NOTES SUR LE TERRORISME ET LA GUERILLA

Terrorismes et guérilla une nouvelle approche juridique ?

François Haut

L'approche que l'on va tenter d'exposer se fonde sur une vision globale du terrorisme posant que, par delà des manifestations diverses, sa finalité est unique.

Car le terrorisme n'est en fin de compte qu'un procédé, une méthode, au service de n'importe quelle cause, mais qui consiste toujours à s'en prendre à l'autorité de l'État en créant l'insécurité des personnes, pour obtenir les résultats qu'il escompte.

Qu'il soit national, nationaliste ou transnational, le terrorisme a pour objectif d'imposer à l'État un comportement politique ou diplomatique visant à amoindrir, voire à détruire sa puissance, à partir de procédés modestes - on parle de guerre du pauvre- amplifiés par l'immense caisse de résonance des médias .

C'est donc en se fondant sur la finalité de l'acte - et non sur son aspect immoral ou sur la réprobation qu'il peut susciter et sans prendre en considération son degré d'intensité, qu'on le qualifiera juridiquement.

On soutiendra, dans cette approche juridique :

- que terrorismes et guérillas urbaines sont aujourd'hui une forme de guerre livrée aux Etats-cibles;
- qu'il existe un droit des conflits armés et que l'on peut appliquer ce droit spécifique.

Ces deux points jalonneront ici notre démarche.

1. : Ce sont des guerres qu'entendent mener les mouvements terroristes

Une précision, d'abord. On a limité cet exposé aux terrorismes et aux guérillas urbaines dans le sens de l'amalgame que fait Marighella dans son mini-manuel où il écrit que : «L'acte de terrorisme... ne se distingue pas des autres actes et actions du guérillero urbain... C'est une des actions pour lesquelles le guérillero urbain doit se comporter avec le plus grand sang froid, le plus grand calme et la plus grande décision.»29.

Mais, si le terrorisme n'est qu'un moyen technique de la guérilla urbaine, le terme a pris, les médias aidant, une telle extension, que nous les utiliserons l'un et l'autre de manière synonyme.

Les autres guérillas - non urbaines- prennent souvent l'allure de conflits armés de plus forte intensité, même si les techniques de combat ne sont effectivement pas conventionnelles, qu'il s'agisse de l'Indochine, de l'Algérie, du Vietnam, des « Focos» dont rêvait Guevara des ou du combat des Contras du Nicaragua ou des Mujahidin d'Afghanistan.

Le terme de guérilla, d'ailleurs, qui apparaît dans le vocabulaire militaire lors de la résistance espagnole contre les troupes de Napoléon, laisse entendre l'idée d'une « petite guerre», mais cependant d'une guerre, qu'il s'agisse d'une guerre de partisans, de résistance, de libération, d'une guerre révolutionnaire, d'une guerre subversive ou autres termes français que l'on trouve fréquemment. La terminologie anglaise utilise les mots de «guerrilla warfare»30, le mot «guerrilla», signifiant le combattant lui-même. La langue allemande utilise, outre les mots de guerilla, celui, parmi d'autres de «kleinkrieg» , encore une fois petite guerre.
C'est donc parce que la guerilla non-urbaine a un caractère de conflit armé beaucoup plus net, et à la fois plus éloigné du terrorisme au sens où on le comprend généralement, que ses divers aspects ne seront pas évoqués ici. Mais cette distinction n'est pas toujours respectée. Les Rhodésiens, par exemple, qui étaient confrontés à une guérilla très organisée, ont toujours qualifié leurs adversaires de terroristes.

Si les références des terroristes, leurs méthodes et leur organisation se rapportent toujours à des actes violents qui laissent supposer l'existence d'un réel conflit, aspects qui feront l'objet d'un premier développement, il s'agit en fait de ce que l'on appelle aujourd'hui des conflits à basse intensité, terminologie de la fin de ce siècle qui désigne les affrontements politiques et que nous serons amenés, dans un deuxième point à définir.

Les organisations terroristes ont des références et des méthodes militaires; elles affirment aussi dans leurs textes la nature militaire de leur action:

Si ce n'est pas le cas de tous les terrorismes ou guérillas urbaines, particulièrement ceux d'origine Moyen-Orientale, les références militaires sont nombreuses pour ce qui est des mouvements européens.

