Compte tenu de l'ampleur du phénomène et de son extension, le Ministère de la Justice fait du traitement de la délinquance urbaine une de ses priorités. La circulaire ministérielle du 26 juin 1996 insiste sur la nécessité d'une réponse nationale cohérente à ce type de délinquance grâce à une information rapide entre les parquets et la direction des affaires criminelles et des grâces. Cette information est, en théorie, rendue possible par l'instauration d'un rapport simple et court207 devant être transmis le plus rapidement possible après les faits à la sous-direction des affaires pénales et grâces. Cette fiche signalétique pourra être suivie de l'envoi d'un rapport cadre plus précis ayant pour objet « d'analyser les circonstances qui auront favorisé le développement de la crise ».
Si la chancellerie fixe les lignes directrices de la politique pénale nationale, les parquets disposent toutefois d'une flexibilité suffisante pour adapter l'action publique aux caractéristiques des départements dans lesquels ils exercent leurs prérogatives.
Depuis quelques années, l'action publique a été, dans certains départements, territorialisée en fonction de la dégradation d'un quartier et de la montée de l'insécurité. Cette politique se traduit par un ciblage de l'action publique vers certains lieux potentiellement criminogènes : transports en commun, centres commerciaux, collèges, ou tout simplement vers certains quartiers difficiles d'une commune. Cette définition de sites d'action publique prioritaire doit être limitée dans l'espace et dans le temps. Elle prend forme au sein de structures partenariales telles que les Plans Départementaux de Sécurité ou les Groupes Locaux de Traitement de la Délinquance.
Si aucune infraction ne peut être exclue du champ des poursuites pénales, le Parquet peut néanmoins définir des priorités d'action en fonction de la nature des infractions et, ainsi orienter les efforts de la police judiciaire vers telle ou telle catégorie d'infractions.
Le S.C.H.F.P.N. préconisait dans son rapport une personnalisation plus accrue de l'action publique. Cette orientation viserait à transmettre au Parquet une liste signalétique des mineurs les plus durs connus par les services de police, ce qui aurait pour conséquence des poursuites quasi systématiques envers les individus figurant sur cette liste. Reste à savoir si cette pratique sera acceptée par les parquets qui, indirectement, perdront une partie de leurs prérogatives quant à l'opportunité des poursuites.
Dans le cadre des violences urbaines, la circulaire du Ministère de la Justice du 26 juin 1996 édicte les modalités de mise en oeuvre d'une stratégie pénale spécifique à cette forme de délinquance. Le Parquet, au même titre que le Préfet, apparaît comme un acteur central du dispositif de lutte contre les violences urbaines. Les représentants de l'action publique doivent être impliqués dans toutes les phases de la gestion des crises urbaines.
Cette implication passe tout d'abord par la définition concertée d'une politique de sécurité entre le Préfet et le Procureur de la République : c'est l'objet des Plans Départementaux de Sécurité. Les P.D.S. doivent s'accompagner, quand cela est possible, de la mise en place d'indicateurs d'alerte et de l'instauration d'une cellule de crise. Cette dernière a deux missions : l'information de la population208 et la mise en place d'un dispositif de police judiciaire.
Ce dispositif est important puisqu'il conditionne la suite donnée aux exactions. En charge des poursuites et du contrôle des enquêtes judiciaires, le Parquet se doit d'amener au juge tous les éléments susceptibles de le convaincre de la culpabilité du délinquant arrêté. Ainsi, la réponse aux violences urbaines ne doit pas seulement relever du maintien - ou du rétablissement - de l'ordre public, mais doit faire l'objet d'une réponse judiciaire adéquate impliquant la recherche de preuves obtenues grâce à des moyens techniques (photographies, caméra vidéo, etc.) et permettant ainsi que le délinquant soit jugé et condamné pour les faits qui lui sont reprochés.
