Le réveil du terrorisme

Mais si chacun s'efforce aujourd’hui d'éviter que les affrontements communautaires yougoslaves ne tournent au conflit régional majeur, une autre forme de guerre fait déjà rage dans la région : celle qui privilégie les stratégies indirectes et l’emploi du terrorisme. Elle commence même à se répandre sur le territoire de la Communauté économique européenne. Le 7 juin 1992 en effet, trois jeunes hommes de nationalité croate ont été arrêtés à Milan, en possession de plusieurs kilos d’explosif.
Dans leur voiture, une carte de la ville, où la prison San Vittore était encerclée au crayon. Ces trois hommes avaient-ils un objectif “politique” ? S'agissait-il de mercenaires d’un groupe criminel organisé ? Ils sont restés muets mais désormais, quelle qu’en soit la raison, les pays de la CEE doivent se préparer à faire face à des “bavures” de la guerre aujourd’hui “Yougoslave” ; peut-être, demain, balkanique.

Cette poussée vers l’Europe était inévitable : pour qui veut y voir clair, les affrontements dans l’ex-Yougoslavie sont depuis l’origine rigoureusement comparables à la première phase (1975-1978) de la guerre civile libanaise :

- création sur place de milices “mi-politiques”, “mi-Grandes compagnies” portant des noms ronflants tirés du folklore balkanique : “Escadrons de la Mort”, “Tigres”, “Main noire”, “Aigles blancs”, “Vengeurs”, “Cagoules noires”, etc. multipliant, en l’absence de toute autorité, pillages, dynamitages de bâtiments, torture de civils et meurtres(1)  .

Certaines de ces milices, dont il sera question plus loin en détail, rappellent d’ailleurs aux historiens de sinistres souvenirs. Le 15 mai 1992 par exemple, Makedonia journal officieux de la Macédoine-Skopje repris par l’agence russe Novosti, a annoncé que l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne - sans doute le pire des groupes terroristes de l’entre-deux-guerres(2)  - ressuscité en 1990 sous la forme d’un parti “démocratique”, se dotait de “Comités de sécurité”. Ces “organes de protection” forts selon l'ORIM de 100 000 hommes, sont implantés “dans toutes les villes et villages de Macédoine yougoslave”, puis, dès que cela sera possible, “partout où il y a des Macédoniens dans les Balkans”...

- entrée dans le jeu d’éléments criminels émigrés, Serbes, Croates, Albanais etc., notamment en Allemagne, pays qui compte près d’un demi-million de ressortissants de l’ex-Yougoslavie. Au sein de ce “milieu”, des bandes naguère spécialisées dans le racket des discothèques, le vol des véhicules de luxe, la falsification des chèques et cartes de crédit, se sont lancées dès 1990 - fibre patriotique ?
Appât du gain ? - dans des trafics de drogue et d'armes de guerre destinées aux milices, eux aussi typiquement “libanais”.

- démarrage sur le théâtre d’opérations d’un terrorisme local de provocation, encore maladroit et peu sophistiqué. En voici les principales manifestations :
Août 1991 : A Hercegovni, Monténégro, deux militants islamistes, Ibrahim Dervissevic (34 ans) et Mehda Kulovic (28 ans) sont déchiquetés dans leur voiture par la bombe qu’ils transportaient.

. A Zagreb, Croatie, deux bombes dévastent le cimetière juif de Mirogoj; une autre explose devant le centre communautaire juif de Croatie. Provocation serbe ?

Octobre 1991 : à Podgorica (ex-Titograd, Monténégro), attentat à l’explosif (dégâts importants) visant la mosquée et les locaux attenants du Conseil islamique de Yougoslavie.

Février 1992 : à Odzak (nord de la Bosnie), le réfé-rendum sur l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine étant prévu à la fin du mois, attentat à la bombe devant le centre culturel croate ; 15 blessés, 3 dans un état critique.

Mars 1992 : à Banja-Luka, attentat par explosif contre une mosquée. Dégâts importants.
. A Vinkovci, (est de la Croatie) attentat à la bombe visant le siège du Parti croate du Droit (HSP, nationaliste) et son président, Droboslav Paraga, qui est indemne. Le HSP dispose d’une milice, le HOS forte, selon elle, de “plusieurs milliers de combattants”. 2 morts, 5 blessés, un bâtiment détruit.
D’où l’activisme des puissances - ”grandes” et “régionales”- proposant tour à tour leur solution et tentant toutes d’imposer des cessez-le-feu. Selon le scénario libanais, elles devraient, écoeurées, finir par se désintéresser de l’affaire; puis se trouver entraînées à nouveau dans le guêpier, par le biais d’attentats et autres “messages” émanant de la région embrasée.

(1) En Croatie, Pour l’année 1991.: assassinats : +.178%; attentats par explosif.: +.114%.
(2) Voir p..140.

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