JORDANIE


Nom officiel: Royaume hachémite de Jordanie
Continent: Asie
Superficie: 89 200 km2 (y compris Cisjordanie)
Population: (1989) 2, 95 M. d'h.
Capitale: Amman ( 850000 h.)
PlB/h: (1986) $ 2330

Régime: monarchie
Chef de l'État: roi Hussein de Jordanie
Chef du gouvernement: Mudar Badran
Ligue arabe: oui (1945)
Organisation de la conférence islamique: oui
Liens avec la République islamique d'Iran: non

% de non-musulmans: 10%
- ventilation: dont 80% de chrétiens
% de musulmans: 90% dans l'ensemble
- vent. /100: sunnites shaféites dans l'ensemble



Osons-le dire d'emblée: à notre connaissance, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Frères musulmans de Jordanie n'ont jamais revendiqué ni commis un seul acte de violence politique. En avril 1989, la seule fois où la main des islamistes a été perceptible dans des émeutes - au départ spontanées, mais qu'il a fallu organiser, élargir, faire durer - tous les morts ont été du côté des manifestants.

Mieux: pendant près de quarante ans, jusqu'à l'automne de 1985 en tout cas, les Frères jordaniens ont fait preuve d'une complète fidélité à l'égard de Hussein Bin Talal, un Hachémite, un descendant de Mahomet dont la famille a été pendant des siècles et jusqu'au début du XXe gardienne des Lieux saints de La Mecque et Médine.

A chaque crise grave du royaume - en 1957 avec la gauche, en 1967 avec l'invasion israélienne et la perte de la Cisjordanie, en 1970 avec les Palestiniens - les Frères ont collé à Hussein. Et pour cause: après l'interdiction des partis politiques en 1957, ils ont pu continuer de fonctionner sans trop d'encombre comme association de bienfaisance. Une situation précieuse, unique même dans le monde arabe.

Il y a cependant des raisons de s'intéresser aux islamistes jordaniens. Tout d'abord en raison de la particulière vindicte des Iraniens, prêts à aller très loin pour abattre celui qu'ils appellent le "chah Hussein". Non sans raison, d'ailleurs: Hussein a été jusqu'au bout un fervent défenseur du chah d'Iran; se rendant même trois fois en voyage officiel à Téhéran en 1978 dans l'espoir de renforcer un pouvoir aux abois. Dès le début de la guerre Irak-lran, Hussein a pris le parti de Saddam Hussein et l'a totalement soutenu jusqu'au dernier jour du conflit. A la grande indignation de Téhéran - mais aussi des islamistes jordaniens - observant que les baasistes irakiens avaient renversé dans le sang, en juillet 1958, la monarchie d'Irak, mettant littéralement en pièces, dans les rues de Bagdad, le roi Fayçal, un parent de Hussein, son Premier ministre Nouri Saïd et des dizaines de leurs partisans.

Ensuite parce que à côté des Frères existent des mouvements comme le Parti de la Libération islamique-Wilaya de Jordanie (voir Palestine, p.170 et s.) et Takfir wa'l Hijra-Jordanie, (voir Egypte, p. 85 et s;), dont on a vu qu'ils agissaient volontiers à l'abri d'organisations plus vastes.

Enfin parce que les Frères jordaniens, s'ils sont eux mêmes pacifiques, ont fourni depuis plus de dix ans une aide considérable à des mouvements redoutables, comme les Frères musulmans de Syrie, ou encore HAMAS et le Jihad-Beit ul-Moqaddas de Palestine.

L'association des Frères de Jordanie existe depuis 1946 et est dirigée depuis 1948 par Mohamed Abdurrahman al-Khalifa, un disciple de Hassan al-Banna, par ailleurs vice-président du comité exécutif de l'organisation supranationale des Frères.

En Jordanie, le renouveau islamique a été tardif et ne devient manifeste qu'à la fin des années 70. Deux grands événements le nourrissent et le précipitent. La Révolution islamique d'Iran, tout d'abord, dont les débuts sont suivis avec beaucoup de passion par les Frères de Jordanie. Début 1979, cheikh Khalifa - moins prudent que ses Frères égyptiens, attendant l'installation définitive de l'Imam Khomeini au pouvoir pour exprimer leur soutien -envoie un message à Chahpour Bakhtiar, lui enjoignant de se retirer et de laisser la place à un gouvernement islamique.