Dans la continuité de la politique du traitement en temps réel, le Parquet des mineurs de Bobigny (93) utilise une méthode de réponse systématique. Dès qu'un mineur est mis en cause dans une procédure judiciaire, il est convoqué au Parquet avec ses parents afin de s'expliquer sur l'infraction. Il n'y a pas de poursuite tant que l'auteur n'a pas été vu par un Substitut du Procureur. Le but est de repositionner l'auteur dans la société en lui rappelant les règles à respecter et en le mettant face à son avenir. La victime participe au processus. La réponse du Parquet est alors graduée. Avec l'accord de la victime, les poursuites vont être suspendues. Le mineur sera suivi entre 6 et 9 mois par un éducateur de la P.J.J. Si au cours de cette période d'observation, aucun fait nouveau n'est apparu et que le comportement du jeune est positif, l'affaire sera classée sans suite. En revanche, si le mineur ou/et les parents ne font aucun effort, des poursuites pénales seront engagées. Selon Pierre Moreau, ce système montre moins de 10 % de mineurs réitérants. Il fait apparaître un noyau dur de 200 mineurs par classe d'âge qui rechutent après les poursuites pénales. Si cette méthode semble satisfaisante, elle nécessite d'importants moyens humains que de nombreux départements n'ont pas à leur disposition.
Entre le classement sans suite et les poursuites, une troisième voie s'est peu à peu développée au sein de l'institution judiciaire. Avec en filigrane le rapprochement de la Justice du citoyen, la médiation pénale210 ou le classement sous condition sont devenus des réponses judiciaires utilisées de plus en plus souvent, notamment dans le cadre de la Justice de proximité dispensée par les Maisons de Justice et du Droit. Face à la petite délinquance (vols, conflits de voisinage, rixes légères, etc.) le classement sans suite et le procès ne sont pas des solutions adaptées. La médiation pénale est alors censée répondre à la multiplication des petits litiges qui ne trouvent pas de réponses dans les solutions judiciaires traditionnelles.
L'objectif est double : - satisfaire la victime et - faire prendre conscience
à l'auteur des conséquences dommageables de son acte. La
réparation est au coeur de ce dispositif. De plus, pour le
Capitaine Alain Brochot-Denys211,
« il convient de souligner qu'en participant à la restauration
du dialogue entre les citoyens, qu'en restituant aux événements
leur vraie signification, en résolvant ces petits conflits, la médiation
tend à reconstruire une paix sociale durable et s'inscrit parmi
les moyens de résoudre le problème de l'insécurité.
La médiation pénale permet une réponse judiciaire
au plus près de l'infraction, de son auteur et de la victime pour
aboutir à un rappel à la loi accompagné de
la réparation du préjudice causé. Le Parquet garde
la maîtrise de l'affaire et peut à tout moment de la procédure
décider de poursuivre ». De plus en plus souvent la médiation
est confiée à des délégués du procureur212
qui ont la charge de la conciliation et du suivi du dossier. Si la médiation
pénale est une bonne alternative au classement sans suite
et au déclenchement immédiat des poursuites, elle ne doit
intervenir que pour les petits délits et concerner que des délinquants
primaires. En aucun cas, la médiation pénale ne doit se
substituer à l'action publique.
207 Cf. exemplaire du rapport en annexe.
208 Afin d'éviter les rumeurs et
la diffusion de fausses informations.
209 Monsieur Marc Moinard est actuellement
Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces au Ministère
de la Justice. Cf. article « Le traitement en temps réel des
procédures pénales » in Revue d'études
et d'informations de la Gendarmerie, 4ème trimestre 1993,
n° 171, p.49
210 Article 41 du Code de Procédure
Pénale : « Le Procureur de la République peut enfin,
préalablement à sa décision sur l'action publique
et avec l'accord des parties, décider de recourir à une médiation
s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la
réparation du dommage causé à la victime, de mettre
fin au trouble résultant de l'infraction et de contribuer au reclassement
de l'auteur de l'infraction ».
211 Alain Brochot-Denys, « La médiation
pénale : une réponse proche du citoyen » in
Revue d'études et d'informations de la Gendarmerie, 4ème
trimestre 1993, N° 171, P.52
212 Les délégués du
Procureur sont souvent d'anciens magistrats à la retraite ou des
personnes ayant des connaissances juridiques.