2.3.3. La politique pénale Les politiques pénales définies par les parquets s'inscrivent dans des stratégies globales de lutte contre la délinquance. La politique pénale est tout d'abord décidée par le Garde des Sceaux qui en fixe les principales orientations dans des circulaires adressées aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République. Les objectifs et les priorités fixés par ces circulaires permettent une certaine uniformisation territoriale de la politique pénale, tout en permettant à celle-ci de s'adapter à l'évolution économique, sociale et politique de notre société. Le but est d'éviter de trop grandes disparités concernant les poursuites pénales engagées par les parquets. Il est indispensable que de grandes lignes de conduite soient définies au plus haut niveau afin qu'une égalité de traitement minimum puisse être respectée. Laisser aux parquets une liberté totale de choix quant à la définition de la politique pénale serait placer la Justice aux mains d'hommes et de femmes soumis à des contraintes internes (personnalité, valeurs morales, etc.) ou exogènes (traditions locales, pression de l'opinion, etc.). Nous en profitons donc pour dire qu'il est nécessaire que les parquets soient, au moins en ce qui concerne les grandes orientations de notre politique pénale, toujours placés sous l'autorité du Ministère de la Justice.

Compte tenu de l'ampleur du phénomène et de son extension, le Ministère de la Justice fait du traitement de la délinquance urbaine une de ses priorités. La circulaire ministérielle du 26 juin 1996 insiste sur la nécessité d'une réponse nationale cohérente à ce type de délinquance grâce à une information rapide entre les parquets et la direction des affaires criminelles et des grâces. Cette information est, en théorie, rendue possible par l'instauration d'un rapport simple et court207 devant être transmis le plus rapidement possible après les faits à la sous-direction des affaires pénales et grâces. Cette fiche signalétique pourra être suivie de l'envoi d'un rapport cadre plus précis ayant pour objet « d'analyser les circonstances qui auront favorisé le développement de la crise ».

Si la chancellerie fixe les lignes directrices de la politique pénale nationale, les parquets disposent toutefois d'une flexibilité suffisante pour adapter l'action publique aux caractéristiques des départements dans lesquels ils exercent leurs prérogatives.

Depuis quelques années, l'action publique a été, dans certains départements, territorialisée en fonction de la dégradation d'un quartier et de la montée de l'insécurité. Cette politique se traduit par un ciblage de l'action publique vers certains lieux potentiellement criminogènes : transports en commun, centres commerciaux, collèges, ou tout simplement vers certains quartiers difficiles d'une commune. Cette définition de sites d'action publique prioritaire doit être limitée dans l'espace et dans le temps. Elle prend forme au sein de structures partenariales telles que les Plans Départementaux de Sécurité ou les Groupes Locaux de Traitement de la Délinquance.

Si aucune infraction ne peut être exclue du champ des poursuites pénales, le Parquet peut néanmoins définir des priorités d'action en fonction de la nature des infractions et, ainsi orienter les efforts de la police judiciaire vers telle ou telle catégorie d'infractions.

Le S.C.H.F.P.N. préconisait dans son rapport une personnalisation plus accrue de l'action publique. Cette orientation viserait à transmettre au Parquet une liste signalétique des mineurs les plus durs connus par les services de police, ce qui aurait pour conséquence des poursuites quasi systématiques envers les individus figurant sur cette liste. Reste à savoir si cette pratique sera acceptée par les parquets qui, indirectement, perdront une partie de leurs prérogatives quant à l'opportunité des poursuites.

Dans le cadre des violences urbaines, la circulaire du Ministère de la Justice du 26 juin 1996 édicte les modalités de mise en oeuvre d'une stratégie pénale spécifique à cette forme de délinquance. Le Parquet, au même titre que le Préfet, apparaît comme un acteur central du dispositif de lutte contre les violences urbaines. Les représentants de l'action publique doivent être impliqués dans toutes les phases de la gestion des crises urbaines.

Cette implication passe tout d'abord par la définition concertée d'une politique de sécurité entre le Préfet et le Procureur de la République : c'est l'objet des Plans Départementaux de Sécurité. Les P.D.S. doivent s'accompagner, quand cela est possible, de la mise en place d'indicateurs d'alerte et de l'instauration d'une cellule de crise. Cette dernière a deux missions : l'information de la population208 et la mise en place d'un dispositif de police judiciaire.

Ce dispositif est important puisqu'il conditionne la suite donnée aux exactions. En charge des poursuites et du contrôle des enquêtes judiciaires, le Parquet se doit d'amener au juge tous les éléments susceptibles de le convaincre de la culpabilité du délinquant arrêté. Ainsi, la réponse aux violences urbaines ne doit pas seulement relever du maintien - ou du rétablissement - de l'ordre public, mais doit faire l'objet d'une réponse judiciaire adéquate impliquant la recherche de preuves obtenues grâce à des moyens techniques (photographies, caméra vidéo, etc.) et permettant ainsi que le délinquant soit jugé et condamné pour les faits qui lui sont reprochés.