On peut citer l'Armée Républicaine irlandaise (IRA) qui, outre sa dénomination, est sans doute l'organisation la plus structurée, avec des grades, chèrement gagnés, et respectés, et un uniforme que l'on voit plus, bien évidemment, lors des manifestations ou des enterrements que dans les actions de guérilla.

On citera aussi l'E.T.A. «militaire», qui se considère comme une armée de libération combattant en territoire occupé par l'ennemi. D'abord organisée sur le modèle des willayas du FLN algérien, elle utilise, depuis 1985, des auxiliaires chargés des questions d'infrastructure et de logistique, ce qui affecte d'ailleurs les règles d'étanchéité qui caractérisaient jusqu'alors ETA. C'est son «Commando Madrid», encore une terminologie typiquement militaire, qui a été, jusqu'à janvier 1987, des plus actifs dans la capitale espagnole.

On notera aussi les dénominations de RAF, fraction de l'Armée Rouge, de Brigades Rouges, de Cellules communistes Combattantes, références militaires s'il en est.

On remarquera enfin que le FLNC a proposé récemment une suspension de ses opérations «militaires ».

Les actions terroristes, ont souvent, elles aussi, un aspect d'opérations de commando qu'il s'agisse d'enlèvements, comme celui du général Dozier par les Brigades Rouges, d'attentats, comme l'assassinat en 1986 de KarlHeinz Beckurts31, membre du Directoire de Siemens action de commando aussi que la prise d'otage de Vienne lors d'une conférence
de l'OPEP.

Il est vrai que cet aspect n'est pas systématique et bien des bombes explosant ça ou là peuvent laisser supposer le contraire.

Pour se convaincre du caractère de guerre des terrorismes et des guérillas urbaines, il faut aussi envisager les objectifs qui sont sensés conduire les terroristes à agir de la sorte, la finalité qu'ils recherchent.

Selon leurs propres textes, ce sont bien de; guerres qu'entendent mener les terroristes !

Car ces mouvements entendent bien mener un véritable combat, même si les moyens utilisés sont toujours justifiés par les fins qui les motivent.

Ainsi, pour Marighella, «Le guérillero urbain est un homme armé qui lutte contre la dictature en employant pour ce faire des moyens non-conventionnels32. «Le guérillero urbain est un implacable ennemi du gouvernement et il porte systématiquement préjudice aux autorités et aux hommes qui dominent le pays et exercent le pouvoir»33 . Et plus loin : "La dynamique de la guérilla urbaine est un heurt violent entre le guérillero urbain et les forces militaires et policières..." 34.

Autre aspect des choses, on trouve dans le dernier long communiqué politique d'ETA, datant du 28 janvier 1988, des termes qui permettent de penser que les négociations qui étaient menées avaient un caractère quasiment inter-étatique Voilà par exemple un passage révélateur : «Invitation est faire aux représentants de l'État [espagnol] pour une nouvelle rencontre entre une délégation de l'État et du Mouvement de Libération Nationale Basque ...En fonction de cela, ETA exprime sa volonté de contribuer à créer un climat propice au dialogue susceptible de favoriser l'institutionnalisation d'un cadre de négociations dans lequel sera recherché une solution politique négociée pouvant constituer une base solide dans la résolution qui oppose le Peuple basque à l'État oppresseur espagnoles. La suite est tout aussi explicite et commence par les mots «Pour construire la paix...» A contrario, c'est donc bien qu'ETA considère qu'elle se trouve dans un état de guerre.

De même, le manifeste du HizbAllah du Liban, indique que «Nôtre voie est celle d'un combat radical contre le vice et la racine primordiale du vice est l'Amérique ...En la combattant, nous n'exerçons que notre droit légitime à défendre notre Islam et la dignité de notre communauté».

Les objectifs de la RAF sont tout aussi clairs. Voici des extraits d'un de ses derniers communiqués

« Aujourd'hui35 le commando Ingrid Schubert a exécuté le diplomate-espion Braunmühl, directeur des affaires politiques au Ministère des Affaires étrangères, individu pivot du processus d'élaboration de la politique occidentale-européenne, au coeur du système impérialiste global...
«Notre attaque visait l'appareil d'État oppressif de la RFA, germe de l'Europe Occidentale unifiée, et élément de la stratégie belliqueuse de l'impérialisme...

«Le mouvement révolutionnaire d'Europe Occidentale doit déjouer les plans stratégiques de domination mondiale de la bourgeoisie impérialiste, plans dont les métropoles sont les bases matérielles et politiques. Déjouer ces plans signifie les bloquer et les briser politiquement, ici même, en attaquant l'axe central et la force d impulsion du pouvoir impérialiste, avant qu'il ne puisse les mettre à exécution.

