I - Les éléments du profilage criminel

La première étape consiste à recueillir et répertorier les informations relatives au crime. Celles-ci constituent les éléments du profilage. En cas de série criminelle, il suffit de rapprocher ces renseignements selon le même classement. L'enquête de police judiciaire remplit traditionnellement ce rôle. Des services d'analyse criminelle vérifient le cas échéant en deuxième lecture si tel ou tel point de l'investigation a été négligé. On prend aussi un recul intéressant, s'agissant d'affaires lourdes à gérer ou non élucidées. De la même manière, le profileur peut relever des éléments nouveaux ou mettre l'accent sur d'autres. Il porte un autre regard qu'il est toujours bon de confronter à celui des enquêteurs de première ligne.

Dans les affaires d'homicide, ce sont les rapports de police qui apportent les premiers éléments. Ils décrivent d'abord la scène du crime et les circonstances criminelles. Les enquêteurs découvrent et rapportent les faits sur les lieux, depuis l'environnement géographique du crime jusqu'au cadavre. On passe donc, dans le meilleur des cas, de vues aériennes à la description méticuleuse du corps. Des photographies sont prises tout au long du chemin menant au cadavre. Un plan exact est dressé, permettant d'avoir une vue d'ensemble plus éclairante. Que l'on soit sur une scène d'intérieur ou d'extérieur, le croquis montre la situation normale des lieux, la plus réaliste possible (échelle, distances, directions, bâtiment à proximité, voies d'accès, noms des rues, transformateur électrique, poubelles...). Il met également en évidence la localisation et la position du corps, ainsi que tous les éléments présentant un rapport avec le crime (arme, sang, traces de lutte, message, fenêtre ouverte...).

Vient ensuite l'étude victimologique, une des plus fondamentales. Car très souvent, à tel profil de victime, tel de profil de tueur. La recherche doit être des plus complètes. Elle comprend en particulier sa condition physique, son habillement, sa personnalité, ses passions, ses craintes, ses relations familiales, son comportement social, ses antécédents éventuels, sa profession, sa réputation, son style de vie et son cadre domestique. On s'intéresse traditionnellement à l'environnement immédiat de la victime en présence d'un mobile apparent (amours, famille, amis, ennemis, collègues de travail etc.) ; puis, en l'absence de mobiles apparents, au cercle de relations le plus large possible (connaissances de passage, liens d'enfance, quiconque ayant approché même une seule fois la victime ou ses proches).

Les éléments scientifiques et techniques complètent cette approche. Ils incluent le rapport d'autopsie, avec les conclusions relatives aux causes de la mort et à sa datation. Ils mettent en évidence toute violence pratiquée sur le corps, avant, pendant et après le crime. Ces éléments permettront par la suite de reconstituer la chronologie des faits lors du passage à l'acte. C'est avec la victimologie l'étude la plus importante pour classer le tueur dans une des catégories-type de criminel narcisso-sexuel. Par exemple, si la victime présente une hémorragie interne dans son vagin avec des traces de sperme, c'est qu'elle a été violée ante-mortem. Ce qui permet de s'orienter vers un criminel sexuel organisé, plutôt intelligent et socialement intégré -sous réserve que d'autres indicateurs confirment cette tendance. On porte également attention aux photographies médico-légales, à l'arme du crime, aux résultats sérologiques, toxicologiques, ainsi qu'aux blessures infligées ou nettoyées. Il faut savoir notamment si la victime s'est défendue ou était en état de se défendre face à son agresseur. Si ce n'est pas le cas, il s'agit d'une attaque-éclair qui renvoie à un criminel narcisso-sexuel inorganisé, plutôt impulsif et inadapté. S'ajoutent à cela des photographies en couleur de la scène du crime (intérieures, extérieures, aériennes). Elles permettent de s'imprégner de la personnalité criminelle qui a pu commettre un tel acte.

Il faut souligner qu'un profilage optimal passe à notre sens par la présence du profileur sur la scène du crime et lors de l'autopsie. Parce que le tueur a ressenti l'instant par tous ses sens, le criminologue doit être au plus près de la réalité du crime. Il n'en cernera que mieux la personnalité de l'auteur. Traiter les données par informatique est utile, mais ne peut en aucune façon remplacer une approche de terrain : le criminel n'était pas devant son ordinateur au moment de passer à l'acte. C'est pourquoi le profileur tente de tout assimiler sur la scène du crime, car tout est important dans le fantasme du tueur. Il nous semble que pour avoir une vision plus juste du crime et du criminel, il faut passer par une étude globale et pluri-disciplinaire dès les premiers actes de procédure. C'est l'essence même de la criminologie. L'enquête a tout à gagner à confronter ses informations par des éclairages criminologiques complémentaires.

En revanche, le profileur doit s'effacer si les éléments matériels désignent d'eux-mêmes le suspect. D'abord parce que la valeur probante des conclusions scientifiques ou techniques l'emporte sur celle du profil criminel. Ensuite parce que le profileur serait tenté de se conformer au suspect confondu par la preuve matérielle. Dès l'arrivée sur les lieux du crime, il peut rendre un avis motivé à titre consultatif. Il dit ce qui est évident ou ce dont il est à peu près sûr, compte tenu de la très forte probabilité de certains indicateurs comportementaux. Si, par exemple, il est établi sur place que le corps a subi de graves mutilations post-mortem, il peut estimer que le criminel n'habite pas loin ou se trouve dans la foule aux abords. Mais il doit écarter toute influence subjective extérieure, celle qu'un profilage mené en toute indépendance ne confirmerait pas. En général, il s'abstient de désigner nominativement un suspect, même si l'analyse de la scène de crime renvoie à un profil correspondant. Rien n'est pire que de donner la solution-miracle et de s'orienter tête baissée vers un présumé coupable. L'affaire Grégory est en cela un bon exemple. Le profileur doit en fait réserver ses conclusions définitives. Il ne peut qu'ajuster son appréciation au fur et à mesure qu'il découvre des éléments nouveaux. Son analyse prend du temps et il doit attendre que celle-ci arrive à maturation. Jusque là, il se montre très prudent et se limite aux faits.

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