Le traitement en temps réel des procédures pénales est une des principales innovations de ces dix dernières années. Cette procédure, expérimentée en Seine-Saint-Denis par le Procureur Marc Moinard209, et dont les modalités de mise en oeuvre sont définies dans un rapport du 16 février 1991, vise à l'accélération du traitement des dossiers, au rapprochement de la réponse judiciaire de la date de la commission des faits, et par conséquent, à la réduction des classements sans suite qui fondent le sentiment d'impunité de nombreux délinquants et le découragement des policiers. Si une décision judiciaire intervient plusieurs mois après les faits, elle perd de sa pertinence et de son impact auprès du délinquant, en particulier lorsque celui-ci est mineur. Le traitement en temps réel permet donc la continuité du traitement des procédures. Le principe est celui du signalement automatique. Toute affaire délictuelle doit être signalée téléphoniquement au Parquet, procédure en l'état, et avant le départ du mis en cause des locaux d'enquête. La systématisation du signalement a pour principal objectif de permettre au Parquet d'orienter immédiatement la procédure en recherchant au maximum la diversification de la réponse pénale. Elle permet également l'apparition d'une cohérence dans la mise en place de la politique pénale et une meilleure implication des officiers de police judiciaire dans la procédure. Ce système qui a débuté en 1988 au T.G.I. de Pontoise, puis en 1991 à Lyon et en 1992 à Bobigny, est désormais quasiment étendu à l'ensemble du territoire. Bien entendu, le corollaire d'un tel système est la mise en place d'une organisation lourde et consommatrice de moyens humains et financiers.

Dans la continuité de la politique du traitement en temps réel, le Parquet des mineurs de Bobigny (93) utilise une méthode de réponse systématique. Dès qu'un mineur est mis en cause dans une procédure judiciaire, il est convoqué au Parquet avec ses parents afin de s'expliquer sur l'infraction. Il n'y a pas de poursuite tant que l'auteur n'a pas été vu par un Substitut du Procureur. Le but est de repositionner l'auteur dans la société en lui rappelant les règles à respecter et en le mettant face à son avenir. La victime participe au processus. La réponse du Parquet est alors graduée. Avec l'accord de la victime, les poursuites vont être suspendues. Le mineur sera suivi entre 6 et 9 mois par un éducateur de la P.J.J. Si au cours de cette période d'observation, aucun fait nouveau n'est apparu et que le comportement du jeune est positif, l'affaire sera classée sans suite. En revanche, si le mineur ou/et les parents ne font aucun effort, des poursuites pénales seront engagées. Selon Pierre Moreau, ce système montre moins de 10 % de mineurs réitérants. Il fait apparaître un noyau dur de 200 mineurs par classe d'âge qui rechutent après les poursuites pénales. Si cette méthode semble satisfaisante, elle nécessite d'importants moyens humains que de nombreux départements n'ont pas à leur disposition.

Entre le classement sans suite et les poursuites, une troisième voie s'est peu à peu développée au sein de l'institution judiciaire. Avec en filigrane le rapprochement de la Justice du citoyen, la médiation pénale210 ou le classement sous condition sont devenus des réponses judiciaires utilisées de plus en plus souvent, notamment dans le cadre de la Justice de proximité dispensée par les Maisons de Justice et du Droit. Face à la petite délinquance (vols, conflits de voisinage, rixes légères, etc.) le classement sans suite et le procès ne sont pas des solutions adaptées. La médiation pénale est alors censée répondre à la multiplication des petits litiges qui ne trouvent pas de réponses dans les solutions judiciaires traditionnelles.

L'objectif est double : - satisfaire la victime et - faire prendre conscience à l'auteur des conséquences dommageables de son acte. La réparation est au coeur de ce dispositif. De plus, pour le Capitaine Alain Brochot-Denys211, « il convient de souligner qu'en participant à la restauration du dialogue entre les citoyens, qu'en restituant aux événements leur vraie signification, en résolvant ces petits conflits, la médiation tend à reconstruire une paix sociale durable et s'inscrit parmi les moyens de résoudre le problème de l'insécurité. La médiation pénale permet une réponse judiciaire au plus près de l'infraction, de son auteur et de la victime pour aboutir à un rappel à la loi accompagné de la réparation du préjudice causé. Le Parquet garde la maîtrise de l'affaire et peut à tout moment de la procédure décider de poursuivre ». De plus en plus souvent la médiation est confiée à des délégués du procureur212 qui ont la charge de la conciliation et du suivi du dossier. Si la médiation pénale est une bonne alternative au classement sans suite et au déclenchement immédiat des poursuites, elle ne doit intervenir que pour les petits délits et concerner que des délinquants primaires. En aucun cas, la médiation pénale ne doit se substituer à l'action publique.
 

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207 Cf. exemplaire du rapport en annexe.
208 Afin d'éviter les rumeurs et la diffusion de fausses informations.
209 Monsieur Marc Moinard est actuellement Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces au Ministère de la Justice. Cf. article « Le traitement en temps réel des procédures pénales » in Revue d'études et d'informations de la Gendarmerie, 4ème trimestre 1993, n° 171, p.49
210 Article 41 du Code de Procédure Pénale : « Le Procureur de la République peut enfin, préalablement à sa décision sur l'action publique et avec l'accord des parties, décider de recourir à une médiation s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction et de contribuer au reclassement de l'auteur de l'infraction ».
211 Alain Brochot-Denys, « La médiation pénale : une réponse proche du citoyen » in Revue d'études et d'informations de la Gendarmerie, 4ème trimestre 1993, N° 171, P.52
212 Les délégués du Procureur sont souvent d'anciens magistrats à la retraite ou des personnes ayant des connaissances juridiques.