Organiser le front des révolutionnaires en Europe occidentale signifie conduire, au niveau stratégique, le combat politico-militaire dans la métropole ; remettre en question le système global impérialiste ; amorcer le processus de recomposition internationaliste de la classe ouvrière en Europe.

Aujourd'hui, il nous faut unifier la guérilla communiste et le mouvement révolutionnaire dans cette offense planifiée et conduite collectivement- et dont l'objectif double est de paralyser la stratégie impérialiste ; de déterminer et de concrétiser les bases politiques et les éléments constitutifs d'une stratégie révolutionnaire.

Organiser le front révolutionnaire, c'est planifier un assaut. Nous ne parlons ici ni de subtilités idéologiques ni de modèle révolutionnaire. Nous parlons des résultats concrets d'une politique révolutionnaire et de ses effets sur le pouvoir impérialiste ; nous parlons de la force matérielle et politique nécessaire pour élargir en une brèche les fissures dans le bloc des métropoles ; nous parlons du saut qualitatif que doit faire la lutte prolétarienne.

Quelques formules des brigades Rouges, enfin. Dans un texte de janvier 1983, « Encore un pas... « , rédigé par la Colonne Walter Alasia, de Milan, on peut lire : «La métropole est le centre de la guerre sociale que les prolétaires, guidés par le Parti, développent quotidiennement, à travers mille comportements antagonistes, au son des mille lignes directrices de combat, en mille feux de guérilla. C'est dans la métropole que se déchaîne la guerre sociale antagoniste : c'est là que nous sommes, présents, en reprenant l'offensive, de l'usine à la prison et au territoire où des millions de prolétaires luttent pour la libération.

Cette démarche est encore celle de 1987, où l'on trouve des termes semblables dans un document qui circule parmi les militants des Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant détenus au moment du procès Moro/ter : «La stratégie de la lutte armée, la pratique de la guérilla, leur rôle historique irremplaçable pour le prolétariat révolutionnaire, dans le cadre d'une lutte de classes prolongée pour écraser l' État et fonder la société socialiste.

Ce sont là des termes de guerre, dans tous les sens du terme. Ils appartiennent en commun à tous les mouvements terroristes.

Le concept de conflit à basse intensité : une forme actuelle de guerre.

Gaston Bouthoul, en 1975, dans le Défi de la guerre, apporte des précisions sur les niveaux de violence politique.

«La violence politique se situe, suivant son degré d'intensité mesuré par les pertes de vies humaines, à plusieurs niveaux que séparent des seuils de violence.

- le niveau inférieur des infra-conflits où l'agressivité est nulle, faible ou latente, mais n'a pas émergé en violence politique homicide.

C'est le domaine des tensions, de la violence structurelle, des luttes, des crises. La crise nucléaire de Cuba, en 1962 en est un exemple.

- Le niveau médian des microconflits (entre Etats ou internes) où la violence a émergé, mais de façon localisée et limitée. C'est le domaine des incidents de frontière, des affrontements limités, des guérillas, du terrorisme, des prises d'otages, des assassinats et des exécutions politiques? L'action de terrorisme aux jeux Olympiques de Munich en 1972 en est un exemple.

- Le niveau supérieur des macroconflits (guerres étrangères ou civiles, révolutions).

- guerres locales...

- guerres mondiales...

- le niveau extrême des ultraconflits... (nucléaires.. .)»

On constate en effet que le monde est en guerre permanente depuis, environ, 1939, des guerres sous toutes les formes. Les plus fréquentes, expressions de la guerre politique moderne, dont G. Schultz, l'ancien Secrétaire d'État américain disait qu'ils sont le principal défi de la fin de ce siècle, sont maintenant dénommés conflits à basse intensité.

- Ils sont le produit de trois facteurs politiques les résistances de la seconde guerre mondiale, la « guerre froide»et la dissuasion nucléaire.

- ils sont engendrés par les théories d'auteurs
révolutionnaires qui se manifestent par les idées de guerre populaire, guerilla, terrorisme, propagande armée « actions» ...

- Sur le plan technique, ils résultent des conflits de l'après guerre de type colonial et inspirés par les auteurs marxistes-léninistes.