Ensuite, la lutte et le martyre des Frères de la Syrie voisine (voir Syrie, p. 194 et s.). Dès le milieu des années 70, les Frères de Jordanie accueillent et entraînent dans des camps plusieurs centaines de cadres islamistes syriens - Amman fermant pudiquement les yeux. Pendant la longue crise jordano-syrienne, qui s'étend de 1979 à 1985, les Frères jordaniens et syriens sont le bras armé de la stratégie indirecte de Hussein; comme les groupes d'Abou Nidal et d'Ahmed Jibril, celui de Hafez al-Assad.

Mais, en 1985, changement brutal de décor pour les Frères jordaniens. Sans qu'ils aient rien entrepris d'hostile contre le roi, celui-ci entreprend de les sacrifier à sa nouvelle politique: une alliance avec Arafat; l'autonomie de la Palestine dans une confédération jordano-palestinienne. Pour cela, un nihil obstat de Hafez al-Assad - martre ès-sabotages de plans de paix - est indispensable. En novembre, prélude à sa visite de la fin de l'année à Damas, Hussein apparaît à la télévision; déclare que sa bonne foi a été surprise et qu'il a réchauffé des vipères en son sein. Il fait appréhender et expulser sur Damas plusieurs centaines de Frères syriens, les envoyant ainsi à la mort.

En même temps, une loi est votée à Amman, interdisant de politiser les sermons dans les mosquées. Fin décembre, à l'occasion de sa visite à Damas, Hussein, de façon humiliante pour lui, prie Hafez al-Assad de l'excuser d'avoir donné asile et aidé les FM syriens les années précédentes.

Est-ce assez pour réduire les Frères au silence et à l'obéissance ?

Non. Il est trop tard. Les Frères décident de mettre un terme à leur politique de complaisance envers le pouvoir et, tout en respectant la personne du roi, entrent dans l'ère du défi;, de l'opposition, voire de la confrontation. Dès 1980, d'ailleurs, cheikh Khalifa laissait entendre que la souplesse des Frères avait des limites: "Le gouvernement peut censurer nos publications, mais il ne peut nous interdire de parler. S'il tente de fermer nos locaux, nous irons dans les mosquées, qu'il ne pourra sûrement pas fermer." (The Times, 8 décembre 1980). Hussein, comme c'est souvent le cas avec les hommes politiques, a négligé les subtils avertissements des Frères, et n'a retenu de leurs discours que ce qu'il voulait bien entendre.

Au printemps de 1986, des émeutes éclatent dans les deux universités de la ville d'Irbid, où les islamistes sont puissants. Elles sont durement réprimées: 6 morts, 800 arrestations. Là aussi, la politique de la main de fer vient trop tard.

Car depuis la fin du boom pétrolier de 1981, la situation économique ne fait qu'empirer en Jordanie, pays qui vit indirectement - émigration, commerce, subsides - de l'argent du pétrole. En 1986, le chômage et l'inflation galopent et la Jordanie est le deuxième pays au monde pour sa dette par habitant - derrière Israël. Classes moyennes désabusées, masses misérables s'entassant à la périphérie des grandes villes, étudiants sans avenir: proliférant sur leur terreau de prédilection, les Frères sont d'ores et déjà le premier, et de loin, des mouvements populaires du pays.

En juillet 1988, le roi, que la perspective de voir l'Intifada s'étendre à son pays terrifie, rompt tout lien administratif avec la Cisjordanie. Contrecoup: en octobre, le dinar perd brutalement 40% de sa valeur.

En avril 1989, des émeutes éclatent dans le sud du pays - fief des bédouins, le pilier de la monarchie -suite à une brusque augmentation des prix; elles s'étendent jusqu'à la ville de Salt, à 30 km d'Amman. Des manifestants jeunes et une police qui réagit mollement; des cris de "Allahou Akbar"; des morts, 10 au moins; une mise en cause de plus en plus ouverte de la cour du roi lui-même -fait nouveau - accusés de corruption. Un scénario connu.

Déjà, Radio Téhéran jubile: "Un mouvement populaire islamique a émergé en Jordanie; cela va entraîner dans un proche avenir des changements majeurs dans la région" (23 avril 1990).

Durant l'été, la deuxième banque du pays est mise sous le contrôle de l'État, au milieu d'une atmosphère de scandale financier. Calmer le pays, retrouver la confiance des financiers occidentaux:

Hussein décide d'organiser des élections en novembre; les premières, en fait, depuis 1967.

