800 modernes, dont 100 batteries lourdes); de 450 avions dont - 20 MiG 24 modernes et - 100 MiG 21, ainsi que de 80 hélicoptères; 21 rampes de lancement de Scuds; de nombreuses batteries de missiles sol-air Sam 6, 7, 9, 13. Plus des milliers de canons, de mortiers légers et de lance-roquettes à tubes multiples. Enfin, selon des sources fiables, la JNA disposait à l'époque et pour toutes ces armes, d'énormes stocks de munitions et de pièces de rechange. Depuis, la nouvelle “Armée fédérale” semble avoir réduit ses effectifs à - 135 000 hommes, mais aurait conservé l'essentiel du contenu des arsenaux de la JNA  pré-1991.

  Forces armées terrestres et aériennes des différents Etats issus de l’ex-Yougoslavie
(Estimations recoupées par l’Institut International d’Etu-des stratégiques de Londres, septembre 1992)

REPUBLIQUE FEDERALE DE YOUGOSLAVIE :
 

Soldats d'active 135 00
dont conscrits 44 500
réservistes 400 000
   
Chars lourds 1000
Véhicules blindés de transport de troupes (VBTT) : 950
Artillerie tractée : 1000 pièces
(+ artillerie auto-motrice, missiles sol/sol et sol/air)
   
Force aériennes : 
Avions de combat :
480
Hélicoptères armés :  136
 

REPUBLIQUE DE CROATIE
 
 

Soldats d’active :  105 000
Réservistes :  100 000
   
Chars lourds :  200
VBTT : 
(+ artillerie et missiles sol/air portables)
200
Pas d’avions de combat
 BOSNIE-HERZEGOVINE
 
 
Milices serbes :  67 000 hommes 
300 chars lourds 
180 VBTT 
480 pièces d’artillerie 
 
Milice bosniaque :  de 30 à 50 000 hommes
Milice croate :  50 000 hommes
 

SLOVENIE
 
 

Soldats d’active :  15 000
Réservistes :  85 00
   
Chars lourds :  120 
VBTT :  20
(+ artillerie et missiles sol-air portables)
 MACEDOINE
 
 
Soldats (prévus) :  20 000
Réservistes :  80 000
(pas d’armement lourd, 
pas d’avions ni d’hélicoptères)
 

(1) “La Défense populaire généralisée, stratégie de la paix”, Belgrade 1981
(2) Dès 1959, la JNA a créé 125 brigades de Partisans, opérant sous la direction de l'état-major général.

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