Ces conflits « à basse intensité» sont des guerres totales qui font appel à toutes les forces vives de la nation, militaires, au premier chef, mais aussi économiques, financières et concernent toutes les couches de population. L'objectif des conflits à basse intensité est d'anéantir l'adversaire, tout au moins sur le plan idéologique en imposant insidieusement son hégémonie. Elle sont totales - c'est l'aspect qui intéresse cette étude - parce qu'elles existent en dehors même des périodes de conflits armés tout en atteignant le même degré de cruauté.

Mais on pense aussi, à ce propos, à l'ouvrage du Major von Dach, de l'armée suisse, qui, dans un ouvrage dont le titre anglais est «Total resistance» , explique très précisément aux citoyens suisses, ou autres d'ailleurs, les méthodes, les tactiques et les stratégies de la guerre de résistance, méthodes défensives, certes, puisque l'hypothèse est celle d'une occupation, mais méthodes très proches de celles que l'on trouve dans l'ouvrage de Marighella.

D'où il découle que les guérillas urbaines ou les terrorismes, associant violence et finalité politique peuvent être qualifiés d'actes de guerre.

Des objectifs et de la violence des moyens, de l'engagement politique et des méthodes de combat on doit se ranger à l'idée que les actions des guérilleros urbains sont les actes offensifs des conflits à basse intensité. Ils doivent donc en emporter les conséquences aussi bien pour les pays-cibles que pour les assaillants.

2 : En présence d'un conflit armé, même à basse intensité, ne doit on pas appliquer le droit de la guerre

Il existe un droit positif qui organise la répression antiterroriste et qui résulte de con ventions internationales et de lois internes.

Mais face à la menace globale que représentent ces formes de conflits et considérant que la plus grande efficacité est nécessaire dans le respect évident de nos principes juridiques les plus fondamentaux, ce droit positif ne semble pas adapté parce qu'il ne prend pas suffisamment en compte la finalité d'actes dont l'essence est politique. D'un autre côté, créer une nouvelle catégorie de droit, politique par exemple, ne serait que déplacer le problème sans lui apporter de réelle solution; au contraire, ce serait l'aggraver par l'exception que cela créerait, et par là même entrer dans le jeu dialectique des terroristes.

On ajoutera cependant quelques réflexions sur la loi française du 9 septembre 1986, qui parait aller dans une bonne direction en commençant à prendre en compte la finalité de l'acte, et aussi quelques considérations sur ce qui semble être l'inadaptation des réponses actuelles de nos sociétés.

On proposera ensuite une approche juridique conçue comme une conséquence logique des propos que l'on vient de tenir: la guerre a un droit, c'est celui qu'il faut appliquer.

Le droit positif est inadapté à la violence à finalité politique.

Le nouvel article 706-16 du Code de procédure pénale dispose de la manière suivante

«Lorsqu'elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ,sont poursuivies, instruite et jugées selon les règles du présent Code, sous réserve des dispositions du présent titre, les infractions définies par ...H et suit là une longue liste de textes qui contiennent des incriminations. C'est ainsi que la loi énumère des infractions déjà existantes pour les soumettre à un régime particulier plus sévère lorsqu'elles sont commises dans un certain contexte qui est celui de «l'intimidation et de la terreur.

On voit donc que dans cet esprit, le concept de terrorisme n'a d'intérêt qu'au regard de la procédure et qu'au regard de la sanction. Il s'agissait pour le législateur de 1986 d'exclure au coup par coup le droit pénal et procédural commun. Il n'avait pas ainsi à créer un nouveau délit.

Cette procédure qui consiste à utiliser une infraction qui existe déjà pour lui appliquer un régime spécifique lorsqu'elle a été commise avec un mobile particulier, a déjà été utilisée en matière de crime contre l'Humanité. Cette infraction, telle qu'elle est précisée dans l'arrêt Touvier de 1975, est «un crime de droit commun commis dans certaines circonstances et pour certains motifs précisés dans le texte qui la définit.

La doctrine avait d'ailleurs précisé que le crime contre l'humanité est «une infraction de droit commun ... avec le mobile d'attenter à la personne humaine dans l'exécution d'une politique étatique.

Mais si l'approche de la question est relativement globale et conceptuelle, il n'en reste pas moins que la technique utilisée qui procède par une énumération et que l'on trouve dans beaucoup de conventions d'extradition, mais aussi dans la convention européenne de 1977, reste dans un cadre très classique.

