Y aurait-il de «bons» terroristes ?

François Haut

Dev. Sol colle librement des affiches sur les murs de Paris et assassine à Istanbul— Le PKK est officiellement représenté en France et pratique la «lutte armée» en Turquie— L'Armée secrète arménienne pour la libération de l'Arménie, renaissante, revendique son premier attentat en huit ans, contre un diplomate Turc— Depuis Paris ! Le point commun entre ces mouvements ? Ils combattent la Turquie, parfois ensemble, comme le PKK et l'Asala en Anatolie orientale.

Terroristes incontestables au dehors de nos frontières (bombes dans des supermarchés, mitraillages d'autobus en pleine rue—), ces groupes violents jouissent en France d'une étonnante considération : on abrite ces ennemis actifs de la Turquie sur notre sol, on les fait profiter de notre droit d' «asile» : serait-ce de «bons» terroristes ?

Pourtant, notre pays est signataire de diverses conventions internationales destinées à combattre le terrorisme, quel que soit sa nature. Pourtant, le pouvoir judiciaire français agit activement pour faire condamner ceux qui ont provoqué l'attentat contre le DC10 d'UTA ; ce débat dépassant largement nos frontières. Pourtant, l'émotion soulevée par l'arrivée de Georges Habbache à Paris, il y a quelque temps, était extrême.

Pourquoi alors cette ambigüité, peut-être même, pour certains, cette complicité ? Il ne s'agit plus seulement ici d'affinités intellectuelles avec un quelconque mouvement de libération ou une organisation révolutionnaire idéaliste : il s'agit de soutien, d'aide, de protection même, à des groupes combattants dont la violence est avérée, massive, habituelle, comme l'exposent les textes qui suivent.

Pourquoi ce comportement de la France vis-à-vis d'un pays allié ?

Durant la guerre du Golfe et depuis les élections du 20 octobre 1991, la Turquie a clairement opté pour la transition démocratique en donnant l'exemple du réalisme et de la maturité politiques. Mais si son régime semble solide, il est manifeste que la forte poussée islamique doublée de manifestations terroristes ne peuvent, à terme, que le fragiliser. Or aujourd'hui, ce pays constitue un enjeu régional, à la fois facteur de stabilité économique et de résorption des tensions politiques. Et cela, la France ne peut l'ignorer.

L'amitié entre nos deux pays est ancienne : on se souviendra, par exemple, de l'affinité entre nos deux systèmes juridiques - ne serait-ce qu'à travers le concept de Conseil d'Etat. Un modèle économique désormais plus libéral, comme l'ouverture du pays aux capitaux étrangers ou le programme de privatisations, devraient encore resserrer ces liens. Les chiffres montrent d'ailleurs que les échanges entre la France et la Turquie sont en hausse croissante : 8,1 milliards de francs en 1988 pour 12 en 1990; les deux pays sont réciproquement 4ème fournisseur et 4ème client.

Qui plus est, depuis l'atomisation de l'empire soviétique, la Turquie est désormais la puissance régionale, fédératrice d'un marché de libre-échange de la mer Noire. Elle a lancé en 1989 l'idée de cette zone de coopération économique, qui s'est formalisée le 3 février 1992 lors de la réunion à Istanbul de neuf représentants de pays riverains auxquels se sont ajoutés ceux d'Arménie et d'Azerbaïdjan. Le développement économique de la Turquie lui permet de jouer un rôle prépondérant dans cette entreprise.

Elle bénéficie d'un atout pour réussir : la communauté de langue. La plupart des peuples d'Asie centrale - 150 millions de Kazakhs, Khirghiz, Ouzbeks, Turkmens, Yakoutes - sont turcophones : un territoire qui s'étend jusqu'au Xinjiang et comprend une grande partie de l'actuelle "zone grise" asiatique. A l'exception de minorités chi'ites et persanophones, ces peuples, majoritairement sunnites hanéfites, sont naturellement tournés vers la Turquie et semblent favoriser l'économie de marché et la laïcité sur fond d'Islam. Ne se considèrent-ils d'ailleurs pas comme des «républiques Turques», selon les termes du Président Kirghiz Askar Akaiev, qui voit en la Turquie «l'étoile qui guide leurs pas—» ?

Face à l'Iran encore révolutionnaire, mécène de tant d'actions violentes, la Turquie est bien un élément d'ancrage, favorisant autour d'elle stabilité politique et développement économique, selon des schémas qui ne sont pas éloignés des notres et peuvent offrir à terme alliances et débouchés.

Nous avons pris dans cette revue le double parti de toujours souligner la réalité, qui seule a de la valeur et de contribuer, par nos études, à la lutte contre le terrorisme, d'où qu'il vienne. Voilà pourquoi, entre des groupes qui ne connaissent que la violence et une puissance émergente, de surcroît proche de la France, nous disons qu'il est temps de choisir.
 

 

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