La campagne est très libre et très active: plusieurs centaines de réunions se tiennent chaque jour. Les Frères y présentent un programme simple: en résumé, la charia à l'intérieur, le jihad à l'extérieur (contre Israël). Pour les 80 sièges du parlement, 647 candidats dont 12 femmes. Le résultat fait l'effet d'un coup de tonnerre: sur 1 million d'électeurs, 540 000 ont voté, envoyant au Parlement 36 islamistes - 20 Frères, 6 islamistes indépendants et 6 compagnons de route. La gauche laïque et nationaliste-arabe est balayée. Pas une femme n'est élue. Beaucoup de "femmes croyantes" ont en revanche voté pour les Frères. Beaucoup de Palestiniens aussi, en raison de leur intransigeance à l'égard d'Israël. Le chef de la coalition des "indépendants" au parlement est cheikh Mobamed Ibrahim Alawneh, partisan notoire de l'Iran.

Depuis, les FM ont choisi de ne pas participer au gouvernement: leurs exigences - les portefeuilles des Affaires religieuses, de l'Éducation, de la santé et de l'Information - ont semblé excessives.

Mais ils travaillent à l'islamisation de la société civile. Appel au jihad contre Israël en mars; proposition de constituer une "armée islamique", un mois plus tard, et de "détruire les intérêts américains et soviétiques au Proche-Orient" pour cause d'immigration massive de juifs soviétiques en Israël, bien sûr.

En mai, les islamistes ont remporté de façon écrasante 2 élections municipales partielles dans les villes de Zarqa et d'Aqaba, ainsi que 82 des 85 sièges du conseil étudiant de l'université d'Amman, qui compte 17 000 étudiants, dont la moitié de filles. Les années passées, de 30 à 40% de ces dernières portaient le hijab. Elles sont 80% cette année. Autre signe d'islamisation du pays: lors des émeutes qui se sont produites à Amman et à Zarqa, suite au massacre en Israël de 8 palestiniens, fin mai, par un "déséquilibré" israélien, les émeutiers, des Palestiniens pour la plupart, ont attaqué en priorité les débits d'alcool: restaurants, brasseries et distilleries.

Seul et unique échec des Frères: en mai toujours, la gauche et les nationalistes arabes ont remporté largement les élections professionnelles, où l'on choisissait les dirigeants des syndicats.

En juillet, les FM appellent au boycottage économique des Etats-Unis, pour se venger du soutien inconditionnel que ce pays apporte à Israël. Les FM demandent aussi au gouvernement qu'il fasse donner un entraînement militaire à tous les Jordaniens, notamment dans le domaine de la protection contre les armes chimiques et nucléaires.

Dès l'invasion du Koweit par l'Irak, les islamistes jordaniens, toutes tendances confondues, ont apporté un soutien enthousiaste au régime de Saddam Hussein. En août, des manifestations de plus en plus massives sont organisées par les Frères musulmans, dont une de plus de 50 000 personnes au grand stade d'Amman, où les orateurs, en treillis et bandeau vert du martyr au front, appellent au jihad contre les américains les "nouveaux croisés", et le roi Fahd d'Arabie, le "valet des croisés". Détail d'ambiance, sur l'une des banderoles, on peut lire: "Offre d'emploi: on demande des fossoyeurs pour les envahisseurs américains. "

En septembre, les FM louent l'Iran pour sa position dans la crise du Golfe et déclarent faire toute confiance à la direction de la République islamique: "Votre position fraternelle a été accueillie avec fierté et approbation par tous les Croyants sincères de la terre", écrivent les Frères jordaniens à Ali Khamene'i, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani et Mehdi Karrubi.

Quelques jours plus tard, le contrôleur général des Frères jordaniens, Mohamed Abdurrahman Khalifa emmène une délégation de 22 dirigeants islamistes à Riyad, Bagbad et Téhéran. On y trouve notamment Hassan Tourabi (Soudan, FNI), Qazi Hussein Ahmad et Khursid Ahmed Khan (Pakistan, Jama'at), Rachid Ghannouchi (Tunisie, an-Nahda), Mahfouz Nahnah (Algérie), Yassin Abdulaziz (Yémen, FM), Ibrahim Ghoucheh (Palestine, HAMAS) et des dirigeants du PAS (Malaysia), des FM syriens et de mouvements islamistes non spécifiés de Turquie et d'Egypte.

En octobre, un bloc islamiste-nationaliste de 42 députés (sur 80) est formé au parlement et son candidat, Abdelatif Arabyat, leader parlementaire des FM, est élu en novembre président du parlement.

En novembre, les FM obtiennent 90% des sièges aux élections des délégués étudiants.
 

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