Le juge chargé de réprimer ces infractions, comme on vient de l'entendre, se doit de vérifier un certain nombre de faits et de conduire sa démarche dans le cadre d'une instruction relativement proche de celle du droit commun. L'aggravation des peines prévues par les textes, si on la croit plus dissuasive, ne se place pas réellement sur le terrain de l'efficacité de la lutte anti-terroriste.

C'est en effet structurellement que l'ensemble des moyens dont disposent nos sociétés peut sembler inadapté. Les concepts juridiques classiques qui consistent notamment à adapter la peine à l'infraction, ne répondent pas à la menace totale que représente le terrorisme ou les guérillas urbaines. On assiste à un morcellement, à une individualisation des actes, bref à une réponse au coup par coup qui lui enlève de son efficacité.

D'un autre côté, sur le plan de la coopération internationale, les réponses juridiques de la société se fondent sur un ensemble de conventions complexes plus ou moins ratifiées par les uns ou les autres et prévoyant, par exemple, des procédures d'extradition alors même que l'infraction spécifique de terrorisme ne figure évidemment pas dans la liste des infractions.

Dans ces conditions, on est confronté à un double problème d'efficacité et d'unité si l'on veut que les pays-cibles constituent un front commun face à la menace terroriste.

C'est pour cela que, fort des deux constats, on va essayer, de lege ferenda , de proposer une autre approche juridique des réponses à apporter aux terrorismes et guérillas urbaines.

Le droit des conflits armés permet une riposte appropriée au terrorisme.

Nous avons considéré que nos sociétés ont à faire face à une guerre, à « basse intensité» certes, mais cependant totale, que nous mènent les organisations terroristes. La conséquence de cela est que, face à une guerre, si l'on est en guerre, on doit en tirer les conséquences et appliquer le droit de la guerre.

Mais cette assertion soulève un certain nombre de problèmes que l'on va rapidement tenter d'analyser.

Un conflit à basse intensité existe, il ne se «déclare» pas.

L'idée de l'existence d'une guerre, telle qu'elle se dégage des conventions internationales de La Haye (1907) et de Genève (1949) nécessite traditionnellement un certain nombre de conditions. Mais celles-ci ont évolué.

Une déclaration formelle n'est plus indispensable

Le déclenchement de la guerre devrait faire l'objet d'une déclaration. Cet usage remonte à une période fort ancienne et la convention III de La Haye du 18 octobre 1907 n'a fait que reprendre une coutume bien assise en subordonnant l'ouverture des hostilités à «un avertissement préalable et non équivoque.

Depuis la signature du texte, les exemples de manquement sont nombreux si bien qu'aujourd'hui la non déclaration formelle est la règle36. Les explications sont diverses et résultent d'une évolution qui tient aussi bien aux mentalités qu'aux exigences stratégiques
dans le cadre de la dissuasion nucléaire, par exemple, ce formalisme n'a plus guère de sens.

En fait, il n'est plus possible désormais de continuer à refuser d'appeler les choses par leur nom et de faire de la déclaration de guerre le critère absolu du passage de l'état de paix à l'état de guerre. On peut donc, sans rentrer dans un excès d'argumentation, considérer qu'il peut y avoir un état de guerre sans déclaration préalable. Et on ne s'avancera pas trop en estimant que c'est le cas de tous les conflits à basse intensité qui se caractérisent essentiellement par leur existence.

L'article 5 de la charte de l'ONU reconnaît l'existence de guerres d'agression et son article 51 l'existence d'une légitime défense des États.

Mais pour constater la réalité de ces conflits on peut aussi se fonder sur la Charte des Nations-Unies particulièrement sur son article S qui introduit la notion de guerre d'agression. En l'utilisant comme fondement, on peut globalement considérer que les mouvements terroristes ou de guérillas, en agissant spontanément, en pratiquant une politique d'attentats systématiques, entrent dans l'objet de l'article 5 de la charte de l'ONU. Ainsi on peut admettre que les pays-cibles sont bien dans une situation semblable à celle de la légitime défense dont fait état l'article 51 de la Charte, si l'on fait abstraction des conditions de forme dont il est assorti : déclaration publique dans les 24 heures, avertissement du Conseil de Sécurité...

A contrario, les communiqués des terroristes sont souvent de véritables déclarations de guerre.

Si l'on revient aux extraits de documents de mouvements terroristes que l'on a mentionnés précédemment pour souligner l'aspect «guerrier» de leurs intentions ou de leurs actions, et à bien d'autres, on peut aussi leur attribuer une signification juridique au regard du droit de la guerre.

