1.1. De la difficulté à définir les violences urbaines

La délimitation de l'objet de notre mémoire porte en elle une première difficulté liée à l'absence de définition légale et officielle des violences urbaines.

Les violences urbaines ne doivent pas être entendues comme une infraction définie par le Code Pénal, contrairement aux violences volontaires ou involontaires, qui sont des coups portés à l'encontre d'une personne physique.

La violence urbaine n'est pas définie en fonction d'une qualification juridique mais par rapport à un ensemble de comportements et d'actes, plus ou moins violents, ayant certaines caractéristiques et perpétrés en milieu urbain. Par conséquent, un individu ne sera pas poursuivi pour avoir commis des « violences urbaines », mais pour l'un des actes constitutifs de ces violences urbaines : violences, incendie criminel, dégradation de biens, attroupements, etc.

Si on s'en tenait stricto sensu à la dénomination de la violence urbaine, tout acte violent, non justifié (ou non légitime), commis en milieu urbain serait qualifié de violence urbaine. On pourrait même, pourquoi pas, définir la violence urbaine comme la « violence morale ou sociale » causée par l'environnement urbain sur des individus. Or, tel n'est pas le cas. Les violences urbaines ont une définition plus précise et s'appliquent à des comportements bien particuliers. Le terme de violence urbaine vise des faits commis dans certaines zones géographiques appelées banlieues ou cités, c'est-à-dire des lieux à forte densité d'habitants, situés souvent à la périphérie des villes et présentant des difficultés sociales5. Les violences urbaines ne sont pas nécessairement des actes commis en centre-ville. À cet égard, plusieurs personnes interviewées par l'auteur ont insisté sur le déplacement des violences urbaines vers des zones rurales. Cette situation a donné naissance à un nouveau terme : les violences « rurbaines ». Inventée par la Gendarmerie Nationale, cette notion désigne les faits commis, non pas en ville ou en banlieue, mais dans les zones périurbaines qui sont du ressort de compétence territoriale de la Gendarmerie Nationale.

Si les violences urbaines se définissent par leur lieu de commission, elles sont également caractérisées par leurs éléments constitutifs. Tout acte violent n'est pas une violence urbaine et toute violence urbaine n'est pas nécessairement une atteinte à l'intégrité physique d'un individu.

En outre, chaque autorité n'a pas la même définition des violences urbaines. Ainsi, pour le Contrôleur Général Ange Mancini6, il n'existe pas de véritable définition du phénomène alors que pour le Commissaire Pascal Courtin7, les violences urbaines comprennent la plupart des délits de voie publique.

Toute la difficulté réside donc dans la recherche d'une définition précise, claire et suffisamment large pour permettre une appréhension objective du phénomène.

Au fil de nos entretiens et de nos lectures, une définition s'est révélée la plus complète et la plus exhaustive. Cette définition est celle du Commissaire Lucienne Bui-Trong8 qui nomme violences urbaines des « actes juvéniles collectifs commis de manière ouverte et provocatrice et créant dans la population un fort sentiment d'insécurité »9. Cette violence peut être destructrice, émotionnelle, ludique et/ou crapuleuse. On peut ajouter à cette description le développement de phénomènes anarchiques et d'une sous-culture de quartier hostile aux représentants des institutions, en particulier aux forces de l'ordre. Plusieurs caractères sont donc mis en exergue : la jeunesse et les motivations des auteurs, l'aspect collectif et la justification des actes. Cette définition rejoint à peu de choses près celle proposée par la France lors d'une réunion des différents pays européens à Bruxelles, le 20 et 21 janvier 1995, et qui définissait les violences urbaines comme « tout acte violent commis à force ouverte contre des biens, des personnes ou les symboles des institutions par un groupe généralement jeune, structuré ou non, commis sur un territoire donné et revendiqué par le groupe comme étant sous sa domination ».

Le lieu de commission, les actes constitutifs, le « modus operandi » mais également le profil des auteurs seront des éléments caractérisant les violences urbaines.

Cette définition des violences urbaines permet d'englober des actes différents allant des « incivilités » les plus dures, non constitutives d'infractions pénales, aux violentes émeutes urbaines, en passant par la petite violence au quotidien. Ces différents degrés dans la violence urbaine constituent néanmoins une unité ayant pour fondement la remise en cause des règles sociales fixées par la collectivité. C'est pourquoi, pour la plupart d'entre-elles, ces violences ont une forte connotation anti-institutionnelle érigée sur la défense d'un territoire et sur une solidarité entre les habitants d'un même quartier.

Au titre des violences urbaines, on peut citer les dégradations, en particulier les incendies de véhicules ou les détériorations par jets de projectiles, les razzias dans les commerces, les rodéos de voitures volées, les rixes et règlements de comptes entre bandes, le vandalisme anti-institutionnel, les agressions physiques ou verbales contre des représentants institutionnels (contrôleurs R.A.T.P. ou S.N.C.F., pompiers, enseignants), les incitations à l'émeute, les attroupements agressifs lors d'interventions de police, les agressions physiques ou/et guet-apens contre les policiers, le vandalisme ouvert et massif, l'émeute, les affrontements avec les forces de l'ordre, etc.

De par leurs caractères ouverts et provocateurs, les violences urbaines ont des incidences, plus que notables, sur la construction sociale du sentiment d'insécurité.
 

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5 Voir le paragraphe sur les banlieues p.24
6 Monsieur Ange Mancini, Contrôleur Général de la Police Nationale, est Chargé de Mission pour les violences urbaines auprès du Directeur Général de la Police Nationale.
7 Monsieur Pascal Courtin, Commissaire de Police, est Responsable de la Section Enquête et Recherche du Service Départemental de la Police Judiciaire de Seine-Saint-Denis (93).
8 Madame Lucienne Bui-Trong, Commissaire Principal de Police, est Chef de la section « Villes et banlieues » (ex-violences urbaines) à la Direction Centrale des Renseignements Généraux.
9 Entretien avec l'auteur.