Si la déclaration de guerre était traditionnellement conçue comme une sorte d'avertissement préalable de la mise en place du branle-bas de combat, si le but était de prévenir son adversaire de ses intentions, il suffit effectivement de reprendre la plupart des déclarations des mouvements terroristes, déclarations d'intention préalables et non celles qui justifient tel ou tel acte, pour se convaincre qu'il existe bien là quelque chose qui pourrait s'apparenter à une déclaration de guerre. En règle générale, cette «déclaration» s'adresse à un Etat ou des Etats, ce qui conforte encore l'idée qu'il s'agit bien d'une situation de guerre.

On a vu que techniquement, le terrorisme était une forme de guerre. Juridiquement, maintenant, il ne semble pas y avoir d'obstacle à constater l'existence d'un état de guerre. Il devient alors envisageable d'appliquer un droit qui est propre à la guerre, qui existe, qui est efficace, qui est unifié, pour faire face à la menace terroriste prise dans son ensemble.

On doit appliquer le droit de la guerre aux conflits à basse intensité.

Admettre que l'on est en guerre contre, globalement, le terrorisme et vouloir appliquer le droit y afférant, c'est accepter d'étendre le domaine des conventions existantes à cette nouvelle forme de conflits. Ce n'est pas, bien sûr sans soulever certaines difficultés.

Un premier point consistera à constater que si globalement le droit conventionnel n'accepte pas une telle extension, son évolution témoigne pourtant qu'il est enclin à aller dans ce sens.

Une deuxième question consistera à se demander rapidement quels seraient les inconvénients pour les pays-cibles à utiliser un tel arsenal juridique.

Un troisième point consistera à dégager les avantages qu'il y aurait à appliquer le droit de la guerre.

Les difficultés de l'extension.

Depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale, les problèmes soulevés par les combattants non conventionnels se sont posés à plusieurs reprises lors des conférences internationales sur ces questions.

On rappelera d'abord que le droit de la guerre est fondé sur des préoccupations essentiellement humanitaires qui déterminent le sort des combattants, dont la qualité est assujettie à un certain nombre de conditions, et celui des prisonniers, dans le cadre de règles précises leur assurant un maximum de protection.

C'est dans cet esprit que pendant longtemps les francs-tireurs de tout type ont été exclus de ces règles, qu'on ne leur reconnaissait pas la qualité de prisonniers de guerre et qu'en général leur sort était réglé de manière expéditive.

L'évolution des conflits depuis 1945, l'apparition de nombreux types de guérillas, l'utilisation même par la plupart des armées régulières de techniques de guérilla font que dans le domaine de la détermination de la qualité de combattant, il existe une évolution très nette.

Ce facteur technique est lui-même doublé d'un facteur politique lié au droit des peuples à disposer d'eux mêmes. Historiquement la guérilla ou les guérillas sont liées aux combats de libération nationale et celles-ci n'existent que dans un contexte politique qui fait qu'on ne sait pas toujours quelle tendance sera le représentant légitime de tel Etat à l'issue du conflit. Mais de la guerre de libération à la guerre révolutionnaire telle qu'elle est conçue par Lénine ou affirmée par les Brigades Rouges ou la RAF, il n'y a qu'un pas.

De ce fait, un mouvement s'est dessiné dans les conférences internationales qui a pour objectif un élargissement de la qualité de combattant et des conséquences que cela emporte. La préoccupation dominante en vue de cette réaffirmation du droit humanitaire n'est pas d'établir des différences ou des hiérarchies entre les diverses sortes de guérilleros, mais de globalement les introduire dans le droit positif quels que soient les buts de leurs combats.

Il va de soi que, pour éviter d'incorporer des criminels de droit commun dans ce cadre juridique, il est nécessaire de considérer la finalité du-dit combat, finalité que l'on mentionnait au début de ce propos et que les intéressés manquent rarement de rappeler.

Lors des conférences internationales et des débats qui se sont déroulés à Genève, les experts gouvernementaux n'ont pas proposé de fonder les règles positives de la guérilla sur la nature politique de celle-ci. En réalité, ils ont été d'accord pour penser qu'il s'agissait d'une question de moyens de guerre et non d'un problème de but de guerre. Ce sont donc les conditions du combat et non pas ses objectifs qui jusqu'à présent, ont été pris en compte. Conditions qui sont liées aux exigences dont le règlement de La Haye en a assorti la validité juridique, notamment l'organisation, les signes extérieurs, le port des armes et le respect du droit.
Mais, depuis la fin des années 70, on assiste dans les sessions de Genève, à un élargissement du champ d'application de la qualité de combattants à travers la notion de prisonnier de guerre.

Si l'on s'en tient au terme de l'article 44 de la Convention de Genève adoptée en 1977, et concernant les « combattants et prisonniers de guerre», est susceptible de se voir appliquer ce droit .

« §1 Tout combattant, au sens de l'article 43 (il s'agit des forces armées), qui tombe au pouvoir d'une partie adverse est prisonnier de guerre.

§2. Bien que tous les combattants soient tenus de respecter les règles de Droit international applicable dans les conflits armés, les violations de ces règles ne privent pas un combattant de son droit d'être considéré comme combattant ou, s'il tombe au pouvoir d'une partie adverse, de son droit d'être considéré comme prisonnier de guerre, sauf dans les cas prévus aux paragraphes 3 et 4.»

Le paragraphe 3 prévoit qu'il faut se distinguer des populations civiles et porter ses armes ouvertement. Le paragraphe 4 dispose que: «Tout combattant qui tombe au pouvoir d'une partie adverse alors qu'il ne remplit pas les conditions prévues à la deuxième phrase du paragraphe 3, perd son droit à être considéré comme prisonnier de guerre, mais bénéficie néanmoins de protections équivalentes à tous égards à celles qui sont accordées aux prisonniers de guerre par la troisième convention et par le présent protocole ...»

Il ne s'agit pas, bien sûr, de rentrer dans le détail de ces textes ou des discussions qui les ont précédées, mais simplement de constater le sens général d'une évolution qui va vers un élargissement de la notion.

On soulignera cependant que l'élargissement de cette notion est plus lié à l'action des mouvements de guérillas en tout genre qu'à celle des démocraties qui ont à faire face à la guerre terroriste.

Certes, il est évident que, sur un plan strictement juridique les conditions prévues par les textes internationaux ne sont aucunement remplies par les terroristes et guérilleros urbains.

On les imagine mal en effet porter un uniforme ou quelque chose qui pourrait s'en rapprocher, porter ouvertement les armes avant un attentat. Mais il est aussi vrai que, pendant un attentat, les armes quand il y en a, sont expressément apparentes et si l'on se réfère au terme de l'article 44 alinéa 3a de la Convention de Genève de 1977, elles doivent être apparentes «pendant chaque engagement militaire». On est donc en droit de rester quelque peu perplexe sur ce point.

Pour ce qui concerne le respect du droit international, on peut, sans crainte de se tromper, considérer que les actes terroristes dans leur totalité, l'ignorent. L'accusation de « terrorisme» a d'ailleurs servi de fondement à l'argumentation de ceux qui refusent un élargissement de la qualité de combattant.

Y aurait-t-il des inconvénients pour les pays-cibles, et lesquels ?

Si l'on parle de reconnaître la qualité de combattant au guérilleros urbains -dans le sens où l'entend Marighella- ce n'est en aucun cas pour glorifier leur méthodes, ce n'est en aucun cas pour accepter leurs exactions ni admettre le combat qu'ils entendent mener. Il ne s'agit pas de valoriser de quelque manière que ce soit des actes dont la nature même et la finalité sont répréhensibles au dernier degré. Mais, il est inévitable que cette démarche ait un tel effet valorisant

Souvenons-nous de l'objectif que l'on doit s'assigner et qui est de combattre et d'essayer, dans toute la mesure du possible, d'éliminer cette menace globale qui pèse sur nous, qui pèse sur chacun des membres de la société, indistinctement et qui ne laisse personne à l'abri d'une violence souvent aveugle.

Quels avantages pourrait-on y trouver ?

Où sont donc nos intérêts, en tant que payscible ? Ne seraient-il pas les mêmes, finalement, que ceux des personnes qui réclament un élargissement des dispositions du droit international.

Notre réponse ne peut être que juridique. Mais nous pouvons choisir notre terrain juridique, choisir celui qui nous permet la meilleure réponse, la plus rapide et la plus efficace.

Il s'agit donc, en entrant dans le système du Droit des conflits armés, d'opposer à des méthodes inqualifiables un arsenal juridique qui a le triple mérite d'exister, d'être efficace, d'être unifié pour mettre hors d'état de nuire les personnes qui se livrent à ce type de guerre contre nos sociétés.

Pour ce qui est d'abord de la simplicité, la qualification de l'acte terroriste pourrait être fondée sur les déclarations d'intention d'un individu ou du mouvement auquel il appartient ou dont il se réclame. Jusqu'à présent ce type d'attitude a toujours pu être constaté. D'un aune côté, on arriverait sans trop de difficulté à la possibilité d'une peine unique, possibilité qui n'existe pas dans le droit positif français actuel par exemple du fait que cela provoquerait un bouleversement de l'échelle des peines.

La sanction de l'acte terroriste serait donc particulièrement simple : si le terroriste est un prisonnier de guerre ou dans une situation analogue il est, certes, traité comme tel mais il subit aussi les mêmes sanctions.

Un tel traitement présente une combinaison d'avantages : le pays-cible entre les mains duquel tomberait le terroriste ainsi défini s'épargne les méandres d'une procédure judiciaire, même accélérée, sans fixer d'autre terme de détention que la « fin des hostilités» ou le bon vouloir de l'État détenteur et avec un minimum d'implications politiques.

Cela permettrait aussi une extension vers la notion de crime de guerre ou de crime contre l'humanité, permettant ainsi pour les actions particulièrement odieuses d'envisager des applications de la peine de mort et ce dans le respect des conventions internationales et des Droits de l'Homme.

On peut trouver un fondement de cette idée dans l'article 2 du Protocole 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui dispose : «Un État peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. ..» .

Quand on admet que le terrorisme, conflit à basse intensité, est une forme actuelle de guerre rien de fait obstacle à l'application de cet article.

N'ayant pas à se justifier, l'État face à cette guerre d'agression, en état de légitime défense, pourra lutter de manière beaucoup plus efficace qu'en l'état actuel du droit.

L'unité enfin, vient de ce que le droit de la guerre existe depuis longtemps, qu'il est contenu dans un certain nombre d'instruments juridiques ratifiés par de nombreux États, contrairement à telle convention européenne sur le terrorisme, et qu'ainsi cette extension ou interprétation pourrait n'être qu'une simple acceptation par les États.

Conclusion

Il s'agissait essentiellement de présenter une thèse dont l'ambition est d'engager une réflexion.

Le but recherché était de montrer le sens essentiel que l'on doit donner à la lutte antiterroriste qui nécessite d'abord une réelle volonté de mettre fin ou tout au moins de lutter efficacement contre cette menace permanente qui, avec les tout petits moyens que l'on sait, peut, par l'utilisation d'un amplificateur psychologique, modifier très largement le cours des choses.

Cette volonté consiste avant tout, pour les pays-cibles, à se sentir impliqué dans cette guerre. Elle peut se manifester par l'application générale du droit de la guerre, sans arrièrepensée, sans se demander quelles pourraient être les contreparties que l'on serait susceptible d'attendre à un adversaire qui n'existe pas formellement.

Cette volonté, c'est la recherche de l'efficacité simplement, au delà des barrières psychologiques; mais d'une efficacité dont on n'aurait aucune raison de rougir à partir du moment où elle est fondée sur des principes juridiques universellement admis dans le respect des Droit de l'homme.

Ce n'est pas parce que d'aucuns ne respectent pas le droit - ni celui de la guerre, ni celui des gens, ni tout autre -que nous devons nous priver de la possibilité de choisir une réponse juridique plutôt qu'une autre.

Ce n'est pas parce que ce conflit est sans lois pour nos adversaires que nous devons nous refuser la possibilité de choisir le système juridique qui nous est le plus favorable par son efficacité, sa simplicité et son unité. n

29 p. 42

30 Cf l'ouvrage de Bert Levy publié en 1940 dans le Infantry Journal, «Guerilla warfare».

31 Spécialiste de physique nucléaire, tué par une bombe télécommandée explosant au passage de sa voiture. Cette action fut menée malgré la présence de gardes du corps armés.

32 Le terme est faible, quoique le mot «unconventional» soit appliqué par les américains au type de guerre que doivent mener leurs forces spéciales ou d'autres, comme les «Spetsnaz,, soviétiques, derrière les lignes ennemies. Les moyens utilisés sont assez semblables... y-compris la propagande armée et les attentats). On peut aussi mentionner l'existence du «Field manual» 95-1A de l'armée américaine : «Guerrilla war manual».

33 P. 3

34 p.20.

35 le 10 octobre 1986.

36 Une exception : la guerre entre l'Inde et le Pakistan en 1971.